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1 mai 2025
International
L'AMÉRIQUE FACE À SON PASSÉ ESCLAVAGISTE
L'historien Mohamed Mbodj, le consultant Athanase Karayenga et l'analyste politique René Lake commentent la perspective d'une compensation des États-Unis en guise de réparation pour les préjudices causés par l'esclavage
La commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants a adopté, mercredi 14 avril, un projet de loi portant le principe d’une compensation financière pour réparer les méfaits de l’esclavage aux Etats-Unis. Le texte a été adopté par 25 voix contre 17, les démocrates votant tous pour et les républicains tous contre. Ce vote historique s’inscrit dans un climat de tension causé par la mort dimanche de Daute Wright, 20 ans, à Brooklyn Center, banlieue de Minneapolis où se déroule actuellement le procès de Derek Chauvin, accusé du meurtre en mai 2020 de George Floyd.
La chambre basse du Congrès, où les démocrates sont majoritaires, devra ensuite approuver en séance plénière à une date indéterminée ce texte, appelé H.R.40, en référence à la promesse, non tenue, aux esclaves afro-américains libérés après la guerre de Sécession de donner aux anciens esclaves « 40 acres [de terre à cultiver] et une mule [pour tirer une charrue] » (« 40 acres and a mule »). Mais le sort du texte est incertain au Sénat, où les démocrates devront obtenir les voix d’au moins dix républicains pour qu’il soit finalement adopté.
Propositions d’indemnisation, opposition républicaine
Le projet de loi prévoit la création d’une commission d’experts qui serait chargée de faire des propositions sur l’indemnisation par le gouvernement des descendants des quelque quatre millions d’Africains amenés de force aux Etats-Unis entre 1619 et 1865, date de l’abolition de l’esclavage.
Il s’attaque à « l’injustice, la cruauté, la brutalité et l’inhumanité fondamentale de l’esclavage » et aux disparités dont souffre encore aujourd’hui la minorité noire américaine.
Ce vote « historique » est destiné à « poursuivre un débat national sur la façon de combattre les mauvais traitements subis par les Afro-Américains pendant l’esclavage, la ségrégation et le racisme structurel qui reste aujourd’hui endémique dans notre société », a déclaré avant le vote le président de la commission des affaires judiciaires, le démocrate Jerry Nadler.
La démocrate afro-américaine Sheila Jackson Lee a imploré ses pairs de ne pas « ignorer la douleur, l’histoire, et la sagesse de cette commission ».
Le président Joe Biden, lui aussi démocrate et qui a rencontré mardi des élus afro-américains au Congrès, s’est « engagé » à soutenir ce texte, a-t-elle dit.
Mais les membres républicains de la commission, tout en reconnaissant la brutalité de l’esclavage, s’opposent à cette législation. « Elle nous éloigne de l’important rêve de juger quelqu’un sur le contenu de sa personnalité et non la couleur de sa peau », a déclaré un représentant républicain, Chip Roy.
Au milieu du tumulte qui a suivi le dernier meurtre d'un Américain « de couleur » commis par la police, une autre information est passée à peu près inaperçue. Or elle témoigne de façon tout aussi grave du racisme d’État sur les Noirs américains
Au milieu du tumulte qui a suivi le dernier meurtre d'un Américain « de couleur » commis par la police, une autre information est passée à peu près inaperçue. Or elle témoigne de façon tout aussi grave, et peut-être plus grave encore, du racisme d’État qui s’acharne en toute impunité, avec une tranquillité proportionnée à sa cruauté, sur les Noirs américains.
Ces derniers jours, la presse américaine était pleine du dernier meurtre commis par la police : un jeune homme de vingt ans, noir, a été tué lors d’un contrôle routier. La policière s’est, nous dit-on, trompée d’arme : elle voulait dégainer son Taser et l’a confondu avec son arme de service. C'est, depuis le meurtre de George Floyd, le quinzième – vous lisez bien, le quinzième – Américain « de couleur » à être abattu par la police. (Voyez la « list of unarmed black people killed by the police » tenue à jour par Renee Ater).
Au milieu du tumulte qui s’en est suivi, une autre information est passée à peu près inaperçue. Or elle témoigne de façon tout aussi grave, et peut-être plus grave encore, du racisme d’État qui s’acharne en toute impunité, avec une tranquillité proportionnée à sa cruauté, sur les Noirs américains.
Voici cette information : un homme est sorti de prison. Cet homme, Guy Frank, a aujourd'hui 67 ans. Il a passé vingt ans de sa vie en prison.
Quel crime avait-il commis ?
Il avait volé deux chemises.
Oui, nous sommes aux États-Unis et au XXIe siècle.
Voici donc les faits : un jour de septembre 2000, Guy Frank a été pris en train de voler deux chemises dans un magasin « Saks Fifth Avenue » de la Nouvelle-Orléans.
Or, en Louisiane, si un accusé a déjà été condamné, les procureurs ont le droit de requérir des peines plus sévères que celles prévues par la loi pour le délit correspondant à l’affaire dont ils s’occupent.
Voici ce qu’en dit le Washington Post :
« Son cas montre comment les Noirs pauvres sont affectés de manière disproportionnée par ces peines extrêmes », écrit l'Innocence Project New Orleans, qui représentait Frank, dans un communiqué. « Il est difficile d'imaginer qu’un Blanc ayant des ressources reçoive cette peine pour ce délit. »
Bernette Johnson, l'ancienne présidente de la Cour suprême de Louisiane, a fait valoir que les lois de l'État sur les délinquants récidivistes remontent directement à des mesures destinées à maintenir les Noirs dans la pauvreté."
Bernette Johnson sait de quoi elle parle. L’été dernier, la Cour suprême de Louisiane devait se prononcer sur le cas d’un homme condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir tenté de voler une cisaille à haie, et qui demandait, ayant déjà passé vingt ans en prison, s’il ne serait pas possible de réviser la sentence. À l’unanimité, la Cour suprême a décidé qu’il devait rester sous les barreaux. À l’unanimité moins une voix, celle de Bernette Johnson.
Lorsque Thomas Sankara mentionne « la ruse, la fourberie » de certains bailleurs de fonds, il ne connaissait pas les créanciers de la Grèce – en grande partie français et allemands – mais il parlait déjà d’eux
Figure quasi-mythique en Afrique, considéré comme le « Che Guevara Africain », T Sankara a laissé de nombreux discours expliquant ses pensées et ses actions. Dans celui-ci, il fait le lien entre le colonialisme et la dette qui, déjà il y a plus de 30 ans, étranglait certains pays africains. Mais surtout, il appelle les membres de l’OUA à constituer un front uni pour refuser de payer cette dette.
