Dakar, 5 août (APS) – Les quotidiens reçus mercredi à l’Agence de presse sénégalaise (APS) abordent divers sujets se rapportant à la téléphonie mobile, à la pandémie de Covid-19, à la justice populaire, entre autres.
Grand-Place parle de ‘’guerre’’ dans la téléphonie mobile au Sénégal et souligne que ‘’depuis le 12 juillet, l’ARTP a infligé une astreinte journalière de 2% sur son chiffre d’affaires à Saga Africa Holding, promoteur du réseau Free’’. ‘’Une décision tombée suite au refus de ce dernier d’exécuter la convention commerciale qui le lie à Sirius Telecom, promoteur de la téléphonie mobile Promobile’’, ajoute la publication.
Dans cette ‘’guerre’’ entre opérateurs de téléphonie mobile, le quotidien Kritik estime que l’ARTP ‘’perd le réseau’’.
‘’Censée être l’autorité de référence et acteur déterminant du développement de l’économie numérique dans notre pays, l’ARTP assiste impuissante à une guerre entre opérateurs, le plus souvent sur le dos des consommateurs’’, déplore le journal.
‘’Entre le bras de fer entre Free et Promobile, malgré les recommandations de l’agence de régulation et la hausse unilatérale des prix par Orange qui sort de sa réserve la clientèle, le gendarme des télécoms reste un spectateur qui semble avoir perdu le réseau’’, écrit Kritik.
Concernant la hausse des tarifs illimix, Walfadjri relève que l’opérateur Orange ‘’explique sans convaincre’’. ‘’La Sonatel se défend d’avoir augmenté ses tarifs sur les offres illimix. Son directeur général affirme que contrairement à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, la nouvelle formule constitue une baisse tarifaire’’, rapporte Walf.
Source A plonge dans la renégociation ‘’aux forceps’’ du contrat de l’autoroute à péage et explique ‘’ce qui a perdu’’ Eiffage, le concessionnaire. Alors qu’au départ ‘’les prévisions, en termes de fréquentation journalière de l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio, étaient de l’ordre de 30 000 à 50 000 voitures, à l’arrivée, ces chiffres sont largement dépassés. Car en moyenne, 90 000 voitures empruntent quotidiennement cet axe routier’’, souligne le journal.
Enquête s’inquiète de l’augmentation des cas de décès liés à la Covid-19 et note que le Sénégal est ‘’dans l’impasse’’. ‘’Trois patients sont morts hier de la Covid-19, alourdissant ainsi un bilan déjà inquiétant. L’augmentation des cas corrélée à une stratégie déficiente entraine de plus en plus de décès’’, selon le journal.
Au même moment, Le Quotidien signale que ‘’débordés par un afflux de malades, la Mauritanie et la Gambie ont officiellement demandé l’aide du Sénégal qui est aussi englué dans les mêmes problèmes’’.
‘’Contrairement à ces deux pays, il dispose de ressources humaines qualifiées et expérimentées et un système de dépistage crédible dont Banjul et Nouakchott sont dépourvues pendant que la contamination continue’’, écrit le journal.
Le Soleil s’intéresse à la protection civile et annonce que l’Etat a installé 350 paratonnerres en 2020.
L’Observateur déplore ‘’la recrudescence de la justice populaire’’. ‘’Les marchands ambulants de Keur Massar qui exigent réparation, les supposés talibés de Serigne Moustapha Sy qui se vengent… Quand les citoyens prennent en charge la force de la justice, l’Etat perd ses prérogatives’’, souligne L’Obs qui parle de ‘’justice par la force’’.
Sud Quotidien s’intéresse aux prochaines élections locales et annonce que ‘’la bataille de Dakar’’ aura lieu. ‘’Remporter la bataille de Dakar ! C’est ce challenge presque titanesque que la mouvance présidentielle doit relever au soir de la tenue des élections locales prévues au plus tard le 21 mars 2021’’, écrit Sud.
Selon le journal, ‘’de toute évidence, le chef de l’Etat Macky Sall ne peut plus supporter les défaites successives de son camp dans la capitale sénégalaise (…)’’.
LES VIP FACE AUX DURES RÉALITÉS DU SYSTÈME DE SANTÉ
Pour bénéficier d’une prise en charge optimale, elles sont nombreuses, les personnalités sénégalaises et africaines, à se rendre en Europe ou dans les pays maghrébins
Coincés dans le pays depuis le début de la pandémie de Covid-19, certains VIP, qui avaient l’habitude de se rendre à l’étranger, même pour des check-up, ont dû se rendre compte des dures réalités du système sanitaire national.
Il y a un virus pire que le coronavirus. C’est l’absence de structures de santé en quantité et en qualité suffisantes. Pour bénéficier d’une prise en charge optimale, elles sont nombreuses, les personnalités sénégalaises et africaines, à se rendre en Europe ou dans les pays maghrébins. Parfois avec le concours des maigres ressources publiques. Pour ceux qui sont assez nantis, mais pas suffisamment pour se rendre à l’étranger, beaucoup préfèrent se faire interner dans le privé, plutôt que de se rendre dans les hôpitaux publics perçus - à tort ou à raison - comme des mouroirs.
Pourtant, à en croire nombre de nos interlocuteurs, on peut tout reprocher au système de santé sénégalais, sauf des personnels compétents. Secrétaire général du SDT-3S (Syndicat démocratique des travailleurs de la santé et du secteur social), Cheikh Seck affirme : ‘’Nous avons de très bons médecins au Sénégal. Il suffit de voir les concours d’agrégation pour s’en convaincre. Ce qui se pose, c’est surtout un problème de gouvernance. Par exemple, sur les 20 ou 30 dernières années, l’Etat, à l’exception de cette année en cours, n’a jamais dégagé des milliards, dans son budget, pour construire un hôpital de niveau 3. C’est cela le véritable problème de notre système. L’Etat ne met pas assez de moyens et il les répartit très mal.’’
Pour le budget en cours, a-t-il néanmoins tenu à préciser : ‘’Une enveloppe a été dégagée pour le volet construction de quatre hôpitaux : notamment à Saint Louis, Kaffrine et Sédhiou. Le syndicaliste de rappeler que n’eût été l’appui des Espagnols, Chinois et Saoudiens, le Sénégal n’aurait pas aujourd’hui Pikine, Ziguinchor, Fatick, Diamniadio et Dalal Jamm.
‘’Docteur, est-ce que vous consultez en privé ?’’
Mais le mal semble très profond. Au-delà du déficit des investissements, il y a une véritable crise de confiance à l’endroit des hôpitaux sénégalais, particulièrement de l’hôpital public. Dans notre édition du 26 mai, le Pr. Abdoul Kane, Chef du Service cardiologie de l’hôpital Dalal Jamm, revenait sur les maux du système de santé publique. Il disait : ‘’Certains patients vous demandent systématiquement : ‘Docteur, est-ce que vous consultez en privé ?’ Parce qu’il y a un problème d’organisation, des mesures d’hygiène qui ne sont pas respectées, des équipements qui tombent régulièrement en panne… C’est un environnement qui laisse vraiment à désirer. Ce qui pousse certains patients ayant les moyens à aller se faire soigner ailleurs.’’
Désorganisées, malpropres, sous-équipées, des machines qui tombent régulièrement en panne, les structures publiques de soins se trouvent dans un état plus que comateux. Il faudrait les renforcer, soulignait le Pr. Kane, les rendre plus attractives, avec des cadres plus attrayants. Et d’ajouter : ‘’Il faut nécessairement un changement de vision et de paradigme. Nos autorités doivent comprendre que la santé doit être abordée dans une approche holistique, multisectorielle. La santé, ce n’est pas seulement une affaire des professionnels de la santé ; c’est un problème de toutes les populations.’’
Au Sénégal, faisait-il remarquer, ‘’il n’y a aucune spécialité, je dis bien aucune, où on est optimal de A à Z. Je peux donner le cas de la cardiologie où on est quand même assez avancé. On ne peut résoudre tous les problèmes de nos patients, parce que nous n’avons pas tous les outils. Nous ne pouvons pas opérer tous les malades que nous devons opérer. Nous ne pouvons pas prendre en charge correctement tous les patients. Et ce qui est valable pour la cardio l’est également pour la neurochirurgie, la pneumologie, la réanimation, pour toutes les spécialités. Et c’est inadmissible’’.
