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3 mai 2025
Economie
par Benoit NGOM
MACKY SALL ET « L’APPEL DE DAKAR » : MOBILISATION CONTRE LE COVID-19
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Sénégal a une bonne occasion de contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre mondial si les Africains au sortir de cette sombre période, décident de prendre leur destin en main en comptant d'abord sur eux-mêmes
En pleine crise sanitaire, alors que l'ombre menaçante du COVID19 s’étendait au-dessus des continents et que le Sénégal comptait sa première victime en la personne de l'illustre Pape Diouf, la presse nationale créait l’événement en publiant, fait relativement rare en Afrique, une tribune du chef de l’Etat sous le titre « L’Afrique et le monde face au covid-19 : point de vue d’un Africain - Par Macky Sall, Président de la République du Sénégal »
Cet appel est en parfaite adéquation avec une initiative que nous avions en partage avec quelques juristes africains visant à lancer un appel à l’endroit des dirigeants de notre continent pour une meilleure capitalisation des expertises africaines dans la Phase post pandémie COVID19. A cet égard, nous pensions que pour beaucoup de raisons, le président du Sénégal pouvait être porteur de cet appel à l’action auprès de ses pairs africains pour lui conférer la portée politique souhaitée.
Cependant, après avoir lu cette contribution fondamentale du chef de l'Etat, nous nous sommes dit que ce qui nous restait à faire était de participer au mieux à la réalisation des idées contenues dans ce texte.
Sous ce rapport, il nous semble que c’est une occasion rare qui est offerte à l’intelligentsia du Sénégal afin que chacun selon sa spécialité, enrichisse cette réflexion du président de la République en indiquant les initiatives qui pourraient être prises pour aider au développement harmonieux du Sénégal après le COVID19. Ce que notre organisation ne manquera pas de faire.
Dialoguer avec un président qui exprime son désir d’agir et qui s’en est donné les moyens nous parait à la fois souhaitable et opportun.
En effet, jamais avant lui, depuis l'indépendance du Sénégal, le président de la République n'aura confondu, en même temps dans ses mains, l’ensemble des pouvoirs constitutifs de l’Etat, la liberté d’évaluer seul les moyens dont il a besoin et le mandat souverain d’agir selon son bon vouloir.
Ainsi, après avoir obtenu le vote de la loi d’habilitation pour décréter l’Etat d’urgence, il a mis en place un Programme de Résilience Économique et Sociale (PRES), d’un coût global de 1.000 milliards de FCFA, soit environ 2 milliards de dollars US, en vue de lutter contre la pandémie et soutenir les ménages, les entreprises et la diaspora …et a créé un Fonds de Riposte contre les Effets du COVID-19, FORCE-COVID-19, financé par l’État et des donations volontaires, pour couvrir les dépenses liées à la mise en œuvre du PRES.
Dans cet esprit, nous semble-t-il, le chef de l'Etat dispose d'une "fenêtre de tir" pour mener sans difficulté, l'ensemble de la nation vers les cimes de l'émergence en préparant la gestion économique et sociale de l'après COVID19. Cette opportunité d’action pourrait permettre au chef de l’Etat d’accentuer les programmes de transformation culturelle, économique et sociale nécessaire à une certaine refondation du Sénégal qui s’appuierait sur une nouvelle forme de gouvernance et le développement de nouvelles solidarités.
C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que chaque peuple se trouve enfermé dans les frontières de son territoire national sans possibilité légale d’en sortir ou presque. Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, nous sommes face à nous-mêmes sans la présence des autres pour orienter nos actions.
C’est donc en ayant foi en nous-mêmes que nous allons montrer à la face du monde que, comme le dit le président, « L’Afrique, berceau de l’humanité et terre de vieille civilisation, n’est pas un no man’s land. Elle ne saurait, non plus, s’offrir comme terre de cobayes. Exit également les scénarios catastrophistes qui s’évertuent à dessiner un futur d’apocalypse pour le continent». L’intervention exceptionnelle du Groupe des Ambassadeurs africains basés en Chine le 10 Avril dernier pour dénoncer les traitements discriminatoires que subissent les africains dans ce pays présage peut-être d’une volonté du continent de ne plus se faire marcher sur les pieds en silence.
C’est aussi la première fois que beaucoup d'hommes et de femmes comme moi ont pu évaluer l’étendue de notre expertise nationale dans les domaines les plus pointus de la médecine. L’apparition, à travers les médias, de ces experts sénégalais dont les noms n'étaient connus que de quelques initiés a aiguillonné une vaillante jeunesse scientifique pressée et fière de montrer ses capacités à travers ses inventions.
C'est le moment de prôner sans ambages la rupture par rapport à certains travers du passé. C’est le moment de croire d'avantage en nous-mêmes, de penser de plus en plus par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Le président est à l'abri de toute pression venant d’un camp de l'espace politique des lors que les leaders de l'opposition à l'unanimité ou presque ont accepté son programme, et qu’il bénéficie de la bénédiction de tous les chefs religieux, alors que la population dans son ensemble est à son écoute. Ainsi est-il libre de n'écouter que la voix de la raison pour insuffler à son peuple plus de patriotisme.
C’est donc le moment pour les intellectuels du Sénégal de se regrouper en fonction de leur spécialité pour proposer des initiatives concrètes qui vont dans le sens de la réalisation du « Programme de Résilience Economique et Sociale » adopté par l’ensemble du corps social. Ces initiatives, toutefois, doivent se dérouler sous le sceau de la rigueur et à l’abri de tout opportunisme inapproprié, et de tout sectarisme de mauvais aloi.
En ce sens, certains départements ministériels doivent s’ouvrir davantage aux Think-Tank de la société civile dont les études et les recherches devraient d’abord servir au pays. Une telle coopération, par exemple, aurait pu permettre, à n’en point douter, de mieux assurer la restitution au niveau des sphères intellectuelles et universitaires des résultats des nombreuses et prestigieuses initiatives de la diplomatie sénégalaise.
Le président de la République pourra ainsi veiller à une mobilisation coordonnée de l’élite sénégalaise et, à cet effet, sous sa haute autorité, mettre en place une structure dédiée.
Le président Macky Sall a, une bonne occasion de consolider le leadership diplomatique du Sénégal et de contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre mondial si les africains au sortir de cette sombre période montrent leur ferme volonté d'agir ensemble et qu’ils décident de prendre leur destin en main en comptant d'abord sur eux-mêmes. En clair, les leaders africains doivent accepter de développer des actions solidaires et concertées.
C’est dans cette perspective, me semble-t-il, que le 2 décembre 2019 à Dakar fut porté par la voix du chef de l’Etat du Sénégal à la connaissance de la communauté internationale, le texte dénommé « Consensus de Dakar » dont l’idée est : « de faire en sorte que la conférence de Dakar contribue à faire converger une position de principe qui soit consensuelle sur un impératif délicat à savoir comment trouver le juste équilibre entre le développement durable et la dette soutenable ». En clair, il s’agirait d’une relecture africaine du « Consensus de Washington ».
Sous ce rapport, il n'y a pas de doute que la communauté internationale se faisant l’écho de l’invite œcuménique du Pape François, entendra positivement « l'Appel de Dakar » en réservant un accueil favorable à la proposition d'annulation de la dette présentée au nom de l'Afrique par le président Macky Sall.
Pr Benoit Ngom est Président Fondateur de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA) et de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice et les Droits Fondamentaux en Afrique (IHEJDA)
ENTRETIEN AVEC L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS BOUBACAR BORIS DIOP
DES PANGOLINS ET DES HOMMES
EXCLUSIF SENEPLUS Le confinement, une solitude que nous ne connaissions pas. Certaines sociétés donnaient la fausse impression d’y être mieux préparées. Cette terre aux rues désertes est en apnée, son cœur a cessé de battre et la mort y rôde nuit et jour
Propos recueillis par S. S. Gueye, A. Sène et B. Badji |
Publication 15/04/2020
Le président Macky Sall a pris une batterie de mesures pour faire face au Covid-19. Est-ce que sa stratégie vous convainc ?
Il faut avant tout saluer le dévouement du personnel soignant, des femmes et des hommes qui abattent un travail colossal au péril de leur vie. C’est à leurs sacrifices que nous devons de pouvoir dormir paisiblement chaque soir. Cela dit, dans ces circonstances exceptionnelles et même si personne ne sait de quoi demain sera fait, le pays tient debout. On le doit en partie au président Macky Sall. Je suis de ceux qui n’avaient pas compris son refus de rapatrier les 13 étudiants de Wuhan mais les faits lui ont donné raison. Il est vrai aussi qu’il a tergiversé au début et que la fermeture tardive des frontières nous a mis finalement au contact de l’épidémie. J’ai entendu le Dr Bousso dire qu’au Sénégal 96% des cas étaient directement ou indirectement importés. Sans ce retard à l’allumage, nous serions dans une bien meilleure situation à l’heure actuelle. J’avouerai par ailleurs une certaine perplexité par rapport aux chiffres que donne chaque matin le ministre Diouf Sarr. Si on compare avec ce qui se passe dans les pays les plus touchés, le nombre de cas reste extrêmement bas. Cela rassure mais d’un autre coté il y en a chaque jour une bonne dizaine de plus. Et quand un jour il n’y a que deux nouveaux cas, le nombre repart à la hausse dès le lendemain. Voilà, en gros chacun joue sa partition, la société civile, les religieux, les artistes, les médias et surtout la population qui se montre bien plus disciplinée que prévu. Le président Sall aurait dû tenir compte de cet élan patriotique au moment de faire procéder à la distribution des vivres aux nécessiteux. Cela dépasse presque l’entendement qu’il l’ait confiée à son beau-frère ! Au final, nous voici avec, sur les bras, une polémique qui va enfler au fil des jours et nous détourner de l’essentiel.
La hiérarchisation des priorités va-t-elle être remise en cause ? Va-t-on enfin comprendre que la santé et l’éducation ne peuvent pas être marginalisées dans les plans de développement comme cela est le cas depuis tant de décennies ?
Certains vont peut-être dire qu’il ne faut pas se défausser sur les autres mais les programmes d’ajustement structurel ont été quasi fatals à la santé et à l’éducation partout où ils ont été appliqués. Cela dit, lorsque Macky Sall engloutit des sommes faramineuses dans un TER qui jusqu’ici n’a roulé que pour lui ou dans d’autres infrastructures routières tape-à-l’œil, c’est son choix ; il semble également obsédé par la construction de stades monumentaux et cela nous coûte horriblement cher. On sait bien que le peuple veut des jeux mais encore faut-il qu’il soit en vie pour assister à des matchs de foot ou de basket. Je ne veux pas non plus être injuste, je sais que Macky Sall a toujours attaché une très grande importance à la Couverture Maladie Universelle. En outre, on ne peut pas juger les performances de notre système de santé à la seule aune de cette pandémie que personne n’a vue venir. Toutefois, à l’échelle d’un pays comme le Sénégal, la priorité aurait dû être accordée depuis longtemps à des investissements sur l’humain, au bien-être des populations et à la formation, celle des jeunes en particulier. Le contraste est par exemple choquant entre la belle réputation de la Fac de médecine de Dakar et l’état de nos structures sanitaires.
Diriez-vous que les chefs d’Etat africains qui se battent avec les faibles moyens de leurs différents pays ont pris la mesure du danger?
Je ne pense pas qu’on puisse leur faire ce reproche. Encore une fois, personne n’a rien vu venir. Il y a eu au cours des deux ou trois dernières décennies le SRAS, la grippe H1N1, la vache folle, etc. À chaque fois, on a craint le pire mais il y a toujours eu plus de peur que de mal. Ebola, qui a été en soi beaucoup plus sérieux et dur que ce que nous vivons en ce moment, a pu malgré tout être jugulé. Donc, lorsque le Covid-19 commence à frapper à Wuhan, tout le monde avait en quelque sorte baissé la garde depuis longtemps. J’espère que pour l’Afrique ce sera un avertissement sans frais, si jamais le virus agresse sérieusement l’Afrique au cours des semaines à venir, ce sera l’enfer sur terre.
Justement, certains prédisent des millions de morts en Afrique…
Ce qui arrive en ce moment à l’humanité est si inexplicable que nous nous surprenons tous à fantasmer sur une hécatombe, voire sur la destruction de notre espèce. Parmi ceux qui annoncent des millions de morts en Afrique, certains sont bien intentionnés, ils nous invitent à la vigilance. C’est le cas, par exemple, de ce groupe d’anciens chefs d’Etats africains mené par le Nigerian Obasanjo ou de la Fondation Moh Ibrahim. Mais beaucoup d’intellectuels et d’hommes politiques occidentaux ont juste du mal à comprendre que dans les circonstances actuelles l’Afrique ne soit pas en train de baigner dans son sang. Cela leur est tout simplement insupportable. Mais ce n’est pas parce que l’Afrique a ‘’l’habitude du malheur’’ – pour reprendre l’expression de Mongo Beti – que l’on doit s’autoriser tous les délires à son sujet. Ceux qui disent cela, Macron, Gutteres, etc. sont sans doute embarrassés par une tiers-mondisation de l’Occident qui n’était pas vraiment au programme. Jusqu’ici, le ramassage journalier des cadavres, les fosses communes et tout le reste, cela se passait à la télé et chez les autres, en Syrie, au Congo ou au Yémen. C’est dur de devoir se taper un tel chaos mais il faut savoir raison garder.