Thomas Sankara est une figure quasi-mythique dans son pays, le Burkina Faso – ‘Le Pays des hommes intègres’ comme il l’a rebaptisé lorsqu’il était au pouvoir ; il l’est tout autant dans l’ensemble du continent africain. Thomas Sankara est en effet considéré comme le « Che Guevara Africain ».
Socialiste, anti-impérialiste, démocrate, anticolonialiste ; mais aussi homme idéaliste, intègre, altruiste, rigoureux, plein d’humour. Les qualificatifs pour le nommer sont nombreux. Il a laissé à la postérité de nombreux discours expliquant ses pensées et ses actions lorsqu’il était à la tête du Burkina Faso.
Le discours qu’il a prononcé pendant le sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine du 29 juillet 1987 à Addis-Abeba est certainement le plus célèbre.
Thomas Sankara y fait le lien entre le colonialisme et la dette qui, déjà il y a plus de 30 ans, étranglait certains pays africains. Mais surtout, il appelle les membres de l'Organisation de l'Unité Africaine à constituer un front uni pour refuser de la payer.
Il n’y a, bien sûr, aucune relation de cause à effet entre ce discours et son assassinat, intervenu 3 mois plus tard, le 15 octobre 1987. Juste une fâcheuse coïncidence ! Coïncidence qu’il prévoyait peut-être lorsqu’il dit : « si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ».
Certains passages de ce discours sont aujourd’hui d’une incroyable actualité.
Lorsque Thomas Sankara dit en 1987 que la dette fait « en sorte que chacun d’entre nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser », il aurait tout aussi bien pu le dire il y a 20 ans, il y a 10 ans ; il pourrait tout aussi bien le dire aujourd’hui.
Sont maintenant bien connues les ‘techniques’ mises en place depuis le début des années 1980 par les institutions financières internationales – principalement le FMI et la Banque Mondiale –qui ont conduit de nombreux pays de par le monde à la situation d’endettement très élevé, voire de surendettement, qu’ils connaissent aujourd’hui. Sans pour autant qu’ils ne soient sortis des graves difficultés économiques qui avaient nécessité la mise en place de ces prêts. Ces techniques sont connues sous le terme très ‘savant’ de ‘programmes d’ajustement structurel’.
Programmes d’ajustement structurels généralement extorqués par un chantage du type : « si vous voulez qu’on vous prête, vous devez / vous devez continuer / vous devez encore plus, faire de l’austérité, privatiser, libéraliser, flexibiliser, ouvrir vos frontières… Et donc ouvrir votre pays aux vautours entreprises multinationales qui vont acquérir des pans entiers de votre économie dans le seul but de leur propre enrichissement, sans viser celui de votre peuple et sans tenir aucun compte de ses besoins et de ses intérêts… Bien sûr, il faudra faire en sorte que ces sociétés paient le minimum d’impôts et aient toute latitude pour faire ce qu’elles veulent comme elles le veulent... Et qui dit austérité dit aussi coupes dans les services publics, la santé, l’éducation, les infrastructures… Ah oui ! Le prêt sera libellé en dollars… Oui, on sait, cela va vous obliger à privilégier les exportations au détriment des besoins directs de votre peuple… Mais c’est comme ça ! »
Caricaturale, cette présentation ? Très peu, en fait ; juste peut-être dans la formulation peu ‘diplomatique’. Les dégâts causés par ces programmes sont nombreux et ont amenés de très nombreux pays à demander de nouvelles aides, donc de nouveaux ajustements structurels, donc… Du néolibéralisme pur jus ! Reconnu, il faut le dire pour être totalement honnête, comme inadapté et abandonné par le FMI depuis quelques années – cette appréciation est, par contre, dite de façon fortement diplomatique.
L'AFRIQUE EST DANS UNE IMPASSE POUR SON APPROVISIONNEMENT EN VACCINS
De nombreux États africains dépendent des livraisons de vaccins AstraZeneca produits en Inde. Mais ce pays a annoncé fin mars qu'il allait retarder ses exportations pour lutter contre une nouvelle vague de contaminations
L'Afrique est "dans une impasse" pour son approvisionnement en vaccins contre le Covid-19, qui pourrait affecter les campagnes de vaccination dans certains pays, a déclaré jeudi le directeur pour l'Afrique des Centres de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC). De nombreux pays africains dépendent des livraisons de vaccins AstraZeneca produits en Inde, notamment par le Serum Institute of India, et distribués dans le cadre du programme Covax qui vise à fournir un accès équitable en particulier aux pays les plus pauvres. Mais l'Inde a annoncé fin mars qu'elle allait retarder ses exportations pour lutter contre une nouvelle vague de contaminations."Nous sommes dans une impasse en tant que continent", a déclaré jeudi le Dr John Nkengasong lors d'une conférence de presse."L'accès aux vaccins a été limité pour nous en tant que continent et cela affecte la manière dont nous déployons notre programme de vaccination", a-t-il ajouté.
Lundi, les 55 États membres de l'Union africaine (UA), dont dépend l'Africa CDC, avaient acquis 34,6 millions de doses de vaccin et en avaient administré 13,9 millions, a détaillé M. Nkengasong. Plus de 12 millions de ces doses sont du vaccin AstraZeneca, a précisé jeudi dans un communiqué l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Les contaminations sont en accélération dans 15 pays africains, tandis que 45 vaccinent déjà, a indiqué le Dr Richard Mihigo lors d'une conférence de presse virtuelle du bureau Afrique de l'OMS."Nous avons aujourd'hui un outil très puissant : le vaccin, cela nous permettra des sauver des vies (...) et de rouvrir nos économies", a affirmé le Dr Mihigo, coordonnateur du programme des maladies évitables par la vaccination pour l'OMS Afrique.Les autorités de santé africaines espèrent vacciner au moins 20% des plus d'un milliard d'habitants d'ici la fin de l'année. Le Dr Nkengasong a notamment évoqué le cas du Ghana qui a administré "70 à 80%" de son stock de doses, dont la plupart provenaient de Covax. "Même si le Ghana avait l'argent, il ne saurait pas où se procurer des vaccins", a-t-il souligné. AstraZeneca est un vaccin à deux injections, mais "nous ne pouvons pas prédire quand les deuxièmes doses arriveront", a-t-il poursuivi.