Maintenant, s’empressait-il d’ajouter, cela ne veut pas dire qu’il faudrait négliger la prévention au niveau communautaire. D’après le cardiologue, il faudrait, à ce niveau aussi, changer de paradigme. ‘’Il faut que toute la pyramide soit animée, de la base jusqu’au sommet. Parce que la santé, c’est un tout. C’est ainsi seulement que nous pourrons avoir un système performant qui n’aura rien à envier aux autres’’.
Abondant dans le même sens, Cheikh Seck estime que l’Etat s’est souvent trompé de priorité, en dégageant des investissements énormes pour des maladies qui ne sont souvent pas prioritaires. ‘’Par exemple, à un moment, dans un hôpital de la place, on a dégagé des dizaines de millions pour acheter un matériel rarement utilisé. Au même moment, il y avait des services très fréquentés qui peinaient à avoir les millions qu’ils réclamaient et qui sont nécessaires pour leur fonctionnement’’, souligne-t-il.
Plateaux au rabais, personnels insuffisants, conditions d’hygiène peu reluisantes
En fait, le syndicaliste ne veut pas accorder toute son attention à la question des évacuations qui ne concernent qu’une minorité de riches et de gens proches des décideurs. Alors que le pays peine même à prendre en charge certaines pathologies, comme les maladies tropicales qui font plus de ravages. Il déclare : ‘’Le problème, ce n’est pas de faire des dépenses somptuaires pour satisfaire des groupuscules ou des lobbys. En politique de santé, il faut savoir ce que l’on veut, en se basant sur des critères objectifs. Il s’agit de voir quels sont les besoins de nos populations. Par exemple, il y a les maladies tropicales qui font beaucoup de dégâts dans certaines zones. Il y a, par exemple, la bilharziose dans certaines zones comme Richard-Toll, les maladies diarrhéiques, la mortalité maternelle dans les zones reculées, la rougeole… Voilà les problèmes de santé publique qu’il faudrait prendre en charge en urgence.’’
Dans la même veine, M. Seck fustige le dénuement dans lequel se trouvent certains services essentiels. Il explique : ‘’Il y a, d’une part, les maladies chroniques comme la cardiopathie, le diabète… D’autre part, il y a les accidentés de la circulation qui peuvent avoir des TCE (traumatisme crânien encéphalique) qui sont dans le coma et qui ont besoin d’une assistance. Est-ce qu’il y a suffisamment de médecins réanimateurs ? Y a-t-il suffisamment d’urgentistes ? Y-a-t-il suffisamment de salles de réanimation ? Ce sont des choses qu’il faut revoir et renforcer. Il n’y a pas que le problème des évacuations.’’ Dans toutes les régions, plaide-t-il, il faut des unités de réanimation et d’urgence aux normes.
Ce qui est loin d’être le cas. Même à Dakar, les déficits s’avèrent criards. Le syndicaliste affirme : ‘’Si vous allez à l’unité d’urgence de l’hôpital Grand-Yoff, par exemple, aujourd’hui, il n’y a que 4 lits. Autant en urgence chirurgicale. Je ne parle pas de la réanimation. Pour les grands brûlés, seul l’hôpital Principal répond aux normes. Nous avons de sérieux problèmes. Il faut des structures de référence au moins dans chaque région. Ce n’est pas normal que les populations de Ziguinchor soient évacuées vers Dakar pour se faire prendre en charge. Elles doivent disposer de toutes les commodités dans leur région.’’
En ce qui concerne le problème des évacuations, il indexe surtout un manque de confiance. ‘’En vérité, soutient-il, pour la plupart des cas, c’est juste un problème de confiance qui se pose. Certaines personnalités font plus confiance en l’expertise étrangère qu’au système qu’elles ont mis en place. Moi, je pense qu’il n’y a pas de maladie que nos médecins ne peuvent pas prendre en charge dans ce pays. Soixante-dix pour cent des gens qui vont à l’étranger le font de leur propre gré’’.
En tout cas, la facture est souvent très salée pour le budget de l’Etat. Elle se chiffre à des centaines de milliards F CFA chaque année. A en croire le docteur anesthésiste-réanimateur Oumar Boun Khatab Thiam, plusieurs facteurs peuvent expliquer la préférence de certains Sénégalais pour l’expertise étrangère. ‘’D’abord, nous avons des plateaux techniques très limités. Ensuite, il y a des gens qui partent pour leur propre plaisir. Ce sont souvent des VIP qui n’ont pas confiance au système de santé sénégalais. Parfois aussi, parce qu’ils souhaitent garder la discrétion autour de la maladie. En Europe, personne ne se soucie de leur bulletin de santé, alors qu’ici, on est très vite stigmatisé. Le coronavirus en est une illustration parfaite’’.
En vue de renforcer la confiance, il préconise que ‘’les autorités doivent investir davantage dans le système, pour des hôpitaux de haut niveau’’.
Revenant sur ce problème de confiance, Cheikh Seck ironise : ‘’Est-ce que vous avez vu des personnes aller à l’étranger pour se faire soigner, depuis cette histoire de Covid ? Elles ne partent plus.’’ Saisissant la balle au bond, on rétorque : N’est-ce pas ce qui explique les disparitions devenues fréquentes de ces personnalités ? Le syndicaliste botte en touche. ‘’Ce n’est pas du tout à cause de cela. Nous n’avons pas de problèmes de compétence dans ce pays. Même si, parfois, les moyens font défaut’’, signale-t-il.
Une prise de conscience s’impose
Dans tous les cas, la pandémie de Covid-19 aura mis à nu les déficits énormes du système de santé. L’heure, selon le docteur Oumar Boun Khatab Thiam, doit être à la prise de conscience commune. ‘’Comme on dit : à quelque chose malheur est bon. Avec l’avènement de cette pandémie, nous devons tous prendre conscience. D’abord, les autorités qui doivent mettre beaucoup plus d’argent dans le secteur. Ensuite, les populations qui sont aujourd’hui contraintes à rester dans le pays. Nous devons faire confiance à notre système de santé, comme nous faisons confiance en notre justice, en nos forces de l’ordre… Je pense que la pandémie aurait dû aider dans ce sens’’.
Selon lui, il urge de relever le plateau technique, redéfinir les priorités. Mais le problème, ce n’est pas seulement des machines. Donnant l’exemple de la réanimation, il explique : ‘’Une réanimation sans biologie, sans radiologie permanente et disponible pour vider le réanimateur, est vouée à l’échec. Un réanimateur, c’est comme un pilote dans un avion. Si vous n’avez pas une tour de contrôle, vous n’irez nulle part. Et la tour de contrôle, c’est le biologiste. Et il y a des déficits criards sur ces plans. Par exemple, la plupart de nos structures, même les plus équipées, sont confrontées à un problème de gazométrie. Même en néphrologie, quand elles ont besoin de faire un bilan, elles sont obligées de sous-traiter à des structures privées. Non seulement cela a un coût, mais aussi, il faut attendre plus longtemps pour disposer des résultats. Or, parfois, on est dans une course contre la mort.’’
L’ancien chef du bloc opératoire du Service urologie de l’hôpital Le Dantec renchérit : ‘’A mon avis, cette crise devrait constituer un déclic. Malheureusement, on risque de passer, encore une fois, à côté.’’
par Seydou Ka
DE LA FUITE À LA MOBILITÉ DES CERVEAUX
Le départ de Felwine Sarr pour Duke repose le vieux débat sur la fuite des cerveaux. À l’évidence, c’est une grosse perte pour l’UGB où il a passé 13 ans. Il est important que cette circulation des savoirs se fasse dans les deux sens
L’universitaire sénégalais Felwine Sarr a annoncé, le 27 juillet dernier, qu’il rejoint l’Université Duke à Durham en Caroline du Nord (Etats-Unis). Il y occupera la chaire Anne-Marie Bryan et enseignera la philosophie africaine contemporaine et diasporique. Il y dispensera également deux autres cours dans lesquels il se propose « d’explorer les dynamiques politiques et sociales des nations africaines depuis les indépendances, à travers l’archive musicale », et sur « le soin et la guérison dans le roman contemporain africain ».