Peut-on se permettre d’être optimiste ?
Non, les choses ne sont pas aussi simples. Tout va très vite, ce nouveau coronavirus est particulièrement vicieux et on ne sait presque rien de lui. Pourtant, si on s’en tient à la situation réelle, je veux dire aux chiffres concernant notre continent, rien ne permet de prédire une catastrophe africaine imminente avec, comme dit Melinda Gates, des millions de cadavres dans les rues. Pourquoi les chiffres restent-ils si bas en Afrique depuis trois mois ? Il se pourrait bien que pour une raison ou une autre ce virus soit moins dangereux chez nous que dans le reste du monde. Et c’est à ce niveau que l’histoire nous interpelle et nous enjoint de nous projeter au-delà du présent. Si, à Dieu ne plaise, un autre virus, tout aussi dévastateur, s’attaquait dans quelques années non plus à l’Italie, à l’Espagne, aux États-Unis ou à la France mais aux pays africains, y survivrons-nous ? Nous devons réfléchir dès aujourd’hui à cette éventualité et nous préparer soigneusement à y faire face. Notre principale arme, à l’échelle du continent et de chaque pays ce sera la souveraineté politique et économique. Au fond, ce que ces prophètes de malheur nous disent, c’est que nous avons toujours été voués à la mort et que le destin ne saurait rater une aussi formidable occasion de nous donner le coup de grâce.
Cette crise ne doit-elle pas sonner le réveil des Africains qui dépendent pour l’essentiel des Chinois et des Occidentaux?
Cette question ne concerne pas uniquement l’Afrique, depuis quelque temps la Chine approvisionne le monde entier et chacun a pu mesurer les dangers d’une telle dépendance. Beaucoup de dirigeants de pays industrialisés ont fait état en termes à peine voilés de leur volonté de sortir de ce schéma dès la fin de la crise. Le Japon a même commencé à offrir ses services. Nous, cela fait longtemps que nous dépendons à la fois de l’Asie – surtout de la Chine - de l’Europe et de l’Amérique. La pandémie pourrait avoir un effet catalyseur sur la ZLECA ou ouvrir de nouvelles perspectives d’intégration économique aux plans régional et continental. Cela relève du bon sens et d’une simple logique de survie. Il est par ailleurs logique de s’attendre à une pénurie alimentaire et nous serons bien obligés de consommer sénégalais. Ce serait bien que cette pratique s’installe sur la durée.
Cette pandémie est un événement exceptionnel. Il ne s’est rien passé de tel depuis 1918, année de la ‘’grippe espagnole’’. Quatre milliards d’êtres humains restent confinés chez eux. Comment analysez-vous cette crise inédite qui affecte le monde entier ?
Avec au moins quarante millions de morts, la ‘’grippe espagnole’’ a été plus meurtrière que la guerre de 14-18. Nous sommes loin de ces chiffres avec le Covid-19 mais ce qui se passe aujourd’hui est encore plus impressionnant. En fait, l’inimaginable, au sens le plus strict du terme, se produit sous nos yeux depuis bientôt trois mois. Le monde en a certes vu d’autres mais chacun de nous peut bien sentir en son for intérieur que jamais rien de tel ne s’est produit dans l’histoire de l’humanité. Je fais allusion ici à l’impossibilité de toute circulation maritime, terrestre ou aérienne, à la fermeture des écoles du monde entier ainsi que des stades, théâtres et autres lieux de loisirs. Si en plus de toutes ces choses déjà difficiles à concevoir, vous avez quatre milliards d’êtres humains en confinement invités à se laver tout le temps les mains et à ne presque jamais se parler, cela fait quand même extrêmement bizarre. Nous ne savons quoi dire en voyant toutes ces villes complétement vides, tous ces orgueilleux gratte-ciels plus conçus pour être admirés que pour être habités et qui nous semblent soudain si insensés ! Je crois sincèrement que nous sommes en train de passer de l’autre côté du réel et il est fascinant que cet atterrissage dans un monde non pas nouveau mais autre, dans une autre temporalité, se fasse sans fracas, à pas de velours en quelque sorte. Le confinement, c’est le temps d’un silence et d’une solitude que nous ne connaissions pas, eux non plus. Certaines sociétés pouvaient donner l’impression d’y être mieux préparées que d’autres mais on voit bien que ce n’est pas le cas, cette terre aux rues désertes est littéralement en apnée, son cœur a cessé de battre et la mort y rôde nuit et jour. La vraie question maintenant est de savoir combien de temps tout cela va durer. Il semble peu probable que l’on sorte de cette histoire avant cinq ou six mois. Tout ce qui nous rendait humains, même à notre insu, nous aura été interdit en 2020 qui sera finalement une année pour rien, une année de moins sur la carte du temps mais que paradoxalement nous n’oublierons pas de sitôt. Après, il va falloir réapprendre des gestes tout simples, se serrer la main ou à l’arrière d’un taxi, bavarder entre amis sans craindre de tomber malade. Il nous sera moins facile demain de nous prétendre les maîtres du temps et de l’espace, je veux dire de croire que nous pouvons aller et venir à notre guise ou faire des projets, même à court terme. Nous ne serons plus jamais sûrs de rien, en fait. Nous devons nous attendre à être aveuglés par la lumière à la sortie de ce long tunnel.
Votre activité principale autour de l’écriture a une dimension solitaire importante. Mais autour de vous, les Sénégalais, les Africains ne vivent que peu dans la solitude. Peut-être plus qu’ailleurs, la vie est essentiellement communautaire chez nous et de nombreux Africains considèrent que le confinement n’est pas une option réaliste pour répondre à la crise sanitaire actuelle. Il y a aussi le poids énorme du secteur informel dans nos systèmes économiques. Existe-t-il d’autres alternatives ?
Le mot confinement ne fait pas peur aux écrivains ou aux créateurs en général, il peut même être bienvenu pour eux, surtout dans une société comme la nôtre que Birago qualifiait de ‘’chronophage’’, du fait, comme vous le soulignez, de sa vie communautaire intense. Mais les fameux ‘’cas communautaires’’ qui terrifient tant les médecins à Louga, Guédiawaye, Touba ou Keur Massar, ça n’a vraiment rien à voir avec la littérature. Ils sont potentiellement ravageurs et vont peut-être nous valoir un confinement généralisé. Reste à savoir si ce sera suffisant pour juguler la menace. Je n’en suis personnellement pas sûr. D’autres alternatives ? Les appels à la vigilance ont un certain effet, surtout que les autorités religieuses font entendre leur voix. Il n’y a pas de solution idéale parce que le confinement n’est compatible nulle part avec la nécessité de trouver de quoi nourrir sa famille. C’est encore plus vrai dans une économie de la débrouille. Pour la majorité de la population ce serait un luxe. Les solidarités horizontales vont jouer à fond mais cela ne suffira pas. On peut redouter des pénuries, des émeutes de la faim plus ou moins graves et là il sera plus difficile de garder la situation sous contrôle.
D’un côté la pandémie est globale, elle touche toute la planète mais dans le même temps, elle est micro-individuelle autant dans son impact que dans ses solutions. Quel paradoxe ! N’est-ce pas ?
Mon intime conviction c’est que cette pandémie va être le chant du cygne d’une certaine idée de la mondialisation. Je veux parler de cette image d’Epinal de la ‘’globalisation heureuse’’, presque amusante mais surtout difficile à comprendre au moment même où l’antikémitisme n’a jamais été aussi universel. Voyez les Chinois de Guanzou, ils n’ont pas attendu longtemps pour se remettre à casser du Nègre, c’est pareil dans les pays arabes, ça se passe ainsi presque partout. Mais – là est le paradoxe – cette pandémie est sans doute aussi l’événement le plus mondialisé de tous les temps. Jusqu’ici il y avait tout de même une nette ligne de partage entre le proche et le lointain, il nous arrivait certes de vibrer au rythme de nouvelles venues d’ailleurs mais au fond elles ne nous concernaient que très peu, chacun retournant vite à ses petites affaires, bien différentes. Cette fois-ci Sydney, New York, Kuala Lumpur ou tel village derrière Louga ou Bignona ont finalement les mêmes sujets de conversation, masque ou pas masque, chloroquine ou pas, gestes barrières, confinement, solution hydro alcoolique etc. À vrai dire, il suffirait presque de tendre l’oreille pour entendre le concert des milliards de mains que l’on frotte l’une contre l’autre. Ce n’est pas tout. Depuis deux mois, chacun de nous pense plus souvent que d’habitude à sa propre mort ou à celle des siens, on écrit aux amis à travers le monde pour leur demander de leurs nouvelles mais ils savent bien ce que nous attendons d’eux : un petit signe de vie, comme on dit pour les otages. S’il est enfin un domaine de l’activité humaine qui ne sera plus le même après la pandémie, c’est celui de la création littéraire et artistique, la tragédie va à coup sûr inspirer musiciens, romanciers, poètes et peintres et cela a d’ailleurs déjà commencé.
Pourquoi dites-vous que cette pandémie annonce la fin de la mondialisation ?
D’abord, on peut s’attendre à ce que la circulation des êtres humains d’un continent à un autre se restreigne dramatiquement. Les États vont laisser leurs frontières s’entrebâiller, sans plus, et de toute façon, au moins pendant quelque temps, chacun se sentira mieux dans son pays avec très peu d’envie d’y tolérer des étrangers. Nous sommes désormais plus proches de la haine décomplexée de l’Autre que de ce gentil œcuménisme dont rêvent certains. Même avant cette pandémie, le repli identitaire était devenu une lourde tendance politique en Europe et en Amérique, où les populistes fascisants et les suprémacistes blancs se sentaient littéralement pousser des ailes. Et aujourd’hui les grandes puissances sont moins préoccupées par la maladie elle-même que par les bouleversements sociaux qui vont en résulter. Ce virus a un immense potentiel révolutionnaire, il va s’en aller et nous léguer un monde exsangue où la culture et les relations à l’intérieur des sociétés et entre les nations n’auront plus du tout le même sens. Aux États-Unis, les gens achètent en ce moment des armes à tout va parce qu’ils redoutent une montée en flèche de la violence criminelle et il y a lieu de croire que ce sera pire dans les pays pauvres. Vous avez également vu comment l’Italie, abandonnée à son sort a été obligée de recourir, toute honte bue, à l’aide de Cuba, de la Russie et de la Somalie qui y a dépêché 20 médecins. En outre, l’épisode des vols et des confiscations de masques, notamment par les USA, peut faire sourire mais on n’est déjà pas loin de la loi de la jungle. Chacun affûte ses armes et Trump semble d’ailleurs avoir envie d’une bonne petite guerre du côté du Venezuela…
Quid du nouvel ordre mondial ?
Qui en parle ? Macron et son obligé, Macky Sall. Il s’agit surtout de battre le rappel des troupes, on est ici dans quelque chose du genre : ‘’Marquons notre territoire, ces salauds de Chinois veulent nous chiper l’Afrique !’’ Sauf que l’Afrique ne devrait pas être le continent à chiper par qui que ce soit. Ces trois mots, nouvel ordre mondial, ont l’air anodin mais l’Occident nous a habitués à ces euphémismes destinés à justifier les plus cruelles logiques de conquête. Cela vous fait somnoler et vous vous retrouvez les fers aux pieds avant même de comprendre ce qui vous arrive. Ça, c’est une leçon de l’histoire humaine, c’est en particulier une leçon de notre rapport, nous les Africains, aux autres…
Pensez-vous que le modèle fédéraliste prôné par votre mentor Cheikh Anta Diop aurait facilité la lutte aux différents pays africains face à cette pandémie?
Très certainement et je lis ces jours-ci pas mal de textes sur la pandémie mentionnant le travail de Cheikh Anta Diop, j’entends souvent des analystes se référer à lui sur les plateaux télé. L’idéal panafricaniste devient assurément plus séduisant. Cela n’a rien d’étonnant, on mesure mieux, à chaque tournant de notre histoire, l’actualité de la pensée politique de Diop. Il écrit dès 1960 dans Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire : ‘’Il faut faire définitivement basculer l’Afrique sur la pente de son destin fédéral.’’ Il identifiait aussi notre peur viscérale de devoir compter sur nos propres forces, instruisant surtout par ce biais le procès des élites africaines. Cette frilosité, on la constate aujourd’hui encore en maintes circonstances. Le CFA ? ‘’Ce n’est certes pas l’idéal, vous dira-t-on, mais c’est peut-être un moindre mal’’. Les langues nationales ? Les mêmes intellectuels vous rétorqueront que ‘’oui, bien sûr c’est une question importante mais attention, le français est devenu une langue africaine, ce ne sera pas facile de s’en passer’’.