L'UA tente d'acquérir des vaccins de manière bilatérale, hors du programme Covax.Johnson & Johnson a annoncé en mars qu'il rendrait disponible pour l'Afrique jusqu'à 400 millions de doses de son vaccin à une injection, mais les premières livraisons ne devraient pas intervenir avant le troisième trimestre 2021.
L'Afrique du Sud a acquis de sa propre initiative des vaccins Johnson & Johnson, mais elle a suspendu leur administration après que les autorités américaines ont préconisé une pause en raison de doutes autour de cas de caillots sanguins. Aucun cas de caillot sanguin lié à ce vaccin n'a toutefois été enregistré en Afrique du Sud, a assuré M. Nkengasong. Pour lui, l'AstraZeneca reste un élément central de la stratégie de vaccination en Afrique, malgré les craintes qui existent également sur un possible lien avec de rares cas de caillots sanguins."La plupart des situations indésirables signalées après la vaccination n'impliquent que des effets secondaires légers à modérés. Aucun cas de troubles de la coagulation sanguine n'a été signalé après la vaccination", a assuré le bureau Afrique de l'OMS.
POUR LES FEMMES EN AFRIQUE, LE POUVOIR DE DIRE NON RESTE À CONQUÉRIR
La part des femmes qui peuvent dire « non » a tendance à diminuer depuis dix ans sur le continent. Une soumission grandissante aux demandes des conjoints qui s’observe au Ghana, au Mali et au Sénégal, entre autres
Le Monde Afrique |
Martine Valo |
Publication 15/04/2021
Choisir leur propre contraception, accoucher dans de bonnes conditions, avoir accès à l’éducation sexuelle, échapper au viol ou aux mutilations génitales… Le chemin des femmes vers l’autonomie est encore long. Le rapport annuel du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) souligne qu’une sur deux n’est toujours pas en mesure de faire respecter son intégrité corporelle dans une soixantaine de pays en développement. Et à en croire le copieux document intitulé « Mon corps m’appartient » et publié mercredi 14 avril par l’agence onusienne, la situation est particulièrement mauvaise dans certaines régions du continent africain.
L’usage de moyens de contraception modernes a plus que doublé dans le monde depuis 1994, mais, pour mesurer la capacité des femmes en couple de 15 à 49 ans à choisir pour elles-mêmes, le Fnuap ne s’est pas contenté d’analyser l’évolution du contrôle des naissances. L’agence a notamment exploité des données qui découlent d’un des « objectifs de développement durable » adoptés en 2015, celui qui porte sur l’égalité entre les sexes. Trois questions ont été posées aux participantes : Qui prend généralement les décisions relatives à votre propre santé ? A votre contraception ? Pouvez-vous dire « non » à votre mari si vous ne souhaitez pas avoir de rapport sexuel ?
Au Mali, au Niger et au Sénégal, les réponses apportées reflètent une situation jugée « alarmante » par les auteurs. Dans ces trois pays, moins de 10 % des femmes prennent des décisions de façon autonome. La situation est plus nuancée en Ethiopie : 94 % des sondées disent avoir recours à la contraception, mais elles ne sont que 53 % à pouvoir opposer un refus à leur partenaire. Au Bénin, le pourcentage de celles qui décident elles-mêmes de contrôler le nombre de leurs enfants progresse ; par contre, la part des femmes qui peuvent dire « non » a tendance à diminuer depuis dix ans. Une soumission grandissante aux demandes des conjoints qui s’observe aussi au Ghana, au Mali et au Sénégal.
Le « prix de la fiancée »
D’après le Fnuap, l’Afrique se distingue surtout par son nombre élevé de naissances au regard de l’évolution de la démographie mondiale. Le taux de fécondité total (qui donne pour chaque pays un nombre moyen d’enfants par femme calculé par tranche d’âge) est de 4,9 dans l’ouest et le centre du continent, 4,2 dans l’est et le sud, alors que la moyenne mondiale se situe à 2,4. Le Niger est le seul pays du monde où l’indicateur de fécondité dépasse 6 (il s’y établit à 6,6). Viennent ensuite le Mali, la République démocratique du Congo (RDC), l’Angola, le Tchad, le Nigeria, le Burundi, le Burkina Faso et la Gambie, qui enregistrent tous au moins 5 enfants par femme.
F CFA, LA FARCE DE MAUVAIS GOÛT DE MACRON ET OUATTARA
La France en difficulté en Afrique utilise toujours la même recette : apporter en surface quelques modifications à son édifice néocolonial pour que rien ne change. C’est ce procédé que Paris, sous pression, a appliqué à nouveau avec la réforme du F CFA
Le gouvernement français a rendu publics les deux principaux textes de la « réforme » du franc CFA d’Afrique de l’Ouest – dont un n’a jamais été soumis aux parlementaires. Ces documents confirment que rien ne change : le contrôle de l’État français sur cette monnaie reste identique. Emmanuel Macron et Alassane Ouattara n’ont rien fait d’autre qu’une belle opération de communication.
Il n’aura échappé à aucun observateur attentif que la France est en difficulté sur le continent africain. Son emprise sur les pays de la zone franc, ce que certains appellent son « pré carré », est de plus en plus contestée par les populations des pays concernés.
Paris a déjà été confronté à plusieurs reprises à une telle situation dans le passé. Pour s’en sortir, le gouvernement français a toujours utilisé la même recette : apporter en surface quelques modifications à son édifice néocolonial afin de faire croire qu’il prend en compte les critiques, tout en ne changeant rien au fond. L’idée est à la fois de gagner du temps et de reprendre la main, voire de resserrer son contrôle.
C’est ce procédé que les autorités françaises, sous pression, ont décidé d’appliquer à nouveau avec la réforme du franc CFA d’Afrique de l’Ouest, annoncée à Abidjan le 21 décembre 2019 par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara.
Cette réforme, adoptée par les députés français en décembre 2020 et par les sénateurs en janvier 2021, vise ainsi à débarrasser le « système CFA » de ses aspects les plus embarrassants, ceux qui ont nourri les critiques répétées des mouvements pour l’émancipation monétaire en Afrique francophone : l’acronyme franc CFA, la représentation française au sein des instances de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), l’obligation pour celle-ci de déposer la moitié de ses réserves de change auprès du Trésor français.
Mais dans le même temps, et c'est l’objectif principal, elle maintient les fondamentaux du « système CFA » : la parité fixe avec l’euro, la liberté de transfert des capitaux et revenus, et la tutelle du Trésor français sur le franc CFA et la BCEAO à travers sa prétendue « garantie » de convertibilité.