Après l’historien Mamadou Diouf et le philosophe Souleymane Bachir Diagne – tous deux à l’Université Columbia à New York ; l’un en tant que chef du département Middle Eastern, South Asian and African Studies, l’autre directeur de l’Institut d’études africaines–, c’est donc un autre universitaire sénégalais de renom qui franchit l’Atlantique. Du reste, le contingent d’universitaires sénégalais (africains de façon générale) établis aux Etats-Unis ne cesse de se s’agrandir. Comparé à l’armée d’assistants et autres maîtres de conférences dans les universités françaises, ce nombre est encore faible. Mais une tendance nette est en train de se dessiner : nos meilleurs cerveaux préfèrent désormais aller aux Etats-Unis – et dans une moindre mesure en Chine pour ce qui est des étudiants – là où la génération précédente choisissait systématiquement l’Hexagone. De ce point de vue, les intellectuels africains, surtout ceux de la jeune génération, ont été plus prompts que les politiciens à « rompre les amarres » (la formule a été prononcée par Emmanuel Macron à Abidjan en décembre 2019) avec l’ancienne puissance coloniale. Lors d’un séjour en France l’année dernière, j’ai pu percevoir que cette nouvelle donne était prise au sérieux par les universités françaises.
Sans doute l’Europe garde encore quelques atouts, compte tenu de son infrastructure de recherche, mais elle n’est plus le centre de gravité du monde dans la géopolitique des savoirs. Au-delà des meilleures conditions de travail qu’offrent les universités américaines, les chercheurs africains y trouvent un environnement intellectuel plus favorable. Il suffit de voir la violence de la tribune signée, le 26 décembre 2019, par une demi-douzaine d’universitaires français contre « l’institutionnalisation » des études postcoloniales en France pour mesurer le conservatisme académique, pour ne pas dire l’hostilité d’une frange du milieu académique vis-à-vis du projet de décolonisation des savoirs, objectif revendiqué par les penseurs postcoloniaux. Dès lors, rien de surprenant de voir ces intellectuels africains préférer les universités américaines où les études postcoloniales trouvent un terrain propice. D’ailleurs, c’est tout un symbole de voir Felwine Sarr rejoindre l’Université Duke où a enseigné pendant quelques années Valentin Mudimbé – qui vit toujours à Durham. L’auteur de « Invention of Africa » (1988), à qui on doit la formule « bibliothèque coloniale », a exercé une influence décisive sur la pensée décoloniale.
Le départ de Felwine de l’Université Gaston Berger (Ugb) repose donc le vieux débat sur la fuite des cerveaux. À l’évidence, c’est une grosse perte pour l’Ugb où il a passé treize ans. Mais l’intéressé garde quelques attaches avec son ancienne université : il continuera à y donner (en ligne) un cours d’épistémologie et à encadrer des doctorants. Les chantiers entrepris sur le continent, notamment les Ateliers de la pensée et l’école doctorale des Ateliers, qu’il organise avec Achille Mbembé, se poursuivront également, précise-t-il. C’est pourquoi, certains préfèrent parler de mobilité des compétences et des savoirs au lieu de fuite des cerveaux, terme à la connotation chargée, qui ne reflète plus la réalité actuelle. En effet, avec la mondialisation et le perfectionnement de l’enseignement à distance, point besoin d’être sur place pour dispenser des enseignements. Evidemment, on aimerait que nos meilleurs chercheurs puissent disposer sur place de conditions plus favorables mais, à défaut, le fait de découvrir d’autres horizons ne peut que leur être bénéfique. Toutefois, dans cette nouvelle configuration, il est important que cette circulation des savoirs se fasse dans les deux sens. Après sa nomination comme directeur de l’Institut d’études africaines, Souleymane Bachir Diagne me confiait vouloir faire venir un maximum d’universitaires africains à Columbia pour y présenter leurs pensées. « Il est important, disait-il, que nos pensées soient traduites et entendues dans le Nord et que ce ne soit pas seulement en sens unique que les choses se passent ». C’est à ce prix que les savoirs endogènes et les chercheurs africains seront respectés dans le monde.
par le chroniqueur de SenePlus, Hamadoun Touré
GRANDEUR ET SOLITUDE
EXCLUSIF SENEPLUS - On suggère au chef ce qu’il doit aimer et bien sûr avec qui frayer. L’ivresse du pouvoir, fille de la célébrité, du succès, ajoutée aux manœuvres d’habiles courtisans, annihile ses capacités de discernement
Hamadoun Touré de SenePlus |
Publication 04/08/2020
« …La solitude trouble les cerveaux qu’elle n’illumine pas ». Victor Hugo
Un chef est un être seul dans sa gestion des hommes et de la cité, face aux défis du quotidien et à l’actualité qui lui est imposée bien souvent comme urgence. Le pouvoir s’exerce dans la solitude, loin du bruit et de la fureur du monde extérieur. Face à lui-même, le Chef scrute le bon chemin à emprunter, réfléchit sur le jugement à émettre et mûrit la bonne décision à prendre.
La solitude de celui qui tient le gouvernail n’est jamais aussi profonde qu’au moment des décisions graves, quand vient le temps des récompenses et des sanctions. Il n’a alors que sa seule conscience pour juge.
Devenu la proie des nouvelles passerelles, que l’on appelle les réseaux sociaux, le chef se sent épié, vu et exposé dans cette démocratie hyper médiatisée. Tout se sait, tout se dit et tout est filmé. Son intimité est violée, diffusée en temps réel accroissant son besoin de protection ainsi que de solitude.
Renfermé sur lui-même, le chef revoit avec nostalgie son jour de gloire quand le wagon de l’adhésion à sa personne est bondé, transporté par la houle des partisans de la 25è heure embarquant toujours au portail des vainqueurs. Sa résidence, comme son carnet d’audiences, est pleine à craquer. Politiciens parvenus, stars de la scène, sportifs de haut niveau, nouveaux riches subissent le même vertige d’un pouvoir longtemps espéré ou soudain offert.
Son nouveau détenteur devient une attraction comme le bébé inespéré dans un foyer resté longtemps triste, car sans enfant. On anticipe ses vœux, ses ordres parfois imaginaires s’exécutent. Sa gaîté devient forcément contagieuse.
On suggère au chef ce qu’il doit aimer et bien sûr avec qui frayer du haut de son nouveau standing. La crème de la cohue est là, pense pour lui, trie la bonne graine de l’ivraie à sa place.
L’ivresse du pouvoir, fille de la célébrité, du succès, de l’argent, ajoutée aux manœuvres d’habiles courtisans, annihile ses capacités de discernement. Cet être ne doit pas douter. Tout en lui doit exprimer le contentement.
Le chef est heureux. Son bonheur lui est instillé par une perfusion d’allégresse placée à la manière du remède chez un malade. Nombreux sont les auteurs de cette joie immense, ces inconnus devenus nouveaux amis aux talents et entregent miraculeux.
Destin inscrit dans les étoiles
Les ancêtres qui se sont penchés, telles des fées, sur le berceau du futur chef, les visites nocturnes pleines de risques chez tous les charlatans des contrées les plus lointaines pour matérialiser le grand destin du chef inscrit dans les étoiles avant même sa conception, ce sont eux. Toutefois, la lucidité, qui vient après l’innocence de l’enfance, le rend souvent insensible à la flatterie dont les auteurs, comme on le sait depuis la Fontaine il y a quatre siècles, vivent aux dépens de ceux qui les écoutent.
Ces amis des jours de triomphe avancent masqués avec à l’esprit une seule préoccupation : comment monnayer l’ivresse collective en portefeuilles ministériels ou boursiers, en marchés, influence et argent, ce nouveau Dieu.
Les hommes qui ont concouru à le hisser au sommet attendent un retour d’ascenseur, demandent des faveurs qui jurent en général d’avec les lois et les règlements en vigueur. Le chef est le seul à décider ayant en perspective les prochaines échéances électorales. Il ressent cette solitude unique dans le choix entre le respect de son serment, donc l’intérêt de tous et les sollicitations partisanes.
Le même sentiment l’étreint au moment d’initier les grands changements susceptibles de bouleverser les habitudes acquises et les traditions de la société. Dans son intime conviction, ces actes doivent être posés même s’ils heurtent des mentalités rétives à la nouveauté.
Il vit un autre dilemme lorsqu’il doit exercer son droit de grâce. Au-delà de ce que prévoit la loi, de ce que suggèrent les conseillers, contre surtout une grande partie de l’opinion du moment, il doit trancher. Et choisir entre ce qu’il estime utile pour le grand nombre et sa propre inclination à reculer pour ne pas compromettre son propre avenir. Comment agir alors pour entrer en guerre ou faire la paix avec l’ennemi ?