Cheikh Anta Diop appelait cette attitude la peur du ‘’sevrage économique’’. Malgré tous ces comportements qui trahissent surtout une profonde haine de soi, la situation actuelle montre que nous n’aurons bientôt plus d’autre choix que de nous unir, sauf à accepter de disparaitre purement et simplement. Ou, ce qui ne vaut guère mieux, de rester un gigantesque réservoir de matières premières au profit de pays étrangers, qu’il s’agisse de la Chine ou de ses rivaux. Dans la sauvage guerre économique qui s’annonce, l’Afrique se doit de faire bloc, elle ne doit être le membre inférieur d’aucun des blocs en gestation. Pendant la Guerre froide, nos différents pays se sont éparpillés dans les deux camps et ont affaibli le continent, contre le vœu de Nkrumah et de Cheikh Anta Diop. C’est une autre leçon de l’histoire à retenir.
Comment analysez-vous l’Initiative pour l’Afrique annoncée par Macron ?
Cela ressemble à une mauvaise blague. Le mot ‘’initiative’’ est du reste mal choisi, pour dire le moins. Ainsi donc, ce sont les Européens qui doivent prendre, du haut de leurs préjugés et stéréotypes racistes, l’initiative de notre salut ? On a également annoncé, comme il fallait s’y attendre, une enveloppe de l’Union européenne de quelques milliards. Mais ceux qui prétendent se porter au secours de l’Afrique n’ont pas bougé le plus petit doigt pour aider leurs proches voisins italiens ou espagnols. Le plus curieux, c’est que ces gens gardent assez de présence d’esprit au milieu de la tempête – une tempête de sang, tout de même - pour s’émouvoir du sort de l’Afrique qui, dans ce cas particulier, est bien mieux lotie que leurs pays. La compassion de ces potentiels bailleurs est plus que suspecte. Macron et les Européens pour le compte de qui il ‘’gère’’ notre continent, se gardent du reste bien de rappeler que la dette africaine à annuler appartient pour 40% à la Chine ! Leur attitude est surtout un aveu de taille : on se soucie d’autant plus du sort de l’Afrique que l’on est soi-même dans le désarroi le plus total. Il faut croire que l’Europe perdrait un ‘’pognon de dingue’’ si elle devait se résigner à ne plus nous ‘’aider’’. J’ai été par ailleurs très gêné d’entendre Macky Sall supplier que l’on annule la dette. Le moment était mal choisi, ce n’est pas la chose à dire à des gens plutôt occupés, quoi qu’ils prétendent, à sauver leur peau. Ce n’est pas très digne. Et en plus de cette absence de tact, la démarche de Macky Sall montre bien que pour lui, même après cette pandémie, les relations internationales devront continuer à obéir aux normes totalement injustes en vigueur. Un tel manque de lucidité a de quoi inquiéter et on ne doit pas lui permettre de continuer à brader les ressources de notre pays à des intérêts étrangers.
Vous voulez dire qu’il reste dans la logique de la Françafrique…
Tout à fait. C’est dans ces eaux troubles qu’il a ses repères. Je doute que le président sénégalais puisse concevoir son action politique en dehors de ce cadre.
La Françafrique survivra-t-elle à cette crise ?
Elle va essayer d’enfiler des habits neufs, comme à son habitude. Ça commençait déjà à sentir le roussi pour elle avant la pandémie et à mon avis les choses vont davantage se compliquer, la jeunesse africaine est à cran. La France essaiera malgré tout de s’accrocher car les enjeux économiques et politiques sont devenus encore plus vitaux qu’il y a seulement deux mois. Vous avez vu, Macron n’a pas pu s’empêcher, dans son dernier discours, de parler de l’Afrique. Les Français ont bien décodé son propos et ça leur va tout à fait : l’Afrique viendra à notre secours avec ses inépuisables ressources. Au fond, cela rappelle le discours du 18 juin de De Gaulle : ‘’La France a perdu une bataille mais elle n’a pas perdu la guerre, elle a un immense empire’’… Il faut aussi évoquer dans le même ordre d’idées cette note curieuse du ministère français des Affaires étrangères où les rédacteurs se moquent de nos millions de morts imaginaires (‘’l’effet pangolin’’) en oubliant leurs milliers de morts bien réels, eux. Il est question, dans ce document du Quai d’Orsay, de coopter, en toute démocratie cela va de soi, les futurs dirigeants de certains États africains. La gestion de proximité de nos élites politiques et intellectuelles est une vieille recette de la Françafrique et cela est perceptible dans cette note supposée confidentielle mais que le monde entier a lue avec stupéfaction.
Non, je ne vois pas une remise en cause de la Françafrique. Il faut se souvenir, Emmanuel Macron humilie publiquement à Ouaga le président Kaboré. En une autre occasion, il convoque d’un claquement de doigts cinq chefs d’États francophones à Pau. Puis peu de temps après, il déclare, publiquement là aussi, avoir donné à Paul Biya l’ordre de libérer l’opposant Maurice Kamto. Et vous avez vu la séquence abidjanaise avec Ouattara au sujet du CFA. Si Macron se comporte ainsi au vu et au su de tous, qu’est-ce que cela doit être lorsqu’il est seul avec Macky Sall ou Sassou Nguesso qui lui doivent tout, eux aussi ? Tout cela est assez grossier mais peut-être aussi que c’est rassurant. Bander ainsi des muscles est au fond un aveu de faiblesse et quand le locataire de l’Élysée va jusqu’à se plaindre de ‘’sentiments anti-français’’, c’est qu’il sent le sol se dérober sous ses pas. Mais comme je viens de le dire, il n’a d’autre choix que de s’accrocher. En fait l’influence de la France dans le monde est tributaire de son poids politique en Afrique. Mais au Sénégal, au Mali, au Niger et dans toutes les néo-colonies françaises, les jeunes sont bien décidés à ne plus courber l’échine. Dans une récente chronique Pape Samba Kane disait de cette jeunesse, que rien ne pourra arrêter, qu’elle est complètement déconnectée de la France. Je suis persuadé, moi aussi, que personne ne pourra dompter le peuple transnational et souvent complètement sauvage des réseaux sociaux. J’utilise bien évidemment le mot ‘’sauvage’’ dans un sens positif, pour me féliciter d’une liberté d’expression absolue.
La confiance entre l’État et le citoyen n’est pas particulièrement robuste en Afrique. N’est-ce pas là un problème majeur quand on se retrouve dans une situation comme celle-ci où il est important pour tous de respecter les règles érigées par les gouvernements pour contenir la contagion du virus ?
C’est tout le problème. À l’heure actuelle, les règles sont plutôt respectées au Sénégal mais ce que nous apprennent les ‘’cas communautaires’’, c’est une certaine méfiance envers la parole et les services de l’État. Les citoyens ont appris à faire sans l’État et dans une situation comme celle-ci ils s’en remettent à leur guide religieux pour les prières et au guérisseur pour prévenir ou traiter la maladie. Tout cela bien évidemment en violation de l’état d’urgence. Le phénomène en lui-même peut être vu comme marginal mais ses conséquences, en termes de transmission du virus, peuvent être très graves.
Parmi les changements que cette crise pourrait générer, pourquoi ne pas imaginer notamment l’introduction sans délai des langues nationales dans le système éducatif sénégalais?
Vous pensez bien que pour moi cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais ce défi post-Covid-19 ne concerne pas seulement notre pays et pas seulement non plus la langue. Celle-ci est certes un puissant marqueur d’identité mais d’une manière plus générale, c’est l’estime d’eux-mêmes que les Africains doivent retrouver. Autant nous sommes prompts à monter sur nos grands chevaux pour un regard de travers, autant nous avons tendance, en situation normale, à nous accommoder de comportements qui suscitent le mépris des autres. Comment comprendre par exemple la série de sommets Afrique-Turquie, Afrique-Inde, Afrique-France, etc. ? Tout un continent réuni autour du président d’un seul pays, sur ses terres en plus, pour quémander une aide ruineuse, ce n’est pas beau à voir. La survalorisation de tout ce qui vient d’Asie, d’Europe ou d’Amérique au détriment de nos propres produits rend finalement très coûteux ce complexe d’infériorité. Et que dire des 2.000 milliards dépensés à l’étranger pour s’acheter une longue chevelure blonde ou une couleur de peau bien claire ? C’est un acte d’automutilation qui trahit une profonde haine de soi. Tout porte à croire que dans le monde d’après Covid-19, chaque peuple aura surtout à cœur de retrouver le chemin vers lui-même. C’est pourquoi, pour rester dans l’esprit de la pensée de Cheikh Anta Diop, notre réponse à ce qui arrive en ce moment devra être fondamentalement culturelle. Pour le dire en termes plus clairs, au lendemain de la pandémie, la révolution africaine sera culturelle ou ne sera pas. En vérité, c’est surtout à la tête que nous avons mal.
Votre mot de la fin sur cette crise sanitaire ?
Juste mettre en relation les propos racistes des docteurs Mira et Locht et les attaques haineuses contre les Négro-Africains en Chine. Les premiers voient en nous des rats de laboratoire. Et les autres à Guanzou, nous confondent avec les pangolins, responsables de la pandémie.
Ce racisme n’est pas nouveau mais cette fois-ci il y a eu de fortes réactions, qui sont en train de changer la donne. Je voudrais dire ici à quel point j’en suis heureux. Je crois qu’il est vital de se faire entendre, surtout en ces circonstances dramatiques, nous sommes dans un monde où plus personne ne tend l’autre joue. D’ailleurs, au moment même où les docteurs Mira et Locht nous crachaient à la figure, une petite bande de journalistes menée par une certaine Camille Pittard se payait sur France Inter une franche rigolade au détriment du million de Tutsi massacrés au Rwanda en 1994. C’était leur manière de marquer le vingt-sixième anniversaire du génocide. Cet antikémitisme, feutré ou spectaculaire est, je tiens à le redire à la fin de cet entretien, quasi universel. Tout le monde n’est pas raciste, heureusement, mais pour tous ceux qui le sont, partout, les Nègres d’Afrique sont la première cible. Je trouve étrange que l’on s’obstine à se détourner d’une réalité qui crève les yeux. Les peurs les plus irrationnelles vont être exacerbées par le Covid-19 et accepter d’être les souffre-douleurs de tous les frustrés de la terre, c’est s’exposer à des pogroms. Il est bon de se souvenir que c’est déjà arrivé et que cela peut arriver de nouveau.
PAR Kako Nubukpo
POURQUOI LES DETTES AFRICAINES REVIENNENT TOUJOURS ?
Peut-on décemment se glorifier d'effacer une dette africaine dont les montants n'ont que très peu aidé l'Afrique ? L'économie politique de la compassion internationale ne peut être la voie privilégiée de l'émancipation africaine
Le Point Afrique |
Kako Nubukpo |
Publication 15/04/2020
Les chiffres donnent le tournis : les ministres africains des Finances et l'Union africaine demandent un allègement immédiat de la dette de 44 milliards de dollars et la constitution d'un fonds supplémentaire de 50 milliards de dollars pour faire face au report du paiement des intérêts de la partie non-annulée de la dette africaine. Après le FMI et la Banque mondiale, le G20 et le président français Emmanuel Macron ont annoncé un allègement massif de la dette africaine. Même le pape François a réclamé dimanche dernier lors de sa bénédiction pascale « Urbi et Orbi » l'annulation de la dette africaine. De quoi ce bel unanimisme est-il l'expression ? Pourquoi les dettes africaines reviennent de façon récurrente dans le débat international comme l'illustration de la compassion du reste du monde à l'endroit de l'Afrique ?
Au départ, une vision de la solidarité pour le développement
Le monde de l'après-Seconde Guerre mondiale s'est construit sur l'idée que les pays riches devaient aider les pays pauvres à impulser leur processus de développement, en finançant l'écart entre les besoins d'investissement de ces derniers et leur faible épargne intérieure. Le schéma fut celui du plan Marshall qui a permis à l'Europe de financer sa reconstruction et d'enclencher la période faste dite des Trente Glorieuses, qui prit fin avec la première crise pétrolière de 1973.
Cette vision de l'aide connut d'autant plus de succès qu'elle était d'une simplicité désarmante – l'appui financier dédouanait de l'effort d'appréhension de la complexité des spécificités institutionnelles – et semblait obéir à une logique de gains mutuels dans la mesure où des pays aidés renouant avec la prospérité économique deviennent de facto des partenaires commerciaux florissants : « La marchandise suit l'aide. »
L'Afrique n'échappa pas à cette doctrine portée au pinacle par le FMI et la Banque mondiale et illustrée par une série de plans successifs d'allègements de la dette : le plan Brady, le plan Baker, le plan Kissinger, etc. du nom de secrétaires d'État américains successifs, jusqu'à l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) qui a permis au début des années 2000 d'effacer massivement la dette africaine.
L'implacable réalité pour l'Afrique
La logique derrière l'allègement de la dette est implacable : pour que l'Afrique soit un véritable partenaire commercial, c'est-à-dire pour qu'elle puisse acheter des biens et services en provenance du reste du monde, il faut qu'elle puisse disposer de marges de manœuvre budgétaires et des ressources privées suffisantes, la fameuse capacité d'absorption. Mais pour que sa capacité d'absorption fût préservée, il fallait régulièrement effacer sa dette dont le service (remboursement d'une partie du principal et des intérêts) plombe sa capacité à s'insérer harmonieusement dans le jeu commercial international. Les annonces actuelles d'annulation des dettes africaines n'échappent pas à cette logique, dans un contexte où l'après-crise de Covid-19 s'annonce difficile pour les économies du monde développé et émergent.