Cette stratégie apparaît de manière évidente lorsque l’on examine attentivement les nouveaux textes qui ont été adoptés et qui viennent d’être rendus publics par le gouvernement français, mais aussi quand on s’intéresse à la manière dont les parlementaires ont été utilisés, pour ne pas dire dupés.
La fausse procédure démocratique
Contrairement à ce que le gouvernement leur a fait croire, les parlementaires français n’ont pas été consultés. Le processus d’approbation auquel ils se sont soumis et auquel certains ont sincèrement cru était dans les faits sans objet et sans effet : tout avait été déjà décidé et même déjà mis en œuvre.
Regardons cela dans le détail. Il faut d’abord noter que la réforme repose sur deux nouveaux textes. Le premier est un accord de coopération monétaire, signé le 21 décembre 2019 par les ministres des Finances des huit pays de l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine) et par le ministre français de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Lemaire. Il remplace un précédent texte datant du 4 décembre 1973. Le second document est une convention de garantie, signée le 10 décembre 2020 par Bruno Lemaire et Tiémoko Meyliet Koné, gouverneur de la BCEAO.
Cette convention de garantie prévoit, comme le faisait la convention de compte d’opérations de 1973 qu’elle remplace, que la France prête sa monnaie (des euros) à la BCEAO lorsque cette dernière manque de réserves de change pour couvrir ses engagements extérieurs. Il a fallu que le sénateur communiste Pierre Laurent insiste pour que ce texte soit rendu public.
Premier problème : bien que constituant le cœur de cette pseudo « réforme », le texte de la convention de garantie n’a jamais été porté à la connaissance des parlementaires – ce qu’ils n’ont pas relevé. S’il a été depuis mis en ligne par le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, une annexe n’a elle pas encore été rendue publique.
Deuxième problème : bien avant que le texte de l’accord de coopération monétaire soit soumis aux parlementaires, certaines de ses dispositions étaient déjà appliquées « sur la base d’un avenant à la convention de compte d’opérations antérieure », signé en octobre 2020 sous l’empire de l’accord de coopération monétaire de 1973, nous indique le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance.
Troisième problème : la réforme dans son entièreté était déjà appliquée bien avant que les parlementaires ne l’adoptent, puisqu’elle est entrée en vigueur le 1er janvier, alors que les sénateurs ne l’ont approuvée que le 28 janvier et que le président Macron a promu la loi correspondant le 3 février. Est-ce bien constitutionnel étant donné que l’article 53 de la Constitution française stipule qu’un traité international ne peut prendre effet qu’après avoir été ratifié ou approuvé ? Le ministère nous répond que « la convention de garantie a été conclue et mise en œuvre sous l’empire de l’accord de coopération monétaire de 1973 ».
En somme, les parlementaires ont participé sans le savoir à une opération de communication, voire à une farce : qu’ils approuvent ou pas les changements, cela n’avait aucune incidence sur le déroulement des opérations décidées et menées par le Trésor français.
Il faut dire que dans le fond les changements apportés par cette « réforme » ne sont qu’apparents, comme nous allons le voir.
Sur le « départ » des représentants français
Première modification induite par les deux textes : il n’y a plus de représentants français au sein du Conseil d’administration de la BCEAO, de son Comité de politique monétaire et de sa Commission bancaire (AC, art. 10). C’est censé être un progrès et montrer à l’opinion publique que la France renonce à son influence. En réalité, ce « départ » des représentants français des instances de la BCEAO est nominal. Car d’autres formes de contrôle sont mises en place pour le pallier, comme le laisse voir le texte de l’accord, qui précise :
- « Le Comité de politique monétaire de la BCEAO comprend une personnalité indépendante et qualifiée, nommée intuitu personæ par le Conseil des ministres de l’UMOA en concertation avec le Garant [le gouvernement français]» (AC, art. 4).
- « Afin de permettre au Garant de suivre l’évolution du risque qu’il couvre, la BCEAO lui transmettra régulièrement les informations dont le contenu et les modalités de transmission seront précisés par échange de lettres entre eux. La coopération est également assise sur la tenue de rencontres techniques organisées en tant que de besoin entre les différentes parties, selon des modalités à convenir entre elles » (AC, art. 5).
- « Les Parties à l’accord se réunissent à la demande de l’une d’entre elles lorsque les conditions le justifient, notamment en vue de prévenir ou de gérer une crise » (AC, art. 6).
On constate que, en plus de ces dispositions, la France continue à exercer un contrôle politique de manière informelle et hors des textes puisque les détails de la mise en œuvre de la convention de garantie sont déterminés « par échange de lettres » entre la BCEAO et le ministère des Finances français.
Sur la fin du compte d’opérations et la « garantie » française
Autre évolution apparente apportée par la réforme : la BCEAO n’est plus obligée de laisser la moitié de ses devises au Trésor français sur ce qu’on appelait le « compte d’opérations ». Les montants placés au niveau du Trésor français sont désormais « transférés sur un ou plusieurs comptes que la BCEAO désigne » (AC, art. 10). Fin 2019, la BCEAO avait accumulé 6252 milliards de francs CFA (9,5 milliards d’euros), soit 76% du total de ses réserves de change, dans son compte d’opérations auprès du Trésor français. La BCEAO a donc maintenant la possibilité théorique de placer librement ses réserves de change dans les actifs de son choix.
Mais le compte d’opérations disparaît-il vraiment ? En réalité, le Trésor français continue à maintenir son rôle putatif de « garant » de la convertibilité du franc CFA à taux fixe, ce qui signifie qu’il autorise la possibilité d’un découvert « non plafonné » en euros à la BCEAO en cas d’épuisement de ses réserves officielles (CG, art. 2). Or une telle disposition requiert l’ouverture préalable d’une ligne de trésorerie dans les écritures comptables du gouvernement français (CG, art.2).
Autrement dit, le compte d’opérations disparaît pour réapparaître sous une nouvelle forme, moins onéreuse pour le gouvernement français (il n’est plus tenu de verser à la BCEAO des intérêts sur ses réserves au taux nominal de 0,75%), et qui lui assure un contrôle politique similaire. C’est la magie de la « réforme » à la française…
Conditions préalables à l’activation de la garantie française
Ce n’est pas tout. L’activation de cette « garantie », de cette possibilité de découvert, reste assortie des mêmes conditions drastiques qui l’ont toujours rendue superflue. La BCEAO va continuer à faire ce qu’elle a toujours fait, à savoir s’astreindre à maintenir un taux élevé de couverture de l’émission monétaire – le rapport entre les réserves de change de la BCEAO et ses engagements à vue –, ce qui rend la garantie française inutile.