Attentes des partisans
Le chef sans envergure, parvenu à la haute charge sans être leader, ne connait pas de de tels déchirements. Ayant scellé un pacte avec la durée, son obsession est de rester pour jouir des délices du pouvoir qui lui permettent de violer allègrement la loi, les normes, les procédures pour s’attacher la fidélité de ses partisans
Lorsque vient le temps où il n’est confronté qu’à lui-même dans son intimité absolue, quand le jour se retire, le chef n’a alors que la solitude pour seule compagne. Alors, doit lui venir à l’esprit cette sentence du poète, romancier prolifique et homme politique Victor Hugo : « la solitude est bonne aux grands esprits et mauvaise aux petits. La solitude trouble les cerveaux qu’elle n’illumine pas ».
Quand la cour se clairseme autour du chef, que désertent les visiteurs du soir, que montent les contestations, que les sondages signalent la lassitude du peuple, alors, le wagon des partisans tombe en panne subite et ne circule plus. Son téléphone sonne de moins en moins, sa salle d’attente se vide. Lui seul connait enfin ses désirs auparavant portés par des courtisans soudain introuvables. C’est le signe que l’histoire s’émancipe du pouvoir. Le dilemme pour le chef est d’abandonner l’une pour l’autre. Le pouvoir veut être conservé et exercé alors que l’histoire vous tend les bras en vous imposant le renoncement.
Face à l’éternité, deux temps inconciliables : hier et demain. Et en ses mains, un pouvoir dépouillé qui met en lumière compromissions et lâches ententes.
Dans sa solitude, le chef rumine cet instant consubstantiel à l’exercice du pouvoir. Tiraillé entre conseillers aux visions contradictoires, celles qui forgent sa religion.
Récriminations
Le chef constatera qu’un désert s’est créé autour de lui avec un décret controversé, une décision critiquée, une faveur refusée, une ambition inassouvie, un ordre incompris, un jugement erroné. Alors vient le temps où il sera accusé de n’avoir jamais voulu écouter, d’avoir été perméable au favoritisme, de manquer de leadership et de bon sens. On sera loin de l’homme décrit par des laudateurs comme le messie que la nation entière attendait.
Le chef, hier porté aux nues, devient, sans transition, têtu, obstiné, dictateur, manipulé par un entourage agrippé à ses privilèges, prompt à s’accaparer des prébendes et autres avantages illicites. Les thuriféraires sont les premiers à se tourner vers d’autres horizons qu’ils croient plus verdoyants, vers lesquels ils dirigent sans état d’âme leurs éloges en même temps que leur nouvelle allégeance.
Ils ferment les oreilles aux mots de Charles De Gaulle leur disant dans ses Mémoires : « Dans le tumulte des hommes et des évènements, la solitude était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie ». Nos chefs esseulés n’en diront pas moins.
L’écartèlement permanent est le lot quotidien du chef. La solitude triste et sécrète qui demeure la seule lumière des meilleurs cerveaux.
Le statut du chef de l’opposition est l’une des questions qui peinent à trouver un consensus entre les acteurs du dialogue politique. C’est le constat du Fprs/And liggey qui demande alors la création d’un Cadre permanent de dialogue et de la médiation politique.
Bien qu’institutionnalisé depuis le Référendum de 2016, le statut du chef de l’opposition n’est toujours pas mis en œuvre. D’ailleurs, la question figure parmi les sujets de la Commission du dialogue politique dont les travaux sont suspendus à cause du coronavirus. En attendant les conclusions des discussions, le Front pour la République du Sénégal (Fprs/And liggey) a fait des propositions en ce sens. Mais pour cette formation politique, la première difficulté tient à la nécessité de mieux identifier le chef de l’opposition et de spécifier les limites organisationnelles et temporelles de ce rôle. «De manière assez classique, il est naturel de supposer que la forme de régime politique puisse constituer la première variable déterminante dans la définition du chef de l’opposition. Dans cette perspective, le chef de l’opposition serait le ou l’un des candidats opposés au tenant de la fonction exécutive.
Ainsi, en régime présidentiel, on peut supposer que le chef de l’opposition se trouve dans la personne du principal adversaire du tenant de la fonction exécutive», lit-on dans un document. Par ailleurs, le parti dirigé par Djibril Diop estime que le statut de l’opposition suppose l’identification de l’opposition dont vont nécessairement dépendre les droits qui lui sont reconnus. Pour cet allié du candidat Madické Niang à la dernière Présidentielle, il existe plusieurs sortes d’oppositions. «Peut-on reconnaître des droits spécifiques à l’opposition au régime ? Ce type d’opposition qui vise à remettre en cause les institutions et à saper ses principes fondamentaux n’est reconnu que pour mieux être jugulé par l’instauration de mesure spécifique.
L’opposition à l’ensemble des forces politiques est également suspectée dans la mesure où elle se situe précisément en dehors du politique, ne regroupe pas des forces qui ont vocation à gouverner et ne cherche pas les suffrages des citoyens. Elles ne sont guère appréhendées par les règles du jeu constitutionnelles», soutient le Fprs/And liggey. Qui ajoute qu’il «reste l’opposition au pouvoir en place». Pour ce parti de l’opposition, à la différence des deux autres, «cette opposition accepte le régime et se trouve en compétition pour l’accession légale au pouvoir». Encore faut-il l’identifier pour pouvoir lui attribuer des prérogatives spécifiques.
Pour instaurer un dialogue entre les acteurs de la classe politique, le Fprs prône la mise en place d’un «Cadre permanent de dialogue et de la médiation politique» à même de susciter des discussions autour des questions d’intérêt national et des principes démocratiques et républicains, notamment la Constitution, la charte des partis politiques, le Code électoral et la régularité des scrutins, l’accès équitable aux médias d’Etat, etc.
par Mohamed Guèye
ILS NE SE LIMITERONT PAS AUX JOURNALISTES
La nouveauté avec ce qui s’est passé dans le saccage des locaux du journal Les Echos, c’est de voir quasiment une revendication du crime. On semble vouloir nous ramener aux heures sombres de la décennie 2000-2010
Depuis des années, la presse au Sénégal donne le sentiment, pour ceux qui en sont membres, de faire du surplace. Si les années de Wade s’étaient caractérisées par des dérives et des menaces à l’encontre des médias, dont les moindres et les plus banals furent les emprisonnements de journalistes selon la volonté des tenants du pouvoir, au moins on n’hésitait pas à les dénoncer. Mais l’arrivée de Macky Sall, loin d’apporter le changement profond et véritable que tous espéraient, semble vouloir nous ramener aux heures sombres de la décennie 2000-2010. Sans nous offrir le paravent de la justice.
La nouveauté avec ce qui s’est passé dans le saccage des locaux du journal Les Echos, c’est de voir quasiment une revendication du crime. En effet, quand un parti politique légalement constitué se permet, de manière concomitante à la commission des actes de barbarie à l’encontre d’un journal, de publier un communiquer pour «avertir» la Rédaction dudit journal sur les conséquences de ses écrits, ne peut-on parler de revendication ? Le fait que cet acte ne soit suivi d’aucune conséquence légale ne peut-il être assimilé à une marque d’impunité et à un appel à casser du journaliste ?
Le Cdeps a rappelé que ce saccage n’est que le dernier acte d’une suite d’agressions que subissent les journalistes dans ce pays, sans que leurs auteurs ne soient inquiétés. La presse dans ce pays n’a jamais demandé de traitement de faveur, preuve que les journalistes ne se considèrent pas comme des citoyens à part. Pour autant, ils n’estiment pas jouir des mêmes droits que le citoyen moyen. Rien ne leur est pardonné dans la pratique de leur métier.
Le Sénégal aime à se vanter d’être une grande démocratie qui se caractérise par sa large liberté de presse. De plus en plus, cette affirmation devrait être nuancée au regard de la pratique. Nous en sommes arrivés au point où nous nous demandons s’il y a une différence entre vivre sous le régime de Yahya Jammeh et être journaliste dans le Sénégal de Macky Sall. Au moins, sous Jammeh, les gens étaient conscients de ce qu’ils risquaient en écrivant. Sous Macky Sall, ne sont réprimées que des infractions que les personnes bien pensantes jugent contraires à leur morale. Des disciples de certains dirigeants religieux peuvent se permettre de menacer les journalistes sans que personne ne songe à les interpeller.