Pourquoi la dette persiste-t-elle ?
En revanche, relativement peu de gens se posent la question de savoir pourquoi les dettes africaines reviennent toujours, pourquoi l'Afrique n'arrive pas à se sortir de la spirale infernale du surendettement. Or, c'est dans la réponse apportée à cette question structurelle que réside une véritable émergence du continent africain :
Le premier facteur explicatif de l'endettement africain récurrent est le taux de pression fiscale (rapport entre les recettes fiscales et la richesse créée au cours d'une année) en Afrique subsaharienne qui est structurellement bas, inférieur à 20 % du produit intérieur brut (PIB), alors qu'il se situe au-delà de 40 % dans le monde développé. Or, ce sont les ressources fiscales qui constituent l'essentiel des recettes des États, leur permettant de financer les dépenses publiques. Qui dit donc taux de pression fiscale élevé, dit a priori bonne couverture des dépenses publiques par les recettes éponymes.
Le deuxième facteur explicatif du surendettement est le niveau structurellement élevé des taux d'intérêt réels en Afrique, souvent plus du double du taux de croissance économique ; or, quand vous empruntez à un taux d'intérêt supérieur au taux de croissance économique, il y a peu de chances que vous puissiez rembourser votre emprunt, vu que le rythme de création de richesses (le taux de croissance économique) est plus faible que le coût d'acquisition des moyens de création de richesses (taux d'intérêt). Ce raisonnement est aussi valable sur le plan microéconomique que macroéconomique. Résultat des courses pour les États africains, les flux de déficits s'accumulent et se transforment en stock additionnel de dettes en fin d'année budgétaire.
Le troisième et dernier facteur (le plus structurel) est l'étroitesse de la base productive africaine. L'Afrique ne se décide toujours pas à produire elle-même ce qu'elle consomme. Elle se complaît dans la place qui lui a été assignée dans la division internationale du travail, à savoir exportatrice de matières premières dont les recettes sont volatiles et moins élevées que les prix des biens et services qu'elle importe massivement pour faire face à sa forte demande sociale, conformément à la loi dite de Prebisch-Singer. Le résultat de cette insertion primaire de l'Afrique au sein du commerce international est l'accumulation de déficits dits jumeaux, à savoir le déficit budgétaire et celui du compte courant de la balance des paiements.
Une approche inadaptée parce que d'un autre temps
Au final, l'annonce de l'annulation massive de la dette africaine ressemble à s'y méprendre à la prédominance de recettes anciennes pour faire face au nouveau monde. L'Afrique d'après le Covid-19 ne peut accepter de jouer un jeu dans lequel elle sortira une nouvelle fois perdante, car les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Des dirigeants qui détournent massivement les aides et prêts à eux consentis par la communauté internationale qui, tel le Tartuffe de Molière, détourne pudiquement les yeux de la mauvaise gouvernance chronique des économies africaines. Peut-on décemment se glorifier d'effacer une dette africaine dont les montants n'ont que très peu aidé l'Afrique ? Peut-on applaudir les mauvais élèves au détriment des bons élèves, qui péniblement tentent d'assainir leurs finances publiques année après année, mettent en place le contrôle citoyen de l'action publique et ont à cœur la poursuite de l'intérêt général ? L'allègement de la dette ne doit pas se traduire par une démobilisation générale de l'Afrique qui lutte au quotidien pour sa dignité et sa souveraineté, cette « Afrique d'après » que nous appelons de nos vœux. Il ne doit pas servir à récompenser les « passagers clandestins » de la bonne gouvernance.
L'économie politique de la compassion internationale ne peut être la voie privilégiée de l'émancipation africaine. Méditons ensemble ce proverbe qui dit : « La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. »
par Achille Mbembe
LE JOUR D’APRÈS, LE JOUG DE LA DETTE
Il faut arrêter d'accorder des crédits aux régimes corrompus et anti-démocratiques, et soumettre tout emprunt a un débat exhaustif qui engagerait les sociétés concernées, de la manière la plus transparente possible
Tout le monde est en train de preparer l'apres-Covid-19, lorsque la course vers une nouvelle partition du monde s'accelerera et deviendra plus brutale encore que par le passe.
Comme dans un jeu a somme nulle, le multilatéralisme profondément hypothéqué, chaque nation s'efforçera de prendre sa part, au détriment des autres.
Une fois de plus, l'Afrique ne rentre pas dans cette nouvelle phase les mains vides. Mais elle est sérieusement handicapée par un certain nombre de facteurs.
Le premier est sa fragmentation. Nos Etats, pris un a un, ne pèsent d'aucun poids dans la balance du monde.
Le deuxième, qui donne de nous l'image de condamnes potentiels, est le joug de la dette.
Ce joug est structurel. Sur le plan historique, nous sommes en effet passes tout droit du colonialisme à la dette, et ne sommes pas encore sortis de ce tragique cycle. La libération du joug de la dette tout comme le démantèlement de nos frontières internes et la gestion de notre puissance démographique seront donc les questions-clé de ce siècle.
D'après les estimations faites par maints experts, l'Afrique a besoin d'au moins 100 milliards de dollars pour relancer son économie au lendemain du Covid-19.
La question est de savoir d'ou viendra cet argent ?
De cette somme, 44 milliards sont supposés provenir de la suspension des remboursements aux dettes bilatérales, multilatérales et commerciales. On veut par ailleurs que certaines dettes contractées par les pays les plus pauvres soient purement et simplement effacées, et le reste converti en dettes de long terme et a taux d'intérêts réduits.
Une telle requête est manifestement difficile à honorer en l'absence d'un "grand bargain" (une renégociation intégrale des termes de fonctionnement du système global de la dette). Car c'est d'un "système de la dette" qu'il s'agit, un des piliers fondamentaux du capitalisme financier dans sa forme contemporaine.
Tout le monde le sait désormais, la Chine occupe une place éminente dans ce système.
Il se trouve qu'à l'Etat chinois, à ses banques, à ses sociétés d'Etat et autres compagnies, nous avons emprunté environ 143 milliards de dollars entre 2000 et 2017.
La Chine est devenue notre premier créditeur.
Un pays comme le Cameroun, par exemple, doit environ 5.7 milliards de dollars a la Chine. Prenez un pays comme le Kenya : 33% du service de sa dette extérieure va a la Chine. Ces chiffres s'elevent a 17% pour l'Ethiopie et à 10% pour le Nigeria.
De l'ensemble des dettes que nous (l'Afrique) devions au reste du monde en 2018 par exemple, 32% étaient dus à des prêteurs privés, 35% à des organismes multilatéraux, 20% à la Chine, et le reste (soit 13%) à d'autres Etats.
Le gros de l'argent prêté par la Chine a été affecté à des grands travaux d'infrastructures dont nous avons absolument besoin. De tels travaux, la Chine est souvent le seul créditeur dispose a les financer.
Les termes de la dette a l'egard de la Chine font l'objet de violents débats. On cite à cet égard des taux d'intérêt notamment à l'égard des pays pauvres (4.14%) qui seraient plus élevés que les taux imposés par la BM (2,1%). On cite aussi le bradage des ressources naturelles, voire de centaines de milliers d'hectares de terre, bref un modèle cynique d'échange inégal, qui n'est pas sans rappeler le régime des capitations du XIXe siècle.
La vérité est que la Chine ne servira pas de "distributeur automatique" à l'Afrique. Comme tous les créanciers, elle est sévère quand il s'agit de rembourser. Comme toutes les autres puissances du monde, elle n'efface les dettes (et encore) que pour mieux re-endetter ses débiteurs. Ainsi fonctionne le système de la dette à l'échelle planétaire.
Que faire donc, à l'heure ou la question de la dette africaine se pose une fois de plus, mais dans un contexte géopolitique plus grave qu'il ne l'aura été depuis la fin de la Guerre froide ?
Il faut, dans la continuité des grandes coalitions des années 1980-1990, relancer une mobilisation de portée internationale pour que s'ouvre un "grand bargain" au sujet de la dette africaine dans son ensemble.
Que tous les créanciers s'asseyent autour d'une grande table, ouvrent leurs comptes, et négocient.
Négocier quoi ?
Un - l'abolition pure et simple de certaines dettes. Lesquelle s? Il faut les définir ensemble.
Deux - la suspension du paiement de certaines autres dans le cadre exceptionnel du Covid-19, le temps de relancer l'économie dans un contexte mondial de contraction.
Trois - l'effacement des intérêts au titre de certaines dettes. Dans maints cas, les intérêts au titre de certaines dettes sont aujourd'hui plus élevés que l'emprunt originaire. De telles dettes ont au fond d'ores et deja été payees, et paradoxalement elles ne pourront jamais être totalement remboursées puisque les intérêts ont pris la place de la dette originaire.
Quatre - la penalisation maximum des transferts illicites et autres formes d'évasion fiscale lesquels coutent plus de 50 milliards de dollars au continent chaque année.
Dernier point - il faut arrêter d'accorder des credits aux régimes corrompus et anti-démocratiques, et soumettre tout emprunt à un débat exhaustif qui engagerait les sociétés concernées, de la manière la plus transparente possible.
Beaucoup trop de dettes auront été contractees sans le consentement des sociétés concernées, dans l'opacité la plus totale, et une part importante des credits auront été voles par les élites en place.
Le transfert, aux générations a venir, de dettes non seulement colossales, mais pratiquement irremboursables - et donc toxiques - est un crime et devrait désormais être traite comme tel en Afrique.
Texte recueilli de la page Facebook de l'auteur.
par Christian SENE
NE TIREZ PAS SUR RAYAN HACHEM !
Le jeune entrepreneur sénégalais d’origine libanaise Rayan Hachem remporte le marché de fourniture du riz ? On se dit qu’il y a anguille sous roche, volonté d’enrichir un « Libanais » sans cause et, forcément, magouille quelque part.
C’est bien connu que les Sénégalais aiment chercher la petite bête. Et voir le mal partout. Ils n’aiment pas non plus voir leurs compatriotes entreprendre, encore moins réussir. Dans ce cas, malheur aux gagneurs ! A preuve par l’affaire des aides alimentaires destinées aux populations vulnérables de notre pays. L’homme d’affaires et député Demba Diop dit « DiopSy » remporte le marché du transport ? On crie au coup de pouce politicien !
Les ministres Mansour Faye et Abdou Karim Fofana divergent sur le budget consacré au transport de ces denrées alimentaires ? C’est louche et il y a forcément de la magouille quelque part ! Le jeune entrepreneur sénégalais d’origine libanaise Rayan Hachem remporte le marché de fourniture du riz ? On se dit qu’il y a anguille sous roche, volonté d’enrichir un « Libanais » sans cause et, forcément, magouille quelque part. On est comme ça, au Sénégal. On ne reconnaît jamais le mérite et les héros méritent d’être fusillés. Et l’on se dit « pourquoi lui et pourquoi pas moi ? »
Ce n’est pas aujourd’hui, hélas, que l’on changera nos compatriotes… Alors qu’ailleurs on aurait remercié Rayan Hachem, 38 ans, d’avoir mis son stock de riz à la disposition des autorités de notre pays décidées à sauver de la famine les ménages vulnérables pour cause de Covid-19, voilà qu’il se fait lyncher ! Et pourtant, il aurait pu faire comme d’autres, Sénégalais bon teint ceux-là, qui ont préféré faire le mort et ne pas participer à l’appel d’offres lancé par le ministère du Développement communautaire.
Pour deux raisons : c’est plus rentable pour ces distributeurs de vendre leur riz à des commerçants demi-grossistes ou détaillants au prix du marché, donc plus cher que ceux de l’appel d’offres gouvernemental. Ensuite, avec ces commerçants, ils sont payés cash tandis que les paiements par le Trésor public, tout le monde sait le parcours du combattant que c’est ! Pour dire qu’après avoir livré sa marchandise, il faut s’armer de patience et attendre…indéfiniment.
Faisant fi de tout cela, donc, le patron des sociétés Avanti et Afri and Co, disant agir par patriotisme, a choisi de répondre à l’appel des autorités de son pays, le Sénégal, où ses parents ont vu le jour, où il est né de même que sa fille, où il a fait une partie de ses études avant de se rendre à l’étranger pour les terminer. Ses diplômes en poche, il est resté pour travailler avant de revenir au pays investir ce qu’il avait amassé et contribuer à sa manière au développement du Sénégal. « J’ai voulu apporter ma pierre à la construction de l’édifice national », nous confie-t-il. En 2013, il ouvre le restaurant « Planète Kébab » qui connaît rapidement le succès.
Dans la foulée, il en ouvre trois autres dans divers endroits de la capitale et se déploie même au Mali. En 2016, il se lance dans le trading et créée la société Avanti spécialisée dans l’alimentaire et qui importe notamment les produits dont il a besoin pour faire fonctionner sa chaîne de restauration rapide. En même temps, il explore le business de l’importation du riz et commence — pour se conformer aux exigences des autorités — par acheter le riz de la vallée, condition sine qua non pour obtenir les fameuses DIPA (Déclarations d’importations de produits alimentaires) indispensables à l’importation du riz
Antenne de Louis Dreyfus !