Entre 1960 et 2020, la BCEAO n’a ainsi bénéficié de découverts auprès du Trésor français que durant la période 1980-1990, découverts qui avaient généralement servi à faciliter le rapatriement des capitaux et revenus des entreprises françaises craignant une dévaluation du franc CFA (voir Pigeaud et Sylla 2018 : 114-115)
Le système CFA comporte par ailleurs un dispositif d’alerte que la réforme ne change pas : le signal que le niveau de réserves a atteint un niveau critique est donné lorsque le taux de couverture de l’émission monétaire est inférieur ou égal à 20 %. Dans un tel cas, avant de solliciter la garantie française, la BCEAO doit utiliser les Droits de tirages spéciaux (DTS) de ses États membres auprès du Fonds monétaire international (FMI) ou les convertir en devises. Elle doit aussi procéder au « ratissage », c’est-à-dire récupérer les devises détenues par les organismes publics et les banques de la zone UMOA.
À supposer que ses réserves de change baissent jusqu’au seuil d’alerte (les 20 %), elle doit, en plus des dispositions de « ratissage », durcir sa politique monétaire afin de reconstituer rapidement ses réserves de change.
Si malgré toutes ces mesures la BCEAO fait face à une insuffisance de réserves de change, il est prévu qu’elle « informe dans les meilleurs délais le Garant de l’activation possible de sa garantie et des montants susceptibles d’être appelés [utilisés] » (CG, art. 5). Le souhait de voir activer la garantie française pour un premier tirage doit être notifié « cinq jours ouvrés Target [le système de paiements de la zone euro] » à l’avance (CG, art.6).
Mais un tel scénario reste toujours très peu probable, car même s’il n’y a plus de représentants français dans les instances de la BCEAO pour faire en sorte que le système fonctionne sans avoir besoin de la « garantie » française, le dispositif de contrôle qui avait cours avant la réforme reste lui aussi bien là. La France, en tant que « garant », a toujours son mot à dire pour « prévenir » une crise ou aider à la résoudre. En effet, la « fin » du compte d’opérations et le « départ » des représentants français des instances de la BCEAO ont été compensés par des garde-fous institutionnels, dont :
Un système de reporting : « Le Garant est préalablement informé des changements substantiels dans la gestion des réserves de change » de la BCEAO (CG, art. 3).
Un retour possible avec voix délibérative du représentant français au Comité de politique monétaire de la BCEAO : lorsque le taux de couverture de l’émission monétaire est inférieur ou égal à 20%, « le Garant peut, en complément des dispositions prévues dans les statuts de la BCEAO, désigner, à titre exceptionnel et pour la durée nécessaire à la gestion de la crise, un représentant au Comité de Politique Monétaire de la BCEAO, avec voix délibérative » (AC, art 8.)
Un retour possible avec voix consultative des représentants français au Conseil d’administration et à la Commission bancaire de la BCEAO : « Pour prévenir ou gérer une crise, le Garant peut demander, à titre exceptionnel et pour la durée nécessaire à la gestion ou à la prévention de la crise, à participer sans voix délibérative aux réunions du Conseil d’Administration de la BCEAO et à la Commission Bancaire de l’Union, pour y porter sa position. » (CG, art. 4)
Conditions financières associées à l’activation de la garantie
Dernier point qui confirme que rien ne change : en cas d’activation de la garantie, hypothèse décidément hautement improbable, « la BCEAO, ou les institutions habilitées qui lui succèdent, a l’obligation de placer au moins 80 % de tout flux entrant de devises sur cette ligne de trésorerie » (CG, art. 7). Cette disposition qui paraît difficile à mettre en œuvre (au regard notamment du délai de recouvrement des recettes d’exportation) confirme que le système du compte d’opérations est redéployé sous une nouvelle forme et, surtout, que la garantie, l’autorisation de découvert, doit avoir un caractère exceptionnel et temporaire. Dans un tel cas, la BCEAO devra aussi payer un taux d’intérêt débiteur basé sur le taux de prêt marginal au jour le jour de la Banque centrale européenne (BCE).
Dans le passé, la France a eu, rappelons-le, deux attitudes quand les banques centrales de la zone franc ont souhaité faire activer la garantie française afin de maintenir la parité du franc CFA vis-à-vis de la monnaie française. Soit elle a procédé à une dévaluation du franc CFA comme en 1994, soit elle a fait appel au FMI qui a octroyé les liquidités nécessaires en contrepartie de politiques d’austérité et de libéralisation économique, comme cela a été le cas pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac) au milieu des années 2010. D’ailleurs, dans un document intitulé « Gestion des réserves internationales de la Cémac » et publié en 2018, le FMI soulignait qu’il « existe des incertitudes quant à la capacité du Trésor français, qui lui-même doit respecter les règles plus larges de la zone euro, à offrir ce type de garantie à grande échelle pour une période indéfinie. »
Pendant tout le reste du temps, ce sont les États africains qui ont, dans les faits, avec leurs réserves de change, garanti eux-mêmes la valeur du franc CFA et donc sa parité fixe avec l’euro. Comme l’a écrit en 1980, Bernard Vinay, ex-directeur de la Banque centrale des États d’Afrique centrale et du Cameroun (l’actuelle BEAC) : « La garantie est virtuelle aussi longtemps que les instituts d’émission (africains) disposent de réserves … Lorsque les pays de la zone franc disposent de réserves de change, cette garantie est purement nominale puisqu’elle n’est pas mise à contribution ». Les autorités françaises savent tout ceci parfaitement. Le député qui a été le rapporteur sur le projet de réforme a lui-même dit à ses collègues : « Le pari est fait qu’il en ira de même à l’avenir ».
La prétendue garantie française a toujours été un prétexte permettant à la France d’avoir un contrôle politique sur les affaires économiques et monétaires des pays de la zone franc.
D’une pierre plusieurs coups
Avec ce tour de passe-passe, Paris réussit donc provisoirement à sauver son empire monétaire pour quelques temps encore.
Le gouvernement français fait en plus d’une pierre deux coups, puisque l’un des objectifs cachés de la réforme était de doubler la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui a l’ambition de créer une monnaie unique pour les quinze pays qui la composent, dont les huit pays de l’UMOA qui utilisent le franc CFA.