Pense-t-on que ces hordes que l’on laisse agir ainsi ne se limiteront-elles qu’aux journalistes ? Que fera-t-on quand les journalistes commenceront à brider leur plume et n’oseront plus dénoncer certaines dérives, comme le souhaitent tous ces délinquants ? Qui se posera alors en recours ?
par Abdoulaye Bathily
SENGHOR DÉFORME L'HISTOIRE DU PEUPLE SÉNÉGALAIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Juillet 1978, l'ancien ministre alors en clandestinité, déconstruit point par point dans les colonnes de Vérité, organe de la Ligue Démocratique, un pan de l'Histoire du pays travesti par le président-poète
Ce texte a été publié dans Vérité N°2, organe de la Ligue Démocratique (LD), en Juillet 1978 dans les conditions de la clandestinité. Mais nous avons tenu à garder le texte intégralement en n’en corrigeant que quelques méprises de formes.
Il a été distribué sous le manteau aux participants des Assisses des Etats Généraux de l’Education organisées en juillet 1978 à l’Ecole Berthe Maubert à Dakar, et qui précéderont ceux tenus sous l’égide du gouvernement en 1981 sous la pression de la grève du SUDES.
L'histoire comme toutes les sciences en général et les sciences sociales en particulier, ne saurait échapper à l'influence déterminante de la lutte des classes. Pour justifier telle ou telle attitude du présent, chaque classe et chaque groupe de la société à besoin de présenter une certaine image du passé. Ainsi le régime colonial représentait les Africains comme appartenant à une sous-humanité éternellement dépendante du reste de la planète. Cette image des sociétés africaines servait de justification idéologique à la politique d'exploitation économique sans limite des travailleurs et des peuples des colonies.
Le développement du nationalisme africain dans la première moitié du XXe siècle a conduit à un renversement de cette perspective colonialiste de notre histoire.
Par exemple, les travaux d'un Nkrumah, d'un Eric Williams pour les colonies britanniques, ceux de Cheikh Anta Diop, de Mahjmout Diop, d'un Abdoulaye Ly, de Joseph Ki-Zerbo, etc. pour les pays sous domination coloniale française, s'inscrivent avec leur mérite respectif dans le courant de la décolonisation de l'histoire africaine.
Depuis l'indépendance, de nombreux historiens africains patriotes et même des internationalistes comme Jean Suret Canale, Basil Davidson, etc. poursuivent en l'approfondissant cette œuvre de renaissance culturelle africaine.
A contre courant de ce mouvement se situe Senghor et ses historiens de service. La bourgeoisie bureaucratique et compradore qui représente les intérêts de l'impérialisme français chez nous tente par tous les moyens de faire prévaloir une certaine image de notre passé qui concilie ses propres intérêts avec ceux de ses maîtres étrangers. Ces efforts sont déployés au mépris de la vérité scientifique.
Ainsi pour Senghor, les trois siècles de présence française sur notre sol sont « trois ans d'amitié entre le Sénégal et la France » ! La traite des esclaves, la conquête militaire, l'exploitation économique, et leur corollaire, la destruction de nos sociétés, seraient des témoignages de l'amitié entre ces deux pays !
L'on sait qu'en 1945 déjà le théoricien de la Négritude minimisait les effets de la colonisation lorsqu'il écrivait : « le problème colonial n'est rien d'autre au fond qu'un problème provincial, un problème humain. Je ne suis pas le premier à l'avoir remarqué. Lyautey, l'avait déjà dit, et, plus près de nous, Delavignette, cet humaniste impérial, dans son livre au titre si suggestif : Soudan - Paris - Bourgogne, Paris unissant les deux provinces ». (Léopold Sédar Senghor, la communauté impériale française).
Deux autres faits montrent encore le travestissement de notre histoire nationale au profit de l'impérialisme français par les idéologues du régime.
- Le problème des cahiers de doléances des habitants de Saint-Louis aux états généraux de la révolution française de 1789
- Le chant de la jeunesse : Niani Bagnna.
1. De manière rituelle, Senghor proclame que les auteurs des cahiers de doléances sont les précurseurs de la nation sénégalaise d'aujourd'hui. Ils seraient même les fondateurs de la démocratie sénégalaise, etc.
Cette interprétation ne résiste pas à une critique tant soit peu sérieuse. Les auteurs des cahiers de doléances représentaient environ 2000 individus libres, des traitants pour la plupart (métis ou mulâtres, des petits blancs venus chercher fortune en Afrique et quelques nègres) sur une population totale évaluée à plus de 6 000 à l'époque (île de Ndar). La majorité de la population de l'île était composée d’esclaves, de domestiques, d'ouvriers et de laptots (ouvriers de la navigation fluviale) tous nègres, qui étaient tenus à l'écart de l'administration et de la politique du comptoir de Saint-Louis.
Cette poignée de traitants vivait essentiellement en marge du reste de la population du pays. Les rapports entre les traitants et le reste de la population autochtone n'étaient que des rapports de marchands à clients. Les traitants n'ont jamais envisagé un seul instant de représenter les intérêts des « indigènes » auprès des autorités françaises.
Leurs doléances portaient sur deux points essentiellement :
a) les traitants aspiraient à être traités comme des citoyens français à part entière. A l'instar de Senghor, aujourd'hui, ils considéraient la France comme le pays modèle en tout.
« Nègres ou mulâtres nous sommes tous français puisque c'est le sang des français qui coule dans nos veines ou dans celles de nos neveux. Cette origine nous enorgueillit et élève nos âmes. Aussi, aucun peuple n'a montré plus de patriotisme et de courage ! Lorsqu'en 1757, le Sénégal fut lâchement rendu aux anglais. Nous voulions le défendre malgré les chefs de la colonie ...
Nous avons regardé comme le plus beau jour de notre existence, celui où en 1779, nous jouîmes du plaisir de voir flotter la bannière française sur le port de Saint-Louis. Nous accueillîmes tous les français comme nos libérateurs, comme nos frères ... »
b) Aux 17ème et au 18ème siècle la traite des esclaves et le commerce de la gomme était pratiquée par une compagnie, la compagnie du Sénégal qui en avait le monopole. Ce monopole était exercé au détriment des petits blancs et des traitants qui revendiquaient le droit d'exercer librement le métier très lucratif qu'était alors le commerce des êtres humains. Les cahiers de doléances étaient adressés au roi de France pour amener ce dernier à supprimer le privilège de la compagnie et à libéraliser le trafic négrier. Cet autre passage du document est très net à ce sujet.
« Aussi notre étonnement fut extrême quand nous vîmes publier le privilège exclusif de la traite des Noirs dans toute l'étendue du fleuve. Ce fut un jour de deuil et de consternation dans tout le pays ! ...La traite des Noirs est celle où nous avons généralement le plus de part parce que nous avons des bateaux et des esclaves matelots que nous envoyons jusqu'en Galam (Haut Fleuve) traiter des noirs que nous vendons ensuite à des marchands européens au Sénégal avec un léger profit ». Sur le texte intégral des cahiers de doléances, voir le livre de Lamiral l'Afrique et le peuple africain considérés sous tous leurs rapports avec notre commerce et nos colonies. Paris, Librairie Dessenne, 1789.
Les doléances qui avaient été adoptées le 15 avril 1789 par l'Assemblée générale des habitants de l'île Saint-Louis furent rédigées par le nommé Charles Cornier, alors maire de Saint-Louis et président de la dite Assemblée. Elles ont été portées devant les Etats Généraux par un autre colon M. Lamiral désigné en la circonstance comme « député du Sénégal ».
Comme on le voit, le contenu de ces doléances n'a rien à voir avec les préoccupations de l'immense majorité des populations du territoire qui forment le Sénégal d'aujourd'hui. Les revendications de ces colons étaient diamétralement opposées à celles des paysans de l'époque qui étaient soumis à la tyrannie des négriers.
On ne peut donc décemment proposer au peuple sénégalais de telles doléances comme une source d'inspiration dans sa lutte pour la démocratie véritable et le progrès social.
2. Le choix de Niani Bagnna comme hymne de la jeunesse de notre pays révèle encore l'orientation néocoloniale de la politique culturelle du régime. Les Sénégalais savent que ce chant a été composé par des griots du Kajoor à l'occasion de la guerre qui a opposé le Damel Lat Joor au roi du Niani (royaume sénégalais de la Haute Gambie).
Par sa signification, ce chant évoque un chapitre des luttes intestines entre les entités politiques du territoire de notre Sénégal actuel. Ces divisions crées et entretenues par les conquérants ont pesé négativement sur l'action unie des différents mouvements populaires contre la conquête. Leur influence a heureusement commencé à s'estomper chez les citoyens d’aujourd’hui.