En 2016, il fait venir 30.000 tonnes de riz au Sénégal. En 2017, c’est 40.000 tonnes qu’il importe. En 2018, 80.000 tonnes et 120.000 tonnes en 2019 ! Au terme d’un travail éprouvant et acharné, il réussit à devenir l’un des principales antennes locales du grand négociant de céréales Louis Dreyfus. Une consécration ! Toujours dans l’anticipation, il avait commencé à réceptionner ses stocks pour l’année 2020 — pour couvrir aussi bien le marché local que la sous-région — lorsque la pandémie du Covid-19 a éclaté. Parmi ses conséquences, la fermeture des frontières de presque tous les pays du monde. Y compris, bien sûr, des principaux exportateurs de riz que sont la Thaïlande, l’Inde, le Viêt-Nam etc.
Lorsque les autorités ont décidé de lancer leur appel d’offres pour l’achat de riz, il se trouve que Rayan Hachem disposait d’importants stocks de la céréale. Il a tout naturellement décidé de soumissionner par le biais de ces deux sociétés car nous allions oublier qu’en 2019 il avait créé la société Afri and Co pour diversifier ses activités et se lancer dans le commerce de sucre, d’huile, de pâtes, de lait en poudre etc. Une société qui avait bien sûr le même siège social que la première. C’est donc par le biais de ses deux sociétés — ce qui est parfaitement légal et, comme il dit, « je n’ai rien à cacher » — qu’il a soumissionné et remporté le marché au prix de 275.000 francs la tonne. Ce alors que le prix du marché est à 278.000 tonnes ! Suffisant pour qu’on lui tombe dessus et le lynche au motif que le fait que ses deux sociétés soient domiciliées à la même adresse serait louche et donc, forcément, constitutif de magouille ! On vous disait que les Sénégalais voient le mal partout…
Evidemment, c’est peu dire que le fils du célèbre chirurgien Dr Hachem souffre de ces attaques et a mal dans sa peau. Lui qui a tout fait pour investir dans son pays et créer des emplois — rien que pour Planète Kébab environ 200 travailleurs bénéficiant de contrats en bonne et due forme et de sécurité sociale —, voilà comment il est récompensé. Lui qui, surtout, aurait pu choisir de vendre son riz directement sur le marché en réalisant de confortables marges du fait de la rareté induite par la crise sanitaire du coronavirus. Une crise qui lui aura au moins inculqué une précieuse leçon : celle de connaître ses compatriotes, c’est-à-dire ce spécimen unique au monde qu’est l’homo senegalensis…
"NOUS DEVONS LA SOLIDARITÉ À L'AFRIQUE"
Dans une interview accordée à RFI mardi 14 avril, Macron explique sa stratégie pour l'Afrique face au coronavirus. À court terme, il espère un moratoire sur la dette contractée par les pays africains, puis à long terme, une annulation massive
Dans une interview exclusive accordée à RFI mardi 14 avril, le président français explique sa stratégie pour aider l'Afrique à faire face à la pandémie de coronavirus. À court terme, il espère dès ce mercredi soir, à l'occasion d'un G20 Finances, un moratoire sur la dette contractée par les pays africains. À long terme, il souhaite une annulation massive de cette dette. Dans cet entretien, le chef de l'État français s'exprime aussi sur la situation militaire au Sahel et sur l'appel du secrétaire général de l'ONU à une trêve dans tous les pays en guerre. Enfin, pour la première fois, Emmanuel Macron s'exprime sur les travaux controversés du professeur Raoult, qu'il a rencontré le 9 avril dernier à Marseille.
RFI : Ce lundi, lors de votre allocution aux Français, vous avez bien sûr parlé essentiellement de la France. Mais vous avez aussi évoqué d’autres pays du monde. Vous avez notamment appelé à une annulation massive de la dette contractée par les pays du Sud. Est-ce à dire que votre inquiétude ne porte pas seulement sur la France, elle porte aussi sur l’Afrique ?
Emmanuel Macron : Oui, très profondément. Parce que je pense que la période dans laquelle nous entrons et que nous sommes en train de vivre collectivement touche aujourd’hui tous les continents. Et nous voyons l’extrême difficulté à affronter ce virus et à apporter des réponses dans les pays les plus développés, les systèmes sanitaires les plus robustes : les États-Unis, l’Europe, la Chine… Quand on regarde aujourd’hui la situation de l’Afrique, sur le plan sanitaire, sur le plan économique, sur le plan climatique, il est évident que nous lui devons la solidarité.
Avant de parler de cette action coordonnée, un mot sur le risque lui-même. Depuis un mois, beaucoup prédisent une catastrophe sanitaire en Afrique. Mais ce n’est pas le cas. L’Afrique est même, pour l’instant, le continent le moins impacté par le virus, et le Pr Raoult, à qui vous êtes allé rendre visite il y a quelques jours à Marseille, dit : « L’Afrique est relativement protégée grâce à la consommation courante de traitements antipaludiques ». Il a cette phrase, puisqu’il est né à Dakar : « En Afrique, la chloroquine, on en a tous bouffé quand on était gosses ».
Moi, je ne suis pas médecin. Je ne suis pas spécialiste des maladies infectieuses comme le Pr Raoult, pour qui j’ai beaucoup de respect et que je suis en effet allé voir, pour comprendre et m’assurer que ce qu’il proposait était bien testé dans le cadre des essais cliniques.
J’attire l’attention de nos auditeurs : nous n’avons aujourd’hui aucun traitement reconnu. Moi, mon rôle, et ce que j’ai fait en me rendant chez le Pr Raoult, c’est de m’assurer que ce sur quoi il travaille, et c’est vraiment une de nos plus grandes sommités en la matière, rentrait bien dans le cadre d’un protocole d’essai clinique, qu’on pouvait aller vite pour s’assurer, en tout cas regarder, avec des méthodes qui doivent être simples mais rigoureuses, si ça marchait ou ne marchait pas. Aujourd’hui, partout dans le monde, il y a des essais cliniques qui sont lancés.
La France est le pays européen qui en a le plus lancé. La combinaison hydroxychloroquine-azithromycine, parce qu’il n’y a pas que l’hydroxychloroquine qui est proposée, c’est une bithérapie que propose le Pr Raoult, il faut qu’elle soit testée. Lui l’utilise et a son propre protocole. Il y a un protocole qui a été autorisé par les autorités compétentes à Montpellier. Et il faut qu’on avance, qu’on montre l’efficacité et qu’on mesure la toxicité.
Je dis ça parce qu’il faut être très prudent. Le président de la République française n’est pas là pour dire « tel traitement est le bon ou n'est pas le bon ». Mon devoir, c’est que toutes les pistes thérapeutiques poursuivies aujourd’hui puissent faire l’objet d’essais cliniques rigoureux, et les plus rapides possibles, pour qu’on trouve un traitement.
Donc en trois heures de présence auprès de lui, vous n’êtes pas sorti entièrement convaincu.
Ce n’est pas une question de croyance ! C’est une question de scientifiques. Je suis convaincu que c’est un grand scientifique, et je suis passionné par ce qu’il dit, et ce qu’il explique. En effet, il nous invite à être humbles, parce que lui-même dit que les choses peuvent varier selon les saisons et les géographies, et qu’un virus réagit selon les écosystèmes. Donc peut-être qu’il y a ça en Afrique. Je dis juste qu’on doit s’assurer que partout, les essais soient faits, donc il faut que l'on reste collectivement très rigoureux.
Maintenant, sur le virus Covid-19 et l’Afrique, je vais être très clair avec vous. Je ne suis ni dans les catastrophistes, je ne veux pas être non plus dans les naïfs. Ce virus, aujourd’hui, il touche tout le monde. Donc, je ne pense pas qu’il faille collectivement dire qu’un miracle préserverait l’Afrique. En tout cas, si ça pouvait arriver, formidable, et je le souhaite profondément. Mais notre devoir est de tout faire pour aider l’Afrique dans ce contexte.
L’Afrique aujourd’hui a une vulnérabilité sanitaire : il y a le VIH, la tuberculose, la malaria… C’est d’ailleurs pour ça qu’on s’est mobilisés à Paris, en octobre dernier, pour le Fonds mondial, pour aider aussi l’Afrique en particulier à se battre contre ces grandes pandémies.
L’Afrique aujourd’hui est le continent le plus touché par le choc climatique et le changement climatique. Je pense à la Zambie, qui vient d’essuyer l’une des plus grandes sécheresses depuis 1981, les cyclones qui viennent de toucher le Mozambique, l’Afrique de l’Est qui est attaquée par les criquets, les difficultés qu’on connaît dans le lac Tchad et la sécheresse qui continue… Donc, on parle d’un continent dont des dizaines de millions d’habitants aujourd’hui vivent dans leur chair ce qu’est le choc climatique.
On parle d’un continent qui vit la grande difficulté économique. Regardons les chiffres, là aussi : en 2012 en Afrique, on a une dette sur PIB qui est de 30 %. Aujourd’hui, elle est de 95 %. Donc, les difficultés que je suis en train de décrire vont s’aggraver même si le Covid n’était pas une catastrophe sanitaire – et je ne sais pas dire aujourd’hui s’il ne le sera pas. Donc, nous devons absolument aider l’Afrique à renforcer ses capacités à répondre au choc sanitaire et nous devons, a fortiori, l’aider sur le plan économique à répondre à cette crise qui est déjà là. Nous devons être à ses côtés.
C’est ce que j’ai voulu lancer au G20, il y a quelques semaines. Nous avons tenu une visioconférence, j’ai utilisé le temps de parole de la France pour dire : « On va se tenir ensemble, agir pour nos pays, et c’est déjà très dur. On doit absolument aider l’Afrique à s’en sortir. C’est un devoir moral, humain, pour l’Afrique et pour nous ». Et c’est ce que j’ai ensuite enclenché avec les leaders africains qui étaient là, dans un travail qui est la méthode à laquelle je crois : mobilisation pour l’Afrique et partenariat avec les leaders. Il y a dix jours, j’ai été invité par le président Ramaphosa à une réunion du Bureau africain par téléphone. J’ai pu échanger avec lui et plusieurs dirigeants, les présidents Abiy [Ahmed], [Paul] Kagame, [Macky] Sall, [Ibrahim Boubacar] Keïta, et Moussa Faki [Mahamat, le président de la Commission]. Et nous avons pu discuter des propositions que j’ai voulu faire à ce moment-là. C’est ce plan pour l’Afrique en quatre axes que nous avons bâti avec les leaders africains. On a aujourd’hui tous les leaders européens du G20, ainsi que l’Espagne, le Portugal et quelques autres, qui sont avec nous.
Concernant ce plan pour l’Afrique en quatre axes, commençons peut-être par l’axe sanitaire. Que peut-on faire pour les pays, africains notamment, qui manquent notamment de lits de réanimation ? Que peut faire l’Europe ? Que peut faire la France ?
Mobiliser des financements de court terme. On a le Fonds mondial, et là-dessus Peter Sands [le directeur exécutif du Fonds mondial], le président Kaberuka [ancien président de la Banque africaine de développement] sont prêts à mobiliser une partie de ce qu’on a justement levé pour aller financer cet axe-là et financer des équipements de première nécessité pour secourir, sauver, protéger...
Mais, Monsieur le président, ce Fonds mondial est contre le sida, contre le paludisme, contre la tuberculose. Est-ce qu’on ne risque pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul ?
Non. Alors, vous avez parfaitement raison, il ne s’agit pas de détourner les 14 milliards qu’on a levés, mais de commencer avec quelques centaines de millions pour amorcer les choses.
Qu’est-ce qu’on veut faire avec ça ? On veut permettre d’absorber le choc, et donc de mobiliser les autres puissances du G20 pour permettre de monter les capacités et ce dont les systèmes de santé ont besoin aujourd’hui. On a besoin, vous l’avez dit, de lits, de respirateurs, donc il faut pouvoir acheter ces matériels. Nous, on est en train d’en reproduire pour nos propres systèmes, mais je veux qu’on puisse en produire au-delà pour aussi, ensuite, fournir nos partenaires africains. Et le déphasage entre, si je puis dire, nos pics épidémiques qui ne semblent pas arriver en même temps, j’espère, va nous aider. Il faut tout faire aussi, c’est pour ça que j’ai beaucoup parlé avec nos partenaires africains, pour qu’ils décident au maximum du confinement et qu’ils retardent l’épidémie. Plus ils la retardent, plus les Européens sont en situation de leur apporter de l’aide, parce qu’on n’aura pas les pics épidémiques au même moment.
Les deux maisons ne brûleront pas en même temps...