Les chefs d’État de la Cédéao ont en effet élaboré une feuille de route pour l’avènement de leur monnaie unique régionale qu’ils ont choisi d’appeler eco (diminutif d’Ecowas, acronyme anglais de la Cédéao). Le jour même où la Cédéao devait se prononcer sur le futur de cette monnaie, MM. Macron et Ouattara ont annoncé, sans avoir consulté quiconque, que le franc CFA serait rebaptisé eco. Le couple franco-ivoirien a ainsi opéré un vol pur et simple n’ayant pour autres buts que de créer de la confusion et de substituer au projet d’intégration monétaire de la Cédéao celui de la France, laquelle cherche à étendre l’usage du franc CFA à d’autres pays de la région.
Derniers éléments à souligner :
- Le nouvel accord de coopération monétaire et la convention de garantie ne font nulle part état d’un changement du nom franc CFA en eco. Soit un autre élément de la blague franco-ivoirienne.
- Bien que l’accord de coopération et la convention de garantie soient entrés en vigueur, ils n’ont toujours pas été publiés sur le site web de la BCEAO dont les statuts n’ont pas non plus été modifiés, ne serait-ce que pour prendre en compte les évolutions relatives à la présence française dans ses instances.
- L’accord et la convention de garantie n’ont pas été soumis aux parlements des pays de l’UMOA. Il semblerait que ce passage devant les instances démocratiques ne soit pas nécessaire car il s’agirait d’un « accord en forme simplifiée ». Pourtant, le régime d’émission de la monnaie est une prérogative parlementaire dans la plupart des Constitutions des pays francophones d’Afrique de l’Ouest.
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BOUAKÉ : ALLIOT-MARIE ET VILLEPIN N'EXPLIQUENT PAS LE MYSTÈRE DES SUSPECTS RELÂCHÉS
Comme celui de Michel Barnier la veille, les témoignages des anciens ministres Michèle Alliot-Marie et Dominique de Villepin n'ont pas permis, mardi, d'expliquer l'étrange impunité dont ont bénéficié les auteurs présumés du bombardement
Comme celui de Michel Barnier la veille, les témoignages des anciens ministres Michèle Alliot-Marie et Dominique de Villepin n'ont pas permis, mardi, d'expliquer l'étrange impunité dont ont bénéficié les auteurs présumés du bombardement qui a tué neuf soldats français à Bouaké, en 2004.
La France a-t-elle tout fait pour rechercher les auteurs du bombardement qui a tué neuf de ses soldats à Bouaké, en novembre 2004 ? En charge du portefeuille de la Défense, Michèle Alliot-Marieétait à l'époque en première ligne. À la barre de la cour d'assises de Paris, elle a tenté d'expliquer une nouvelle fois, mardi 13 avril, comment elle s'est mobilisée après la pire attaque subie par l'armée française depuis vingt ans.
Au centre des préoccupations des juges, la journée du 16 novembre 2004, dix jours après le bombardement meurtrier de l'aviation ivoirienne, où le Togo a proposé à la France de lui livrer huit mercenaires biélorusses en fuite, dont des pilotes soupçonnés de l'avoir mené. Parmi eux figure Yury Sushkin, qui a dirigé le raid et fait partie des trois accusés jugés en leur absence car introuvables.
"Il fallait que le drame de Bouaké ne se reproduise pas à un autre endroit"
Contrairement à ses collègues d'alors, Michel Barnier (Affaires étrangères) et Dominique de Villepin (Intérieur), Michèle Alliot-Marie ne nie pas avoir été informée de la proposition togolaise de livrer les pilotes. Mais, visiblement mal à l'aise, elle hésite dans ses souvenirs et indique même avoir été informée à deux moments différents de cette arrestation.
La deuxième fois, raconte-t-elle, "j'ai dit, cette fois-ci on les récupère". "Mais là, on m'a dit qu'il y avait un problème" juridique, "je ne sais pas qui au cabinet estimait que ce n'(était) pas possible". Puis elle livre une information inédite : "J'ai demandé s'il y avait possibilité de monter une opération de la DGSE pour les récupérer. Je m'en souviens, c'était un après-midi et j'ai eu la réponse le lendemain matin : ils sont déjà repartis".
La cour s'étonne de ses propos, notamment sur un obstacle juridique et rappelle au témoin que la cheffe de la direction juridique de son ministère à l'époque, Catherine Bergeal, qui a témoigné au procès, et le conseiller juridique de son cabinet, David Sénat, interrogé pendant l'instruction, ont tous les deux affirmé n'avoir jamais été saisis de cette question.
Comme d'autres responsables de l'époque, Michèle Alliot-Marie souligne qu'elle devait surtout gérer à l'époque le "chaos" provoqué par le bombardement de Bouaké et la destruction, en représailles, par Paris de l'aviation ivoirienne, à l'origine de violentes manifestations anti-françaises.
"C'est facile quand on est ici à Paris de dire on aurait pu faire ceci, faire cela. J'avais des militaires sur le terrain et des milliers de Français à évacuer, il fallait que le drame de Bouaké ne se reproduise pas à un autre endroit, c'est ça qui était important", plaide-t-elle.
"La priorité numéro 1 n'était pas la priorité juridique. D'autres auraient pu réagir" sur la question des suspects, souligne la ministre en égratignant au passage Michel Barnier, qui a témoigné ne pas avoir été informé de l'épisode togolais bien que son ambassadeur à Lomé ait envoyé un télégramme sur le sujet. "J'ai trouvé ça étrange", glisse Michèle Alliot-Marie.
De Villepin nie avoir été informé
Interrogé lundi par la cour, Michel Barnier avait expliqué qu'il avait été tenu à l'écart du dossier ivoirien par l'Élysée car ce dossier concernait avant tout "les militaires". Plus tôt mardi, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Dominique de Villepin, a écarté toute responsabilité dans l'épisode togolais. L'un des policiers de l'ambassade française à Lomé, rattaché au service du coopération du ministère de Dominique de Villepin, avait pourtant été informé par les Togolais et avait fait remonter l'information en France.
Dominique de Villepin assure ne pas avoir reçu cette information et souligne qu'en tant que "ministre de l'Intérieur, et pas de l'extérieur", il n'était ni "concerné", ni "informé" des évolutions de la crise ivoirienne, et donc pas non plus des "dysfonctionnements" français dans l'enquête.
"L'information a été transmise à deux ministère et a été traitée. On peut ne pas aimer la réponse mais elle a été faite et assumée", résume-t-il à l'adresse de ses deux anciens collègues du gouvernement. Les plaidoiries des parties civiles sont prévues mercredi, avant le réquisitoire et le verdict, attendu jeudi ou vendredi.