Un régime soucieux de promouvoir l'unité nationale en général et celle de la jeunesse en particulier aurait pu choisir un hymne autre que celui-là.
Par exemple Malaw, ce chant dédié au célèbre coursier de Lat Joor. Malaw refuse, dit-on, de voir le chemin de fer qui, à ses yeux symbolisait la domination française au Kajoor. Un tel hymne, par sa signification sied mieux aux préoccupations de notre jeunesse qui dans sa majorité lutte contre la domination du capital étranger et ses alliés, les principaux ennemis de notre peuple.
Ici, encore, on le constate, le choix de Niani Bagnna n'obéit à d'autre logique que celle qui consiste pour le régime de Senghor inconditionnellement profrançais, à ne rien entreprendre tant au plan économique que culturel qui touche aux intérêts de ses maîtres.
Le combat pour une culture nationale et populaire est indissociable de la lutte générale que mène notre peuple pour sa libération totale. La lutte sur le front culturel est une autre dimension importante de l'action multilatérale que Vérité, notre journal, entend mener.
DÉCÈS DE MOUSTAPHA SOURANG
DERNIÈRE MINUTE SENEPLUS - L'ancien ministre de l'Education, puis de la Justice et enfin des Forces armées, également ancien recteur de l'UCAD, s"est éteint cette nuit de lundi à mardi à l'hôpital Principal de Dakar
Enseignant à l'Université de Dakar, il est le doyen de la Faculté des Sciences juridiques de 1984 à 1999, puis le recteur de l'Université Cheikh Anta Diop de 1999 à 2001. En mai 2001 il est nommé ministre de l'Éducation, un poste qu'il occupera jusqu'à sa nomination au poste de Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, le 1eroctobre2009. Le 4décembre2011, il est nommé Ministre des Forces armées.
EXCLUSIF SENEPLUS - Pendant la colonisation l’on pouvait être heureux de s’appeler les évolués, aujourd’hui l’on cultive l’empathie avec son bourreau au point de lui reconnaitre la vertu d’avoir attelé nos ancêtres à la construction des ponts
« Un homme arrive dans une église. On veut le baptiser. On lui dit « On te baptise aujourd’hui ». On prend sa tête et on met dans l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Quand on l’a retirée, on lui dit : « À partir d’aujourd’hui tu es baptisé. Ton ancien nom ? Tu n’es plus ton ancien nom. A partir d’aujourd’hui tu t’appelles David. Et tu ne dois plus boire de l’alcool.
Il arrive à la maison ; il ouvre son frigo, il prend une bière bien glacée. Il plonge dans l’eau : une fois, deux fois, trois fois. « A partir d’aujourd’hui tu ne t’appelles plus… bière. Tu t’appelles… jus d’orange. »
Et il boit.
Un humoriste sur RTI
L’on peut se réjouir que certains actes forts, certaines idées forces qui ont jalonné les processus de décolonisation dans nos pays, reviennent comme un leitmotiv, pour nous rappeler la nécessité et l’exigence d’un transfert intégral de nos souverainetés confisquées. Zaïrianisation, politiques de l’authenticité ayant pour corollaire le changement de prénoms au Tchad, au Togo, le défi sankariste couronné par le dé-baptême de la Haute Volta, etc. Et puis hier encore cette déferlante que soulève la tragédie de George Floyd… et qui parfois s’en prend aux monuments, aux statues, aux noms de rue, de villes, de places publiques… qu’elle s’efforce d’emporter. L’on serait tenté de regarder la vague haute moutonner simplement vers son extinction, sans coup férir. Et puis l’on hésite à se tenir ou non hors des rangs. Surtout que, de se pencher à nouveau sur le déboulonner-débaptiser s’apparenterait à enfoncer les portes ouvertes d’un débat inépuisable, tant il l’est que désormais il se nourrit de la bulle médiatique au point de sortir les politiques de leurs gonds. Il n’en demeure pas moins que les nouveaux contextes géopolitiques nous exhortent au débat. Déboulonner, ne pas déboulonner, débaptiser, ne pas débaptiser… Et voilà plantée la question « existentielle » ! Certes, elle n’est pas à l’abri de la complexité et davantage parce que la spectacularisation de l’obscène est devenue la panacée d’un monde à court d’inspiration et qui se laisse tenir en laisse par l’émotion… douteuse, parfois traitresse. A mon humble avis - puisqu’il s’agit d’opinion -, le dilemme ne devrait pas en être un. Et la question devrait plutôt s’énoncer en ces termes : que veut donc conserver la mémoire collective d’une communauté humaine, d’une nation, d’un empire, lorsqu’elle arpente les péripéties de son Histoire ? C’est de souveraineté qu’il s’agit, de Mémoire et d’Histoire.
D’emblée, il me faut avouer que je comprends difficilement la fougue des jeunes français, belges, anglais, ceux nés de l’immigration récente et qui veulent s’en prendre à la statue de Léopold II dans un patelin de Belgique, celle de Colbert au Sénat français, celle d’Edward Colston à Bristol. Ils devraient avoir adopté tous les fantômes de leur terre de naissance : l’Europe, s’ils ont décidé d’en faire partie !
Et parfois, les mauvaises questions, il faut ne pas éviter de se les poser ? Comment vouloir exiger des nations-criquets-pèlerins, issues d’une civilisation qui s’est construite sur le principe de la prédation systémique et qui au sortir d’un Moyen-âge brumeux lourd de superstitions, de famine, de surpopulation, de maladies, endémiques, qu’elles ne se fussent pas lancées dans l’aventure des conquêtes territoriales et razzias esclavagistes ? Comment attendre de ces nations-criquets-pèlerins qui pour mettre en œuvre leur révolution industrielle, ont eu besoin de matières premières, d’étendre leur marché, de secréter les lois du laisser-faire, qu’elles n’eussent pas été des modèles du gangstérisme ? Que dire donc de toute l’armada intellectuelle, ce que Nkrumah appelle l’Empire scientifique, qui par le biais de mythes têtus et doctrines, a jeté les fondations idéologiques très pérennes de toutes ces formes de domination ?… Comment veut-on que ces nations-criquets-pèlerins qui par deux fois ont entrainé l’Humanité entière dans leurs guerres byzantines chroniques et qui se gavent du négoce des armes, tout en continuant de détruire les autres peuples par tous les moyens de leur « intelligence » et de leurs nouvelles Bulles papales Onusiennes, ne vénèrent-elles pas les héros et hérauts de leur suprématie ? Pourquoi voudrait-on que français, belges, anglais, hollandais, etc., déboulonnent-ils de leur Mémoire barbare, une Histoire certes construite autour de la déprédation, mais qu’ils assument comme hauts faits de gloire puisqu’elle leur a procuré la pitance, les a enrichis et a consolidé leur hégémonie sur le monde ? Leur faire rendre gorge ? Faut pas rêver : la repentance, le pardon, le regret, la contrition, c’est évidemment une chausse-trape judéo-chrétienne, belle ruse qui lave le crime ! De Gaulle adulé n’en est pas moins comptable de l’extermination de centaines de milliers d’Algériens, de centaines de milliers de Biafrais, de trois cent mille militants de l’Union des Populations du Cameroun, de la fondation du système françafricain, des crimes économiques qui résultent de l’imposition du Franc CFA… Et la liste est longue.
En définitive, les gens en Europe sont souverains chez eux et les statues, les bustes, les monuments, sont parfaitement à leur place, là où ils ont décidé de les planter. Image, miroir, images kaléidoscopiques : c’est une question de reflet, de réfraction. Ces œuvres-là ne rappelleraient que mieux la cruauté nécessaire au Léviathan, si elles ne constituent pas en outre un panthéon de fantômes inspirateurs de nouveaux crimes bien d’aujourd’hui. Haro sur le vandale qui voudrait ruiner la mémoire glorieuse des autres !