Écoutez, il faut tout faire, en tout cas, pour le ralentir partout. Et je pense qu’il est très important qu’on ait un peu ce décalage. Mais l’idée, c’est de pouvoir acheter ce matériel, de pouvoir protéger, de pouvoir répondre, et de pouvoir accélérer nos essais cliniques pour un traitement et un vaccin. Et de le faire, là, de manière synchrone. Et je pense que ce qu’on peut réussir, dans le cadre de cette pandémie, c’est ce qu’on n’a jamais réussi à faire et qui est, je crois, essentiel si on veut permettre à l’Afrique de résister et sortir le monde de cette épidémie. C’est de dire : « Sur les traitements et le vaccin, on a une approche qui est la diffusion en même temps, dans nos continents, du traitement et du vaccin, quand on l’aura trouvé ».
Donc l’idée, c’est de dire : on a, au niveau international, le CEPI [Coalition for Epidemic Preparedness Innovations], lancé par la Norvège, financé par beaucoup, qui fait de la recherche sur les vaccins en la matière. Il y a plusieurs initiatives en cours. On a le Gavi [Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation], lancé par la France et le Brésil il y a près de vingt ans, qui sert justement à diffuser ces innovations et à avancer. Le Gavi et le Fonds mondial doivent travailler ensemble sur cette pandémie, en particulier pour l’Afrique. On a Unitaid, qui sert justement à favoriser l’accès à la santé, à ses équipements et à beaucoup de choses. On a le Fonds mondial, qu’on évoquait. Tout cela, on doit réussir, avec l’OMS [Organisation mondiale de la santé], à mettre à la fois une partie des financements, l’expertise qu’on a, c’est-à-dire la recherche formidable, mais aussi la diffusion, mobiliser les grandes fondations, je pense à la fondation Gates, à One et à plusieurs, qui ont mis beaucoup d’argent, de capital politique aussi dans cette affaire, et toutes les ONG… Pour dire : « On avance partout sur les essais cliniques et le traitement. Mais on se met en situation, le jour où on a un traitement, de le rendre accessible au continent africain en même temps qu’il sera accessible chez nous ». Donc pas d’histoires de propriété intellectuelle, pas d’histoires de délais, pas d’histoires de sous : on se met en capacité de le faire.
Et pour le vaccin, pareil ! Pour accélérer le manufacturing du vaccin le jour où on l’a, c’est-à-dire sa production en grande quantité, pour permettre aux pays développés comme aux pays en développement et aux pays pauvres d’y avoir accès dans les meilleurs délais. Et donc on brûle les étapes pour permettre de l’avoir au plus vite.
De ce volet sanitaire, on arrive donc au volet recherche. Il y a d’éminents épidémiologistes en Afrique, on l’a vu lors de la riposte contre Ebola. Malheureusement, il n’y a pas toujours les infrastructures nécessaires. Comment faire en sorte que tout soit connecté ?
Il y a beaucoup d’instituts de recherche français, internationaux. Vous parliez du Pr Raoult qui travaille lui-même à l’IHU de Marseille, avec beaucoup de partenaires en Afrique, et qui me disait combien il était frappé de l’excellence de plusieurs centres, et de la qualité à la fois des chercheurs et des infrastructures...
Il a travaillé avec l’IRD [Institut de recherche pour le développement], à Dakar.
Exactement. Il y a aussi l’Institut Pasteur, qui a aussi une présence forte en Afrique. L’idée, c’est qu’on puisse articuler un réseau de compétences, d’expertises, qui permette à la fois de mutualiser le savoir entre ce que l’Asie, l’Europe, les États-Unis ont vécu, pour que très vite, ça se diffuse dans la communauté académique, de recherche, mais aussi de cliniques en Afrique. De permettre les échanges accélérés entre les pays, et c’est aussi pour ça que l’Union africaine a un rôle clef : elle est en quelque sorte ce qui va permettre d’étayer ce réseau. L’idée, c’est vraiment de créer ce réseau d’excellence africain, de centres d’expertise, pour le contrôle, la prévention des grandes pandémies telles qu’on est en train d’en vivre, et de créer une grande coalition pour la prévention de ces pandémies, et de s’assurer que les réseaux qui, parfois, sont séparés les uns des autres, se mettent à travailler ensemble.
Vous savez qu’en Afrique, beaucoup de gens travaillent dans l’informel, et qu’ils travaillent le jour pour manger la nuit. Donc le confinement, ça ne marche pas. Sur le plan humanitaire, quelles sont les urgences ?
Vous avez parfaitement raison, et d’ailleurs beaucoup de présidents et de Premiers ministres africains que j’ai rencontrés m’ont fait part de cela. Il y a de l’économie informelle, il y a de la circulation régionale, le fait que pour manger, on ait besoin d’avoir accès aux lieux où on distribue la nourriture et de continuer à procéder de cette économie… Donc le confinement complet, comme on dit aujourd’hui en Europe, ne peut pas fonctionner exactement de la même manière. Il faut qu’il puisse malgré tout se mettre en place pour prévenir. Et donc il crée, si je puis dire, une situation dramatique au carré, qui est qu’on a les régions les plus vulnérables qui ont, en plus, un sujet d’accès à la nourriture, d’accès aux soins primaires. Et donc une crise humanitaire qui est en train de poindre. On l’a d’ailleurs parfaitement vu à chaque fois qu’Ebola intervient dans certaines régions.
On connaît cette situation. Notre crainte, c’est qu’elle se multiplie avec le Covid-19, qu’elle vienne se rajouter à ce que certaines pandémies créent. Et donc les populations et les régions les plus vulnérables ont en effet un besoin de réponse humanitaire. Là, la réponse passe par l’Organisation des Nations unies, ce qu’on doit mettre derrière le Programme alimentaire mondial. Et donc le troisième volet, en effet, de cette initiative, c’est un volet humanitaire, en lien avec le Programme alimentaire mondial et l’ONU. Avec sans doute une mobilisation de ce que nous avons, par le truchement des Nations unies, partout en Afrique, qui est notre présence, parfois militaire, mais qui peut aider et soutenir cela, et qui est d’accéder aux populations les plus fragiles, les plus loin de ces besoins de base, pour s’assurer qu’ils ont un accès aux soins primaires, à l’alimentation et à la survie.
Le quatrième axe de votre action coordonnée, c’est le volet économique, le volet financier. Les pays africains doivent rembourser quelque 365 milliards de dollars à leurs créanciers. Comment allez-vous convaincre ces créanciers, publics mais aussi privés, chinois, européens, américains, de renoncer à une telle somme ? C’est colossal !
Quand on regarde comment toutes les économies développées ont répondu à la crise, on a fait deux choses : un choc de politique monétaire et un choc de politique budgétaire. Les banques centrales, la Banque d’Angleterre, la FED, la BCE, ont eu une politique monétaire massive au mois de mars, sans précédent en termes de rapidité et de magnitude. Et ensuite, une réponse budgétaire, que les gouvernements sont en train de prendre.
Dans ce contexte, il n’y a pas d’équivalent monétaire sur le continent africain, et c’est la double peine : il n’y a pas la possibilité de faire cette création monétaire et ce mouvement justement nécessaire aux économies. En plus, on assiste, dans ces pays qui étaient en train d’émerger, à une fuite des capitaux qui accroît leurs difficultés. La réponse, l’équivalence, c’est ce que le FMI fait avec les bonds de tirage spéciaux. C’est cet objectif des 500 milliards, et on doit réussir à pousser cela et à allouer le maximum qu’on peut. C’est le premier pilier.
Le deuxième, sur le plan budgétaire, il passe par le sujet du service de la dette, ce que vous avez évoqué. Vous avez rappelé les chiffres, et ils sont cruels. Chaque année, un tiers de ce que l’Afrique exporte sur le plan commercial sert à servir sa dette. C’est fou ! Et on a accru ce problème ces dernières années. Je souhaite qu’on apporte une réponse la plus forte possible sur ce sujet, parce qu’il n’est pas soutenable. Je l’ai dit hier aux Français : je suis favorable à une initiative d’annulation de dette massive, c’est le seul moyen d’y arriver.
À court terme, on a eu une discussion. Il y a quatre représentants spéciaux qui ont été mandatés par l’Union africaine, ils ont fait des propositions que j’ai souhaité qu’on reprenne. Ces propositions, c’était de dire : « moratoire ». Parce qu’on a beaucoup discuté, ils ont beaucoup travaillé. Ils disent : « L’annulation, on n’y arrivera pas tout de suite ». Mais le moratoire, ça veut dire quoi ? Ça veut dire on ne rembourse plus les intérêts, vous nous laissez de l’oxygène. On étale cette dette, et on peut peut-être mettre tout le monde d’accord autour de cette idée.
Mercredi soir, le G20 Finances doit acter, je touche du bois, en tout cas on y a mis tout notre capital politique, de ce moratoire sur les dettes à l’égard de l’Afrique. Moratoire qui touche les membres du club de Paris, mais aussi la Chine, la Russie, l'ensemble des économies du Golfe, et les grands bailleurs multilatéraux. C’est une première mondiale. Ça veut dire que le temps de la crise, on laisse les économies africaines respirer et ne pas servir les intérêts de la dette. C’est une étape indispensable, et je pense que c’est une formidable avancée.
Maintenant, elle doit précéder d’autres étapes sur lesquelles nous devons travailler, qui sont des étapes de restructuration de la dette africaine. Il faut le faire sans évidemment pénaliser les pays africains les plus rigoureux, qui se sont attachés à avoir une politique de soutenabilité. Mais on ne peut pas non plus dire : « Cet effort ne sera fait que par quelques-uns, et les autres ne le feront pas. » Il doit être, si je puis dire, le même chez tous les grands bailleurs.
Les Chinois sont détenteurs de quelque 40 % des créances actuelles sur l’Afrique. Est-ce que vous avez parlé avec le numéro 1 chinois, Xi Jinping ? Est-il d’accord pour rééchelonner cette dette, voire pour l’annuler, comme vous l’avez demandé ?
Je n’ai pas eu une discussion avec lui sur ce sujet. Je sais pour lui l’importance que revêt l’Afrique. Je ne doute pas une seule seconde que pour le président chinois, la situation aujourd’hui de l’Afrique justifie un geste de cette importance. Donc c’est une discussion que nous aurons, soit dans le cadre d’un G20, s’il pouvait se tenir dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines, soit sur un plan bilatéral, parce que je vais le solliciter sur ce point. Mais je pense que c’est un geste important que la Chine doit faire pour accompagner ce travail. Ce qui est sûr, c’est que vous avez rappelé les chiffres : la Chine est aujourd’hui un grand bailleur du continent africain. Tous les bailleurs du continent africain doivent être dans cette logique d’efforts pour aider le continent africain à traverser cette crise. Et donc elle y aura son rôle et sa part.
Et les créanciers privés ?
Je l’ai dit : tous. Moralement, humainement, c’est notre devoir, de manière partenariale avec l’Afrique. Donc je pense que les bailleurs publics, privés, bilatéraux et multilatéraux, doivent s’engager dans cette logique. Moi, j’ai donné un horizon. Maintenant, on doit réussir, tous, à se mettre autour de la table et mener ce travail. C’est inédit.
Un mot sur la question monétaire dont vous avez parlé tout à l’heure en Afrique. Les pays les plus touchés par la crise économique consécutive à ce virus, ce sont les pays pétroliers d’Afrique centrale. Est-ce qu’une dévaluation du franc CFA est à craindre dans la zone Cemac ?
On n’en est pas là, et là-dessus, je pense qu’il faut toujours essayer la stabilité et la cohérence d’une politique régionale. Ce qui est vrai, c’est que plusieurs pays qui ont une forte dépendance au pétrole – mais vous savez, il y a aussi une baisse très forte de plusieurs matières premières, je l’évoquais – sont aujourd’hui en situation extrêmement difficile, sur le plan budgétaire comme sur le plan du régime de change. Donc c’est une discussion, ce n’est absolument pas à moi de dire ça aujourd’hui. C’est avant tout aux leaders de ces pays et aux instances régionales d'en décider.
Notre rôle, c’est d’accompagner les leaders de ces pays, leurs acteurs économiques comme leurs institutions, pour absorber ces chocs et aider à réussir. Et aider à ce qu’on lutte contre la pauvreté et qu’on permette aux opportunités économiques de se multiplier.
Dans une tribune à Jeune Afriqueque vous avez dû lire, un certain nombre de grands intellectuels appellent aussi à la mobilisation, notamment des chercheurs africains, des diasporas africaines, mais ils ajoutent : « Attention au catastrophisme et au paternalisme de certains pays du Nord. [...] La pandémie du coronavirus a offert à certaines chancelleries occidentales matière à réactiver un afro-pessimisme que l’on croyait d’un autre âge ».
Je ne suis pas pour l’afro-pessimisme, ils ont raison. Je l’ai dit à Ouagadougou, en novembre 2017 : je crois très profondément dans l’Afrique, dans la jeunesse africaine, dans les capacités de l’Afrique. Et je pense que le destin de la France dans le siècle qui s’ouvre, ma génération comme les leaders qui viendront, et les autres générations de dirigeants économiques, intellectuels, politiques, français et européens, c’est plutôt d’être des partenaires, d’aider les Africains à réussir, qu’en effet de leur expliquer les choses. Et donc je comprends très bien l’état d’esprit de cette tribune, et je la partage. Et d’ailleurs, moi je pense que notre rôle, c’est de bâtir avec les Africains ce qui est utile pour eux.