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, RENÉ LAKE
LE LONG SILENCE DU TEMPS
EXCLUSIF SENEPLUS – Les années Covid-19 ont bouleversé nos vies - Capturons pour l’Histoire la création intellectuelle du moment - Disons nos états d’âme, nos espoirs… Un projet de réflexion et d’action individuelle et collective
SenePlus lance un nouveau projet d’écriture et de création. Votre site d’information, d’analyse et de réflexion sollicite des productions écrites de leaders d’opinion du Sénégal, mais aussi d’ailleurs. Il invite le grand public également à participer à cette aventure, lui qui s’exprime à foison sur les réseaux sociaux et dans la presse. Le projet consiste à capturer les réflexions transformatrices et les créations de ce moment historique pour tous.
#SilenceDuTemps - La survenance de l’épidémie du coronavirus et les mesures prises pour la contenir au Sénégal ont créé une situation inédite : couvre-feu, réductions du temps de travail, mesures de sauvegarde, lavage systématique des mains, distanciation physique et sociale, port de masque, fermeture des mosquées et des églises, confinement partiel pendant plusieurs semaines… Le cours de la vie personnelle, professionnelle et sociale de chacun d’entre nous en est encore profondément bouleversé, d’une manière tout à fait singulière et inattendue.
Le Sénégal sous état d’urgence, le temps semble ralenti, le monde à l’arrêt. Des peurs, des craintes, mais aussi des rêves et des espoirs germent dans les esprits et apparaissent dans quelques œuvres éparses. Titille visiblement les consciences, le désir de partage des effets transformateurs et les actions salvatrices de la crise multiforme dans laquelle les humains se retrouvent comme piégés.
Consciences et subconsciences d’un moment historique porteur de transformations profondes font glisser les éditeurs que nous sommes vers de multiples questions : comment capturer ce moment ? Comment dire et rappeler ce temps ? Comment mobiliser pour transformer en mieux les réalités, la réalité ? Temps de réflexion, de critique et d’autocritique ainsi que de créativité unique sans doute. Par l’écriture, l’analyse journalistique et politique ? La réflexion philosophique, sociologique et historique ? Par l’art, la fiction, le dessin, l’image filmée, le montage vidéographique ?
Ce silence du temps fige "le moment philosophique". Un moment identique dans tous les recoins du globe, mais un ressenti et une solution micro-individuels. Dans ce silence du confinement, de l’éloignement social, de la distance à l’autre pour d’abord le protéger et ensuite se prémunir d’un invisible potentiel danger, comment capitaliser la créativité transformatrice de l’un et de tous ?
Le silence, cette odeur qui transporte, qui transplante, qui propulse. Cette senteur qui fait rêver et fait emmagasiner l’énergie de l’action. Le temps, cette abstraction qui devient l’horloge de la vie. Cette pierre qui porte les pas du mouvement de l’individu et du groupe qui s’élance vers la lumière tout en regardant la lune derrière qui se couche, mais éclaire les sentiers qui s’illuminent au petit matin d’une nouvelle épopée pleine de vie et pleine d’espoirs.
Le silence du temps, c’est le réveil de l’esprit empli d’espoir qui s’élance dans l’action transformatrice. "Capturer pour transformer ", c’est l’objectif de #SilenceDuTemps, ce projet de réflexion, d’écriture, de production, de diffusion, de systématisation et de sensibilisation.
- Capturer la réflexion intellectuelle de transformation et la création artistique au temps de l’épidémie du Coronavirus -
Ce moment d’écriture et de création artistique de SenePlus a pour objectif de répondre en partie à des questions qui peuvent avoir un impact majeur sur l’Afrique en général et sur le Sénégal en particulier. Dans une Afrique un tantinet désertée par la pensée autour d’un développement endogène ou d’une réflexion sur de vrais projets de sortie de la misère, les vents semblent tourner et offrir des opportunités de voir les cent fleurs de l’espoir fleurir à nouveau, comme à l’époque des indépendances. Le projet consiste à solliciter des productions écrites de leaders d’opinion du Sénégal, mais aussi d’ailleurs. Le grand public est aussi invité à participer à cette aventure, lui qui s’exprime à foison sur les réseaux sociaux et dans la presse. Le projet consiste à capturer les réflexions transformatrices et les créations de ce moment historique pour tous.
Il s’agit à la fois de documenter le moment pour l’histoire, de solliciter l’imagination pour d’éventuelles créations nouvelles et revisiter les conditions de notre développement à la lumière de la situation historique inédite provoquée par la survenance de la pandémie. Projet à la fois de réflexion, d’écriture, de production, de diffusion, de systématisation et de sensibilisation, il s’agit de tenter de renouveler la réflexion sur un véritable développement endogène.
Dans une tribune publiée le 28 avril 2020 sur SenePlus, l’essayiste Fatoumata Sissi Ngom définit bien le cadre dans lequel ce projet #SilenceDuTemps va se déployer : « La pandémie de Covid-19 fera basculer le monde dans un autre régime. En plus de la tragédie humaine qu’il est en train de générer à mesure qu’il se propage, le Coronavirus tend au monde un gigantesque miroir. Il nous pousse à nous examiner. Nous-mêmes, nos économies, nos aspirations, nos modes de vie, notre façon de prodiguer les soins. Cet examen de nous-mêmes est déjà extrêmement douloureux et nécessite une grande quantité de courage pour l’affronter, mais il constitue, aussi, une opportunité pour se relever plus forts. Pour le continent africain, il devient vital de saisir cette opportunité pour s’embarquer sur une nouvelle trajectoire de développement durable véritablement endogène et souverain. Dès lors, définir la bonne algèbre de priorités et d’approches relève aujourd’hui d’une absolue nécessité. Mais avant de commencer l’écriture de nos nouveaux romans nationaux et d’unir nos forces aux niveaux sous régional et continental, factoriser nos réelles aspirations en matière de développement constituent une première étape cruciale qu’on ne doit pas manquer ».
En quelque sorte, ce projet a déjà été lancé par la diffusion le 3 juin 2020 sur SenePlus d’une bien riche conversation sur "Le silence du temps " à laquelle ont participé le philosophe et chercheur Souleymane Bachir Diagne, l’ancienne ministre française Rama Yade, l’expert en prospective Alioune Sall Paloma, l’écrivain de renom Mohamed Mbougar Sarr, l’historienne et ancienne ministre de la Culture Penda Mbow, le journaliste et sociologue Elgas, l’experte en développement Marie-Angelique Savané, le politologue Ousmane Blondin Diop, l’ancien patron d’Amnesty International Pierre Sané, l’historien et universitaire panafricaniste Babacar Buuba Diop, l’écrivaine et analyste politique Fatoumata Sissi Ngom et l’artiste et musicien Didier Awadi.