Déboulonner, débaptiser, dégrader… Ah le cri du cœur : l’on en arriverait à dépeupler les nations esclavagistes et les empires coloniaux de toutes leur belle mise : l’archéologie des savoirs fondateurs de la mission civilisatrice de l’Occident et dont l’édifice idéologique a implanté la fabrique de la mélanophobie, de l’indigénat, du sujet, de la mentalité prélogique, de l’homme de couleur, du nègre primitif, du bon sauvage, de la Terra incognita... C’est dire tagger, noyer, dégrader, maculer de peinture rouge ou fouetter Voltaire, Humes, Beaumarchais, Montesquieu, Adam Smith, Bartholomé de las Casas, Napoléon, Renan, De Gobineau, Ferry, Hegel, Maupassant, Nicolas V, Sarraut, Kant, Colbert,… Victor Hugo dont l’ode au colonialisme continue de résonner si haut, si fort. …"Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra." "Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. »[1]
Oh oui ! J’entends déjà les appels à l’objectivité ! Bien sûr qu’il serait réducteur de limiter toute l’action d’un homme, illustre philosophe ou politique à un discours, un acte malencontreux singulier dans l’éventail vaste d’autres actions plus humanistes qu’il a pu poser. Bien sûr qu’il n’est pire cécité que celle de vouloir juger les gens d’hier à l’aune de nos jours d’hui et de convoquer morale ou éthique dans une perspective axiologique sentencieuse quand le champ des valeurs est multiple et divers… Bien sûr que beaucoup parmi eux ont été et continuent de marcher à nos côtés dans nos luttes de libération… Cela n’empêche pas de se poser les questions qu’on refuse parfois de se poser… comme : « Pourquoi donc les multiples associations internationales qui quotidiennement scrutent à la loupe le moindre mouvement en Afrique pour épingler leaders criminels et propriétaires des biens mal acquis ne traduisent-elles pas en justice les Bush pour leurs guerres dévastatrices en Irak ? Sarkozy et Bernard Henry Levy pour leur abominable guerre en Lybie ? Où donc ont disparu les avoirs libyens du temps de Kadhafi, estimés à de centaines de milliards de dollars ?...
La communitas, le grand leurre : en fait, le colon, il n’est jamais parti !
Mais pour nous africains, que donc nous racontent les boulevards Giscard d’Estaing, les interminables avenues Charles de Gaulle qui fendent nos capitales, en deux ? Quelles épopées de nos victoires nous chantent Leclerc et Eboué à quelques dizaines de mètres de l’Hôtel de Ville de Ndjamena ? Pierre Savorgnan de Brazza ? Et ce trio Léopold II, Albert Ier et Henry Stanley, tous bénis de la Monusco qui curieusement se découvre la responsabilité de les faire transférer au Parc du Mont N’galiema, et de les dresser haut, altiers, tournés vers le fleuve Congo et sous l’œil vigilant du bon piquet de gardes… Oublierait-on tout aussi aisément l’épisode du Régime de la Communauté, qui permettait au colonisateur de marquer le pas pour installer et « boulonner » ses gardes-chiourmes physiques et symboliques… avant que l’on en soit venu à obéir à l’injonction du Plan Marshall, lequel exigeait un territoire élargi de consommateurs solvables… donc les « indépendances chachacha » ? La bride ne fût lâchée que parce que le maître s’était assuré d’avoir solidement installé ses monuments dans la tête des colonisés, amarré ses accords de monopoles énergétiques et du continuum de l’occupation militaire, satisfait d’avoir défini à merveilles les contours de la dette coloniale dont le CFA est l’instrument sensible… jusqu’à ce matin encore.
Un clin d’œil à Mongo Béti qu’intéressent énormément les questions qu’on se refuse de poser : « Pourquoi nous a-t-on si longtemps pourchassés sur nos côtes, raflés jusque dans nos communautés de l’intérieur des terres, transportés au fond des cales, vendus à l’encan sur les marchés américains comme vil bétail, courbés sous le cruel soleil des plantations de coton, entassés et lynchés dans les ghettos de grandes villes industrielles, contraints aux travaux forcés sur les chantiers africains, assujettis à un système colonial inhumain d’abord, puis au pillage des firmes néocoloniales après les « indépendances », et aux dictatures que ces firmes sécrètent tout naturellement ? Pourquoi ? Parce que nous étions et sommes d’ailleurs toujours des sauvages à civiliser, des cannibales dont il convient de corriger les goûts pervers, des païens à convertir, des paresseux à transformer en producteurs »[2] Le colon s’en était-il allé ? Revient-il ? Oh que non ! Dans les faits, aux indépendances de nos pays, il n’y a jamais eu de véritable repli du colonisateur pour que l’on évoque sereinement le retour du colonial. L’on pourrait sans trop de risques souligner plutôt le phénomène de substitution frauduleuse de présence permanente avec de temps à autres des accès d’apparition de fantômes et d’ectoplasmes au seuil de la conscience. Dans le champ de la théâtralité, l’on parlerait de spectres, d’apparitions liminales. Des monuments coloniaux ? Il s’agit d’une espèce d’esthétique de la mémoire politique, qui revendique une certaine territorialité, une présence presque liminaire et convie à un genre de communitas perpétuel où les spectres sont légion au bal nocturne des sorciers. Si l’on en croit Jean-Louis Borloo, ancien ministre français : « Donc, nos destins sont liés… Et tout le monde s’en rend compte ! D’abord les liens avec l’Afrique, même inconscients, restent forts. Ensuite, on ne peut plus éviter le sujet. Pas besoin d’avoir fait des années d’études pour comprendre que, si l’Afrique ne se développe pas, les mouvements migratoires vont évidemment se poursuivre et s’intensifier. Ce n’est pas des centaines de milliers, mais des dizaines de millions de personnes qui voudront aller vers la lumière. Et si l’Afrique se développe, le marché au bout de la rue, avec ses 2 milliards de personnes, pourrait bien remplir les carnets de commandes de nos entreprises. Les grands dirigeants économiques français, ceux dont le métier consiste à définir des visions stratégiques, ont identifié un nid de croissance en Afrique. L’avenir de la France se joue en l’Afrique[3]… Mais oui, colonisés et colonisateurs, nous sommes les mêmes, n‘est-ce pas ? Nous parlons la même langue, nous adorons le même dieu barbu qui trône au milieu des anges, nous mangeons le même pain, buvons le même vin, arborons la même cravate, vénérons Aristote, Kant, Spinoza, Lamartine, Machiavel, Baudelaire, Shakespeare, Keynes, Marx, Hegel, le Fourrier des phalanstères ! Et lorsque le lien spirituel est établi entre les statues de Léopold II à Kinshasa, celui de Leclerc à Ndjamena, celui de Faidherbe à Saint-Louis, et quand à tout ce beau monde se joignent les entrelacs toponymiques des rues et avenues aux mille noms d’oiseaux, la monnaie fantôme de la colonie, etc. la Communauté resurgit. Les spectres s’installent autour du cercle des initiés dans le bois sacré : les rituels sont rodés. Que le même amour divin nous unisse ! Et vive la communitas ! C’est cathartique ! Nous en avons besoin pour combler l’absence, la disparition programmée des indépendances « chachacha » … Déprimant que l’on se refuse de sentir que « l’ocelot est dans le buisson, le rôdeur à nos portes, le chasseur d’hommes à l’affût, avec son fusil, son filet, sa muselière ; le piège est prêt, le crime de nos persécuteurs nous cerne les talons…! »[4]
Et si l’on épiloguait encore, l’on dirait que l’aurore rouge que l’on nous promet, n’a rien de boréal. Eh oui, chiche, le mondialisme sauce cube Maggi… Le tout homogénéisé politique, économique, culturel, transforme l’infinie diversité des « sujets pensants » en un bloc monolithique régi par la pensée unique eurocentrée. Et surtout nivelle un terre-plein sur lequel construire le nouvel ordre mondial : celui de la domination du capital, des grandes fortunes, de quelques illuminés lubriques décidés à en découdre avec notre Humanité. La zombification de l’Homme par le marché et le tout « intelligence artificielle », outils de la conquête du comportemental battent le plein. Bientôt nous ne serons tous que des consommateurs passifs et lobotomisés, pavloviens accrocs aux produits fastfood du marché abêtissant, incapables d’exercer la faculté de jugement et de réaction, tant la machine huilée avec ses gardes chiourmes, ses armées répressives, veille à ce qu’aucune liberté, aucune différence ne puisse s’exprimer. A l’Homme de fer succède aujourd’hui l’Homme transhumain et pour les siècles à venir, zombie métamorphosé par les dieux peu avenants, ceux du contrôle total de nos moindres gestes, de notre moindre pensée. Le nouveau challenge se logerait certainement dans cette autre confrontation supra coloniale.