Donc, c’est plutôt d’essayer de voir ce qu’en Afrique émerge comme solutions, des Africains en Afrique comme des diasporas, et de les aider à advenir et se multiplier. Les diasporas sont en train d’inventer des choses formidables. Il y a des initiatives, là aussi, pour répondre au sujet humanitaire, sur le sanitaire… Donc, je partage l’esprit qu’il y a là. Je pense qu’il faut simplement ne pas tomber dans le catastrophisme, parce que je crois profondément que l’Afrique a la force morale et la résilience pour résister au virus. Simplement, elle a aussi des difficultés propres, et on doit l’aider à les surmonter, par partenariat.
Le coronavirus et la stratégie… Côté militaire, on apprend que quatre soldats français de l’opération Barkhane ont été testés positifs au coronavirus, et que trois d’entre eux ont été rapatriés. Avez-vous connaissance d’autres cas ? Les engagements pris à Pau pour renforcer le dispositif anti-jihadistes dans la zone des trois frontières vont-ils être respectés ?
On a forcément des aléas liés au virus. D’abord, nous sommes très scrupuleux avec les militaires de la force Barkhane, et c’est normal. On a, dans un dialogue avec les cinq pays du Sahel où ils sont déployés, une politique sanitaire très rigoureuse. Ils sont mis en quarantaine avant d’arriver sur le sol, ils sont testés quand ils ont des symptômes. Et ça vous montre le sérieux avec lequel tout cela est suivi. Je pense que c’est parfaitement légitime.
Nous continuons le travail et d’ailleurs, les semaines qui ont suivi Pau ont montré l’efficacité des décisions que nous avions collectivement prises. Mes amis du Sahel avaient décidé, à Pau, d’accélérer la mise en place d’un centre de renseignements commun à Niamey. Ça a été fait de manière très rapide. On en a obtenu les résultats. On a beaucoup mieux suivi les choses et on a eu des opérations à succès dans le Gourma et quelques autres régions contre les jihadistes. On a eu quelques opérations avec succès au Niger ou au Mali.
L’opération se poursuit. Simplement, il y a deux choses qu’il faut prendre en compte par rapport au plan de charge que nous avions déployé à Pau. La première chose, c’est évidemment le Covid-19 qui ralentit un peu les choses, parce que chacun a ses préoccupations sanitaires à gérer. Mais cela ne les divertit pas pour autant, parce que les armées continuent à être mobilisées, nous continuons les opérations.
Il y a de nouveaux cas dans l’armée française ?
Non, il n’y a pas, à ma connaissance, de nouveaux cas. La deuxième chose, c’est qu’il y a eu une offensive extrêmement dure de Boko Haram et associés, si je puis dire, dans la région du lac Tchad. Je veux ici redire notre solidarité à l’égard du Tchad et de son peuple, parce qu’ils ont été durement touchés. L’armée tchadienne a subi des pertes importantes dans un premier temps. Elle a ensuite réagi fortement. Mais ça a conduit l’armée tchadienne à se mobiliser. Non seulement sur son sol, mais aussi au Nigeria, au Niger et au Cameroun. Et je veux saluer vraiment l’esprit de responsabilité, le courage des soldats et du peuple tchadiens qui, alors même que c’est un terrain d’opérations très difficile, se sont mobilisés pour lutter contre ces mouvements terroristes et ont repris le terrain qui était perdu. Ils ont aussi défendu la souveraineté de leurs voisins et se sont battus contre les terroristes. Et le président Déby l’a dit : mobilisé sur cette partie de son territoire, il n’a pas pu déployer le bataillon qui était prévu sur le fuseau central. Ça, c’est un changement par rapport à Pau. Mais il est légitime, parce que le terrorisme n’est pas que dans la zone des trois frontières au Sahel, il est aussi dans la région du lac Tchad.
Donc c’est un coup dur pour le dispositif dans la zone des trois frontières...
Un coup dur, non ! C’est un événement qu’il faut prendre en compte, auquel il faut apporter toute notre solidarité, et il faut noter que l’armée tchadienne a réagi avec beaucoup de force et a conduit des opérations avec de vrais succès militaires et des pertes lourdes du côté de Boko Haram. Donc le front, il est sur plusieurs endroits. Il est normal d’être aussi mobile.
Par contre, les choses avancent. Plusieurs points ont été repris et des pertes lourdes du côté des jihadistes dans la partie sahélienne à la suite de Pau. Donc l’agenda de Pau avance, nous continuerons d’être avec les forces Barkhane, mais aussi avec nos partenaires européens et internationaux en soutien complet des gouvernements et des peuples du Sahel.
Pour moi, la prochaine étape, c’est de faire ce qui avait été prévu il y a quelques semaines, et avait dû être décalé, au niveau multilatéral : aller chercher nos autres partenaires européens et internationaux pour accroître l’association à la lutte contre le terrorisme, et cette fameuse force Tacouba, accroître l'engagement pour aider les armées africaines à monter en capacité, et accroître l’engagement financier pour aider à consolider soit la partie développement, soit la partie retour de l’administration dans toutes les zones difficiles, parce que je vous rappelle que les quatre piliers de Pau, ce sont ceux-là.
Et le rendez-vous de Nouakchott est maintenu?
Le rendez-vous de Nouakchott est maintenu.
Il y a deux semaines, au micro de RFI et France 24, Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a lancé un appel vibrant à tous les belligérants de tous les pays en guerre pour qu’ils respectent une trêve coronavirus. Un groupe de séparatistes camerounais a entendu cet appel, l’Arabie saoudite semble avoir entendu cet appel en ce qui concerne le Yémen. Comment se fait-il que vous, les cinq pays permanents du Conseil de sécurité, vous n’avez pas relayé cet appel ?
La France l’a relayé fortement, cet appel. Mais chacun l’a relayé. Ce que nous souhaitons, c’est en effet que pour la première fois, sous cette forme ad hoc, les cinq leaders de ce qu’on appelle le P5, les membres permanents du Conseil de sécurité puissent ensemble faire un point et relayer cet appel, et même porter plus loin plusieurs de leurs préoccupations. Donc je souhaite que dans les prochains jours, nous puissions aller en ce sens.
Le président Xi Jinping m’a confirmé son accord. Le président Trump m’a confirmé son accord. Le Premier ministre Boris Johnson m’a confirmé son accord. Je pense qu’à coup sûr, le président Poutine sera d’accord aussi. Le jour où il l’est, nous pouvons avoir cette visioconférence et donc le relayer avec beaucoup de solennité, de force, et encore plus d’efficacité.
Dans les prochains jours ?
Je l’espère.
Vous avez parlé récemment avec Vladimir Poutine ?
Je lui ai parlé au début du lancement de cette initiative. Depuis que j’ai eu les confirmations fermes des autres leaders, je ne lui ai pas parlé. Et donc je compte le faire dans les prochaines heures.
Les Français de l’étranger. Il y a les non-résidents, touristes et visiteurs, et puis il y a les résidents, les expatriés. Beaucoup vivent dans l’angoisse. Qu’est-ce que vous leur dites, aujourd’hui ?
La France protège tous ses enfants. Et donc dans les pays où vous êtes, il faut suivre les règles de confinement les plus strictes, être en lien avec l’ambassade, le consulat. S’il y a le moindre soupçon, être en lien avec les services de santé, avec un protocole qui est élaboré par le Quai [d’Orsay] en lien avec chaque ambassade, qui permet justement de protéger dans l’idéal, évidemment, compte tenu des contraintes sur le lieu de résidence, mais avec aussi des évacuations sanitaires pour les cas les plus critiques, lorsqu’ils existent.
J’ajoute à cela juste un point : nous sommes en train de travailler pour certaines situations à une politique de soutien aussi pour certains de nos ressortissants qui sont dans la difficulté, compte tenu justement des fermetures de certaines économies, pour qu’il y ait un soutien aussi économique et social à l’égard de certains de nos ressortissants, car je pense que c’est une réponse indispensable. Donc dans les prochains jours, avec le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, nous finaliserons une réponse en soutien sur ce sujet.
Et si les quelque trois millions de Français qui résident à l’étranger se mettent à vouloir rentrer un jour, comment allez-vous gérer un tel rush ?
Il y a une planification qui est justement faite au Quai d’Orsay. Je ne pense pas qu’on soit jamais dans la situation où il y a partout, du monde entier, les Françaises et les Français qui seraient amenés à revenir. Mais nous devons nous préparer, d’abord et dans un premier temps, à gérer, dans les pays, auprès de nos ressortissants, les situations qui viendraient à se compliquer. Et donc c’est la priorité. Ensuite, de nous mettre en situation de rapatrier, si besoin était, mais uniquement en situation de crise et avec du discernement.
Avec des plans en coordination avec le ministère de la Défense.
Exactement.
Monsieur le Président, merci d’avoir reçu Radio France Internationale.
Merci à vous. Courage en cette période, et je veux vraiment avoir un message d’amitié d’abord pour tous nos amis d’Afrique. Je le dis aussi, parce que vous l’avez évoqué : il ne faut pas avoir de catastrophisme. Et je veux le dire aussi parce que j’ai été frappé, comme vous, par des propos inconséquents qui ont été tenus par certains chercheurs français et ont blessé, à juste titre, nos amis africains. Et je veux ici les condamner avec beaucoup de force, et dire que la France n’a jamais considéré que l’Afrique était un lieu d’expérimentation de la médecine.
C’est aussi pour cela que j’ai eu toutes ces précautions quand vous m’avez parlé de la chloroquine. On est en France aux essais cliniques sur l’hydroxychloroquine-azithromycine. Donc ce qui est en France à l’essai clinique, chez mes amis, doit rester à l’essai clinique, et pas au niveau du traitement répandu. Je veux donc avoir ce message d’amitié et d’excuses, et je veux, à l’égard de tous nos compatriotes qui vivent à travers l’Afrique, avoir le même message d’amitié à l’égard aussi de tous vos collègues qui font ce beau métier d’informer. Ils le font parfois dans des conditions encore plus difficiles, avec la peur pour eux et des conditions sanitaires dures, et je veux les en remercier.
LES CRAINTES DU SECTEUR PRIVÉ
Tout licenciement autre que celui motivé par une faute lourde du travailleur est désormais interdit au Sénégal durant cette période de crise sanitaire du coconavirus. Certains dénoncent une initiative gouvernementale "digne des économies dirigistes"
francetv.info |
Martin Mateso |
Publication 15/04/2020
Des dizaines de milliers d'emplois en danger. C'est l'une des conséquences tant redoutées au Sénégal pour cause de pandémie de coronavirus. Comment préserver l'emploi, surtout dans le secteur privé fragilisé ? Le président sénégalais Macky Sall a pris les devants pour dissuader ceux qui "prendraient prétexte" de la crise sanitaire pour se débarrasser de leurs employés. Il a interdit par ordonnance tout licenciement, sauf en cas de faute grave.
La crainte "d'un cycle de licenciement massif"
Selon le ministre sénégalais du Travail, Samba Sy, une enquête menée par les inspections du travail et de la Sécurité sociale indique une baisse significative de l'activité économique dans des secteurs tels que l'hôtellerie, le commerce, le tourisme, la restauration et les transports.
"La crise sanitaire commence à générer des réductions ou des pertes de salaires pour des milliers de travailleurs. Si l'on n'y prend garde, tout cela peut déboucher sur un cycle de licenciements massifs et menacer la stabilité sociale" - Samba Sy, ministre du Travailà la presse sénégalaise
Pas question donc de licenciement. Pas question non plus de rémunérer un travailleur en chômage technique en dessous du salaire minimum requis. L'employeur est tenu de le payer à hauteur de 70% de son salaire moyen net dès trois mois d'activité. La mesure a suscité l'émoi dans le secteur privé du Sénégal.
"L'Etat confine le patronat"
Les employeurs du secteur privé dénonçent une mesure aux conséquences graves. "L'Etat confine le Patronat", commente le journal Sud Quotidien. Un titre qui résume l'état d'esprit qui règne dans le milieu du patronat sénégalais. Les patrons jugent insuffisantes les mesures annoncées par le gouvernement pour accompagner cette nouvelle. Elles portent notamment sur des remises et des suspensions d'impôts. Pour le président de la commission sociale du Conseil national du patronat (CNP), les entreprises ne seront pas en mesure d'honorer les salaires imposés par le gouvernement.
"En réalité, il s'agit d'un arrêt tout simplement des activités. Il n'y a pas de rentrée d'argent. Ce sont ces recettes qui aident à payer les salaires. C'est le désarroi total" - Charles Faye du Conseil national du patronat du Sénégal à RFI.
Afin d'éviter le chômage technique, les employeurs sont invités à rechercher avec les délégués du personnel "des solutions alternatives", telles que la réduction des heures de travail, le travail par roulement, l'anticipation des congés payés ou le travail à temps partiel. Les syndicats sont bien sûr ravis. Ils saluent une mesure humanitaire destinée à protéger les travailleurs contre l'arbitraire.