Le projet sollicite des articles d’analyse et de réflexion aussi bien que des essais, des poèmes, de courtes fictions et de dessins et esquisses. Chaque auteur publiera sur SenePlus une contribution en deux parties. Chaque partie d’une longueur comprise entre 1.000 et 3.000 mots environ. Certains auteurs préféreront peut-être publier deux articles séparés. Dans un cas comme dans l’autre, la première partie devra tourner autour d’un développement sur "Nos états d’âme Covid", et la seconde sur "Nos espoirs collectifs post-Covid". Deux poèmes et 6 planches et dessins ou d’esquisses seront proposés selon le même développement.
Sous le même modèle que "#Enjeux2019-2024, Sénégal, réflexions sur les défis d’une émergence" publié il y a moins d’un an aux éditions L’Harmattan, nous ferons une sélection et une compilation de ces contributions dans un ouvrage collectif dont tous les droits d’auteur iront au bénéfice d’une association sénégalaise s’occupant des enfants de la rue. Cette publication sera dédiée à la mémoire de quatre frères, amis et partenaires de la famille SenePlus, Babacar Touré, Mohamed Sall Sao, Jean-Meissa Diop et Charles Owens Ndiaye.
Dans le même temps, nous publierons un deuxième ouvrage, mais cette fois individuel, toujours dans le cadre du projet #SilenceDuTemps" qui sera une compilation des chroniques réactualisées "Notes de terrain", de l’éditorialiste de SenePlus Paap Seen.
À vos ordis, vos tablettes, vos plumes, vos crayons, vos micros, vos caméras. À vite.
TROP D'EUROPÉENS PENSENT QUE LA MODE AFRICAINE SE RÉSUME AU WAX
Imane Ayissi fut le premier styliste d’Afrique subsaharienne inscrit au prestigieux calendrier officiel de la haute couture à Paris, en janvier 2020. Ses collections reflètent l’immense diversité des savoir-faire du continent noir
Imane Ayissi a eu plusieurs vies avant d’être créateur de mode, mais le corps a toujours été au cœur de ses activités. Mannequin cabine pour Yves Saint Laurent et Pierre Cardin, danseur du Ballet national du Cameroun puis collaborateur de Patrick Dupond, mais aussi boxeur amateur, le couturier place la liberté de mouvement au cœur de ses créations. « L’expression corporelle est un élément central dans la construction d’un vêtement. J’essaie tous mes prototypes sur des mannequins plutôt que sur des Stockman, je drape les tissus sur la personne, j’aime assister à la naissance de nouvelles formes, les voir prendre vie. »
Né au Cameroun en 1968 d’un père boxeur et d’une mère hôtesse de l’air, première Miss Cameroun post-indépendance en 1960, Imane Ayissi a toujours eu un faible pour les vêtements. Enfant, il dessine des silhouettes à même le sol et habille sœurs et cousines avec ce qu’il trouve. « J’ai des souvenirs incroyables de ma mère, tous les week-ends, à Yaoundé, les gens affluaient à l’aéroport en espérant la voir passer. On venait admirer sa silhouette perchée sur des talons aiguilles et son chignon très sixties, c’était l’attraction. Je me disais : ce n’est pas ma maman, c’est une fée qu’on a placée chez moi. »
BLAISE COMPAORÉ SERA JUGÉ POUR L'ASSASSINAT DE THOMAS SANKARA
L'ex-président du Burkina Faso, en exil en Côte d'Ivoire, va être jugé pour l'assassinat de son prédécesseur, icône panafricaine, lors du coup d'Etat de 1987 qui l'a porté au pouvoir
L'ex-président du Burkina Faso Blaise Compaoré, en exil en Côte d'Ivoire, va être jugé pour l'assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara, icône panafricaine, lors du coup d'Etat de 1987 qui l'a porté au pouvoir, ont indiqué mardi à l'AFP des avocats.Le dossier a été renvoyé mardi devant le tribunal militaire de Ouagadougou, après la confirmation des charges contre les principaux accusés, dont Blaise Compaoré, 34 ans après la mort du "père de la Révolution" burkinabè, selon des avocats de la défense et des parties civiles."Ce (mardi) matin nous avons assisté au délibéré de la chambre de contrôle de l'instruction, qui a renvoyé le dossier en jugement", a déclaré à l'AFP Me Guy Hervé Kam, un avocat de la partie civile. "Il s'agit essentiellement de Blaise Compaoré et de 13 autres, accusés d'attentat à la sûreté de l'Etat", "complicité d'assassinats" et "complicité de recel de cadavres"."L'heure de la justice a enfin sonné, un procès peut s'ouvrir. Il appartient donc au procureur militaire de programmer une date d'audience", s'est-il réjoui.
Parmi les accusés figurent le général Gilbert Diendéré, l'un des principaux chefs de l'armée lors du putsch de 1987, devenu ensuite chef d'état-major particulier de Blaise Compaoré, ainsi que des soldats de l'ex-garde présidentielle.Le général Diendéré purge actuellement au Burkina Faso une peine de 20 ans de prison pour une tentative de coup d'Etat en 2015.Davantage de personnes étaient mises en cause initialement, mais "beaucoup d'accusés sont décédés", a précisé Me Kam."Le dossier est renvoyé" devant le tribunal, la date du procès "n'est pas encore décidée" mais celui-ci pourrait avoir lieu "très bientôt", les mandats d'amener des accusés non "encore détenus ayant été ordonnés ce matin", a indiqué Me Mathieu Somé, avocat du général Gilbert Diendéré.
Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 1983, le président Sankara a été tué par un commando le 15 octobre 1987 à 37 ans, lors du putsch qui porta au pouvoir son compagnon d'armes d'alors Blaise Compaoré.La mort de Sankara, devenue une figure panafricaine et surnommé le" Che Africain", était un sujet tabou pendant les 27 ans de pouvoir de M. Compaoré, lui-même renversé par une insurrection populaire en 2014.L'affaire a été relancée, après la chute de M Compaoré, par le régime de transition démocratique. Un mandat d'arrêt a été émis contre lui par la justice burkinabé en mars 2016. Mais il vit en Côte d'Ivoire, où il s'était enfui après sa chute. Ayant obtenu la nationalité ivoirienne, il ne peut pas être extradé et devrait donc être jugé par contumace.
En février 2020, une première reconstitution de l'assassinat de Sankara s'était déroulée sur les lieux du crime, au siège du Conseil national de la Révolution (CNR) à Ouagadougou.