Le Syndrome de Stockholm
Pour revenir à nos bustes et monuments en question, l’idéologie néocoloniale perpétue ardemment une sorte de Syndrome de Stockholm. C’est inscrit dans ses gènes. Hier encore pendant la colonisation l’on pouvait être heureux de s’appeler les évolués, aujourd’hui l’on cultive l’empathie avec son bourreau au point de le défendre becs et ongles, de justifier sa cruauté, de lui reconnaitre la vertu d’avoir eu la merveilleuse idée d’atteler nos ancêtres à la construction des ponts, des routes, des chemins de fer, le fouet sur l’échine. Parfois on leur a coupé les mains…, les mains de milliers d’hommes et de femmes pour toujours plus de sève d’hévéa… Drôle tout de même qu’il se trouve des africains défenseurs de monuments et statues de colons en Afrique. Tragique et comique à la fois ! Le tango des arguties et éloges se déploie ample : le monument document-pédagogique, sans lequel l’Histoire serait tronquée, le monument-témoin du bienfait de la colonisation civilisatrice, l’habitus confèrerait valeur à la statue de Faidherbe et de « son » pont ! Une seule statue de Faidherbe nous manque et Saint-Louis est dépeuplé ! On aime le colonisateur, l’on s’éprend de lui, l’on attend de lui qu’il nous aime, qu’il nous adoube, qu’il nous reconnaisse et pour cela l’on s’affuble de magnanimité, ce grand désir de fraternité christique qui lui tendrait l’autre joue lorsqu’il a déjà assené sa main d’acier sur la droite ! « Mais c’est à ce seul prix-là qu’on aura connu le développement ! » L’argument est très vigoureux : celui de l’illimitée dévotion du nègre à son bourreau. Beaucoup d’entre nous sont convaincus que sans la colonisation le continent n’aurait pas connu le développement que propose le monde moderne capitaliste - encore qu’il serait bien à propos de se demander où il commence, où il finit et s’il satisfait vraiment nos besoins vitaux - ; c’est méconnaitre l’Histoire du continent qui pendant des siècles a été au centre des échanges dans le monde et qui sans la rencontre avec l’Occident aurait sans doute connu d’autres formes de développement… Quant à la science, elle n’est ni du septentrion, ni du midi. Elle est de partout, même de nos moindres hameaux. Les résultats des recherches technologiques, scientifiques, les découvertes, nous appartiennent à tous. Ils sont l’aboutissement de processus historiques pendant lesquels, telle découverte succédant à l’autre s’est alimentée de la précédente. C’est l’usage que l’on en fait qui nous distinguerait, surtout quand des esprits malins en confisquent les secrets. Ici la question qui se pose est celle de la profondeur de la plaie. Oh la pertinence, un brin prémonitoire de Cheikh Anta Diop pendant la Conférence de Niamey : « l’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme et quand on croit s’en être débarrassée, on ne l’a pas encore fait complètement. Souvent le colonisé, l’ex colonisé ressemble un peu à cet esclave du 19e siècle qui, libéré, va jusqu’à la porte puis revient à la maison parce qu’il ne sait plus où aller. Depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a acquis des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maitre… »[5]
Et cet orage qui gronde : Panafricanisme au secours !
Au-delà des statues, des bustes coloniaux et des places et rues aux mille noms d’oiseaux, c’est la question de nos souverainetés qui se pose. Quand la mondialisation est anormalement gourmande : on brade nos territoires, nos aéroports, nos ports à tour de bras, l’on abandonne la gestion des eaux, de l’énergie, des communications, aux entreprises coloniales et multinationales sans foi, ni loi ; le vol lourd des cargos remplis de terres rares, l’extractionisme, l’on brandit le prétexte des réformes agraires par la réglementation des titres fonciers pour déposséder les communautés paysannes de leurs terres et ainsi en préparer la vente à la grande industrie agroalimentaire … Les roses et les tulipes d’Amsterdam se cultivent en Ethiopie, au Kenya. … et la liste est longue ! L’on abandonne « notre sécurité » aux armées étrangères dont le chapelet de bases militaires encercle le continent, nous étouffe, exactement comme au temps des forts et comptoirs du yovodah, la traite des esclaves. We can’t breath ! Tout, pour que la jeunesse debout clame « ya basta le Syndrome de Stockholm ! »
En 2001, André Blaise Essama, au Cameroun, était venu à bout de la statue de Leclerc qui trônait devant le palais du Gouverneur à Douala. Il lui a arraché la tête qu’il a transférée dans une plantation agricole et qui devait servir à des rites « pour libérer les camerounais de la domination française », et a laissé le buste gisant auprès du piédestal. Oh la geste épique et symbolique, à la fois politique : « J’ai cassé ce monument afin que le général Leclerc rejoigne la terre de ses ancêtres en Hexagone. Car je pense bien que sa place est certainement de ce côté-là. Cette place où trônait ce monument de la honte est désormais pour nous, la place de Um Nyobe, John Ngu Foncha, Martin Paul Samba, Douala Manga Bell et bien d’autres héros nationaux »[6] L’on a dit de lui qu’il était un déséquilibré mental. Pour sûr qu’il faut être un azimuté pour être logique et cohérent dans cette Afrique possédée par le Syndrome deStockholm. C’est ce mouvement de bascule que nous retrouvons difficilement sous nos tropiques ! Peut-être plus pour longtemps. Cette jeunesse panafricaine debout se réclame de ces hallucinés de l’azur qui n’ont pas besoin de permission pour déboulonner et rebaptiser, exiger la reconnaissance de leurs héros-résistants.
L’oubli fondamental qui sera fatal à l’Occident c’est d’avoir fait la sourde oreille à la nécessité de l’équilibre dans un corps quel qu’il soit. L’ubuntu ou la mâât le traduisent excellemment. Aimé Césaire dans sa façon ferme, effrontée et pugnace le résume parfaitement « c'est de votre maigreur que ces messieurs sont gras ». Six siècles de déséquilibre sont intolérables ! Et les retours du colonial et de l’impérialisme qui consistent à provoquer la destruction par proxy des communautés millénaires constituées, l’écosystème et la planète entière avec, ne pourra plus jamais assurer la prééminence d’une civilisation violente et décadente. Le déséquilibre est désormais rompu. La crise ne se colmatera plus par ces stratagèmes et leurres qui n’ont que trop longtemps duré. Il va falloir trouver un autre discours. A celui-là la jeunesse africaine voudra participer, et, même avec effronterie. Il y a bien longtemps, Emile Cioran a identifié le monstre : Chaque civilisation croit que son mode de vie est le seul bon et le seul concevable, qu’elle doit y convertir le monde ou le lui infliger ; il équivaut pour elle à une sotériologie expresse ou camouflée ; en fait, à un impérialisme élégant, mais qui cesse de l’être aussitôt qu’il s’accompagne de l’aventure militaire. On ne fonde pas un empire seulement par caprice. On assujettit les autres pour qu’ils vous imitent, pour qu’ils se modèlent sur vous, sur vos croyances et vos habitudes ; vient ensuite l’impératif pervers d’en faire des esclaves pour contempler en eux l’ébauche flatteuse ou caricaturale de soi-même.[7]
Les statues de colons, les monuments coloniaux, les avenues et places aux noms de colons, c’est dans nos têtes qu’ils sont érigés ; c’est aussi dans nos têtes qu’il faut les renverser, les déboulonner, les débaptiser…
Koulsy Lamko est universitaire, spécialiste du théâtre, romancier, dramaturge et poète. L’auteur Tchadien est un des grands noms de la littérature africaine contemporaine.
[1] Extrait du discours prononcé le 18 mai 1879, pendant le banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher.
MANSOUR CAMA, DÉFENSEUR D'UN SECTEUR ÉCONOMIQIUE NATIONAL DIGNE
Tout au long des travaux des Assises Nationales dont il a été, à côté d'Amadou Makhtar Mbow, un des principaux piliers il a, sans relâche, défendu les principes du patriotisme économique
J'éprouve une profonde tristesse avec la disparition brutale de Mansour Cama.
Militant engagé sur le front de l'indépendance économique de notre pays, il s'est battu pour la construction d'un secteur privé national agent indispensable d'un développement national véritable. Tout au long des travaux des Assises Nationales dont il a été, à côté d'Amadou Makhtar Mbow, un des principaux piliers il a, sans relâche, défendu les principes du patriotisme économique.
Il laisse en héritage les conclusions de cette expérience inédite dans notre histoire et dont la pertinence vient d'être encore démontrée par la crise du Covid-19.
Adieu cher ami !
Ton modèle d'humilité et de recherche passionnée d'une Afrique maîtresse de son destin économique continuera d'inspirer les jeunes entrepreneurs de notre cher continent que tu as tant aimé.