"Les patrons sont obnubilés par leur intérêt personnel. Ils ont voulu nous sacrifier sans se soucier des pères de familles qui ont travaillé avec eux pendant des années. On a peur qu'il y ait des réticences, mais nous n'allons pas accepter", avertit Pape Berenger, président de l'Association des professionnels de l'hôtellerie et de la restauration, dans les colonnes du journal Sud Quotidien.
"Une mesure digne des économies dirigistes"
Le site du quotidien sénégalais Tract pointe une initiative gouvernementale "digne des économies dirigistes" qui risque de remettre en cause la viabilité économique des entreprises du pays. "Il est à craindre, hélas, que ces mesures contraignent beaucoup de petites et moyennes entreprises (PME) à mettre la clé sous le paillasson", commente le journal en ligne.
15 NOUVEAUX CAS TESTÉS POSITIFS AU CORONAVIRUS
Dans le communiqué du 15 avril du ministère de la Santé et de l'Action sociale, qui a fait le point sur la situation du jour sur le Covid-19 dans le pays, il est mentionné que sur 227 tests réalisés, 15 sont revenus positifs.
Le Sénégal dépasse la barre des 300 cas infectés au coronavirus ! Dans le communiqué du 15 avril du ministère de la Santé et de l'Action sociale, qui a fait le point sur la situation du jour sur le Covid-19 dans le pays, il est mentionné que sur 227 tests réalisés, 15 sont revenus positifs.
La directrice générale de la Santé publique et présidente du Comité national de gestion des épidémies, Docteur Marie Khémesse Ngom Ndiaye d'indiquer que d'après les résultats des examens virologiques, il s'agit de 14 cas contacts suivis par les services du ministère et d'un (1) cas issu de la transmission communautaire.
Elle a, par ailleurs, annoncé que 7 patients hospitalisés ont été contrôles négatifs. Non sans déclarer que l'état de santé des malades hospitalisés est stable.
La présidente du Comité national de gestion des épidémies a rappelé qu'à ce jour, 314 cas ont été déclarés positifs au Sénégal. Il s'agit 190 guérisons, 2 décès, 1 évacué et encore 121 patients sous traitement dans les hôpitaux.
En outre, le ministère de la Santé et de l'Action sociale a exhorté les populations "au respect scrupuleux des mesures de protection individuelle et collective".
par Rodrigue Fénélon Kenge
À QUI PROFITE LE DÉSENDETTEMENT DE L'AFRIQUE ?
Après chaque période d’annulation de la dette des pays africains, on a l’impression de se retrouver au même point de départ. Les pays qui ont bénéficié du processus de désendettement se retrouvent, quelques années plus tard, surendettés
Après le Pape François durant ses bénédictions pascales, le président français Emmanuel Macron a annoncé dans son discours du 12 avril, envisager avec l’Europe à l’annulation massive de la dette des pays africains.
Le processus de développement économique induit des besoins de financement importants pour la mise en place d’infrastructures et de services publics, dont l’essentiel est couvert par l’endettement, notamment public. L’encours de la dette publique africaine représentait ainsi 1 330 milliards de dollars en 2019 , soit 57 % du PIB continental (équivalent à 60 % du PIB en calculant en moyenne pondérée sur les PIB en parité de pouvoir d’achat) ou encore 1 060 dollars par habitant, et s’inscrit en hausse depuis le début de la décennie 2010. Cette augmentation interroge sur la viabilité de l’endettement des États africains et pose la question du financement de leur processus de développement. En Afrique, cette problématique est d’autant plus importante que des allègements significatifs de dette publique ont été accordés dans les années 2000 et 2010.
Le mythe de Sisyphe
Au demeurant, on a l’impression de se retrouver dans un cycle bi-quinquennal de la question de la dette des pays africains qui déjà, durant les dix dernières années, ont bénéficié de l’initiative PPTE qui a permis un effacement de la dette à travers le mécanisme de réinvestissement des fonds consentis pour le service de remboursement de la dette. Au regard de tout ce qui précède, après chaque période d’annulation ou d’allégement partiel de la dette des pays africains, on a l’impression de se retrouver au même point de départ, dans une sorte de mythe de Sisyphe.
Car les pays qui ont bénéficié du processus de désendettement se retrouvent, quelques années plus tard, surendettés comme c’est le cas du Congo et du Mozambique. Le premier a vu sa dette effacée entre 2009 et 2010 mais se retrouve en 2020 avec une dette de plus de 120% de son PIB. La dette publique de la République du Congo oscille autour de 12,5 milliards de dollars. Cela représente plus d’un tiers supplémentaire par rapport aux estimations publiées par le FMI en juillet 2019 . Le Congo, il sied de le signifier, dans le cadre bilatéral, ne doit pas à la France plus de 11% de sa dette. La part de la dette du Congo qui pose problème est celle vis-à-vis de la Chine , des traders pétroliers, des banques privées et des obligations. Les prévisions budgétaires des charges de trésorerie pour 2020 sont de 1045milliards FCFA dont 601milliards pour cette partie-ci de la dette. Les experts sont formels, le Congo n’a pas les moyens de faire face à de tels engagements.
Tant que la Chine et les traders ne réduiront pas leurs créances, le Congo ne pourra pas à court et moyen terme s’en sortir malgré l’annulation massive annoncée par le chef de l’Etat français en faveur des pays africains. Ainsi, toujours dans le même ordre d’idée, la Côte d’Ivoire qui avait en 2012 atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE se retrouve aujourd’hui avec une dette publique qui avoisine 12 105,3 milliards FCFA à fin juin 2019. Elle réalise ainsi une progression de 4,29% par rapport à son niveau du 31 décembre 2018. L’encours de cette dette est essentiellement constitué de 67% de la dette extérieure et de 33% de la dette intérieure. A la fin de juin 2019, la dette extérieure de la Côte d’Ivoire s’est élevée à 8 063 milliards FCFA contre 7 613,4 milliards FCFA à fin décembre 2018. Les principaux créanciers de la Côte d’Ivoire sont donc les porteurs de titre de créances (51%), les partenaires bilatéraux (17,4%) et multilatéraux (24,6%). La part des autres créanciers ne ressort qu’à 7%. La plus grande part de cette dette est libellée en dollar (44,7%) contre 34,9% en euro. Aussi, 97,4% de la dette extérieure a été contractée à taux fixe contre 2,6% à taux variable.
La problématique de l’annulation de la dette
Annulation massive de la dette. Pourquoi Macron utilise t-il le vocable “massive”? Une annulation n’est elle pas une annulation? S’agit-il d’une réduction massive ou d’une annulation massive? D’entrée de jeu, il sied de souligner que la dette est le moyen classique d'”asservir davantage” les pays endettés, en ajoutant un nœud supplémentaire au nœud existant autour de leur cou. Par ailleurs , lorsqu’on parle d’annulation de la dette, c’est pas toujours limpide. Le togolais Edem Kodjo nous disait que par annulation de la dette il ne s’agit souvent que de l’annulation des intérêts de ladite dette tandis que le “capital” reste entier.
Parfois, on annule une partie de la dette (capital) sans toucher aux intérêts. Ce qui compte souvent pour le bailleur c’est la publicité autour de la pseudo-annulation de la dette et là, les détails manquent. Les dirigeants africains, pour la plupart d’entre eux, ne partagent pas avec leurs citoyens même par le biais de leurs élus au parlement. L’annulation de la dette de l’Afrique ne bénéficiera jamais qui plus est aux peuples du continent. Tous les experts et observateurs africains les plus avertis le savent, y compris les tenants du système financier des pays occidentaux et asiatiques. Le désendettement servira d’abord à déresponsabiliser certaines élites politiques prébendiéres ayant endetté leur pays à des fins de corruption et d’enrichissement personnel. La question de l’endettement du désendettement cyclique dans la coopération multilatérale s’apparente à un jeu de casino. Au terme de notre analyse, il serait judicieux de faire remarquer que le continent est riche de ses hommes et femmes mais cela n’est encore bien clair dans nos textes et les esprits de plusieurs africains, les dirigeants. Parce qu’on a pas cesser de nous asséner que nous sommes pauvres, sous-développés, qu’on nous aide, on a fini par le croire et on arrête pas de tendre la main. Il faut que cela change .
DETTE AFRICAINE : LA GÉNÉROSITÉ CALCULÉE DE MACRON
«Aujourd’hui, 40 % de la dette africaine, entre 145 et 175 milliards de dollars, est due à la Chine. Dans quelle mesure, Macron peut-il inviter à annuler une dette qu’il ne possède pas ?»
Libération |
Maria Malagardis |
Publication 14/04/2020
Alors que la dette du continent est en grande partie due à la Chine, la demande d’annulation du président français est surtout interprétée par certains comme un effet d’annonce.
Ce fut certainement l’annonce la plus surprenante du discours présidentiel lundi soir : «Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette», a déclaré Emmanuel Macron, qu’on n’attendait pas forcément sur ce terrain-là. Aussitôt, les réseaux sociaux ont été envahis de commentaires cocardiers s’insurgeant contre une annulation de dettes en faveur de l’Afrique alors qu’une largesse du même genre aurait dû profiter en priorité à nos entreprises nationales.
Autant rassurer tout de suite ces internautes «patriotes» : «Aujourd’hui, 40 % de la dette africaine, entre 145 et 175 milliards de dollars, est due à la Chine. Dans quelle mesure, Macron peut-il inviter à annuler une dette qu’il ne possède pas ?» s’interroge malicieusement Andrea Ngombet, un activiste congolais au sein du collectif Sassoufit qui depuis son exil parisien dénonce la kleptocratie qui règne au Congo-Brazzaville.
Voilà bien longtemps que les entreprises chinoises se sont incrustées dans le paysage économique de son pays natal, «à l’aide de contrats bidons, d’offres d’infrastructures plus ou moins fiables. Et avec des contreparties qui relèvent d’un système quasi féodal, en prenant possession des ressources locales. On retrouve le même système à Djibouti, en Guinée, en république démocratique du Congo ou en Ouganda», accuse-t-il. «Du coup, l’annonce de Macron vise peut-être à faire pression sur la Chine pour la contraindre à entrer réellement au sein du Club de Paris, là où se négocient les dettes africaines et où Pékin n’a jusqu’à présent accepté qu’un poste d’observateur depuis deux ans», suggère l’activiste congolais, qui voit dans cette démarche la possibilité d’impliquer la Chine «à un moment où les entreprises françaises en Afrique souffrent de l’insolvabilité des Etats qui ne règlent plus leurs échéances sous prétexte que la dette les étrangle».
«Mallettes»
Mais il reste plutôt méfiant :«Quand on évoque les dettes africaines, de quoi parle-t-on ? En réalité, il s’agit surtout de malgouvernance. Depuis les années 90, tous les dix ans, on voit naître des initiatives pour annuler les dettes africaines, et on se retrouve à chaque fois dans le même marasme. Car, parmi les pays bénéficiaires, il y a toujours les mêmes régimes qui volent les ressources de leurs pays», déplore-t-il. Et de rappeler que plus de 50 milliards de dollars (environ 45 milliards d’euros) échappent chaque année au fisc sur le continent et se retrouvent sur des comptes dans les paradis fiscaux,«sans compter les innombrables mallettes de cash qui circulent et ne sont pas comptabilisées».
Reste que les initiatives en faveur de l’allégement ou de l’annulation des dettes africaines sont à nouveau dans l’air du temps : le 11 avril, huit personnalités africaines signaient une tribune en faveur d’une suspension immédiate du remboursement de la dette, pour faire face aux conséquences économiques du coronavirus en Afrique. «Et le jour même du discours de Macron, c’est le FMI qui annonçait le versement d’une aide d’urgence à 25 pays, dont 19 africains. Aide qui leur permet de couvrir six mois de remboursement de leurs dettes à l’égard de cette institution», rappelle Kako Nubukpo, économiste et ancien ministre togolais.
«Anticipation»
«En réalité, Macron s’aligne sur cette position du FMI. C’est peut-être une bonne chose à court terme, parce que le continent manque de moyens pour répondre à la pandémie avec un déficit annuel de 66 milliards de dollars dans le seul domaine de la santé. Mais c’est une arme à double tranchant car on perpétue aussi le schéma des trente dernières années qui ne sanctionne pas la malgouvernance. Laquelle a justement conduit à négliger les infrastructures de santé», constate-t-il lui aussi, appelant à rester très vigilant sur les modalités éventuelles de cette annulation et le choix des bénéficiaires.
«En quoi un effacement des dettes peut-il combler à court terme le manque de masques, de respirateurs, voire d’électricité ?» s’interroge de son côté l’analyste politique ivoirien Franck Hermann Ekra. Lui voit dans cette annonce «une anticipation du monde d’après» : «On a le sentiment que Macron tente de reprendre la main en Afrique, tout en rappelant implicitement le destin universaliste de la France. Et dans l’immédiat, derrière le masque de la générosité, c’est aux Français qu’il s’adresse bien plus qu’aux Africains. Comme pour souligner que la France est passée du côté des soignants, avec un président qui, d’un discours à l’autre, a troqué l’uniforme du général de guerre pour la panoplie du médecin en chef. On est aussi dans le registre de l’émotion, celui qui s’impose au discours politique en ces temps de pandémie.»