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25 avril 2025
Société
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MANSOUR FAYE FACE À LA TEMPÊTE
Sur les 750 milliards du fonds Covid, il n'en a géré qu'une infime partie, et affirme même avoir économisé 5 milliards à l'État. L'ancien ministre, menacé de comparaître devant la Haute Cour de Justice, s'est longuement expliqué sur sa gestion de la crise
Alors que le ministre de la Justice vient de transmettre une demande de mise en accusation devant la Haute Cour de Justice pour cinq anciens ministres, dont Mansour Faye, dans le cadre du scandale présumé des fonds Covid, l'ancien ministre s'est exprimé sur le plateau de l'émission "Faram Facce" sur TFM pour défendre sa gestion.
Face à l'animateur Chérif Dia, il a fermement contesté les accusations portées contre lui concernant la gestion des fonds alloués pendant la crise sanitaire. "Dans un contexte spécial comme celui du Covid, nous avons pourtant fait preuve de transparence en lançant un appel d'offres malgré l'urgence de la situation", a-t-il affirmé.
L'ancien ministre a détaillé le processus d'achat de 1100 tonnes de riz destinées à être distribuées aux populations vulnérables. Selon lui, la procédure a été rigoureusement suivie : publication de l'avis d'appel d'offres dans les journaux nationaux le 1er avril 2020, attribution transparente par la commission des marchés au prix de 275 francs le kilo, et publication de l'avis d'attribution.
Mansour Faye rejette catégoriquement l'argument central du rapport qui fonde les accusations, à savoir le non-respect d'un arrêté de 2013 fixant les prix. "Cet arrêté était devenu caduc après quatre mois selon l'article 43 de la loi 94-63. Il ne pouvait donc pas être en vigueur en 2020", explique-t-il, estimant que cette base juridique erronée invalide toutes les conclusions du rapport.
L'ancien ministre souligne également l'ampleur de l'opération logistique menée avec succès : "C'était 1100 tonnes de riz, plus de 2000 camions pour livrer dans toutes les communes du Sénégal." Il ajoute que sur un budget global de 69 milliards, moins de 1% a été consacré à cette opération, et que son équipe a même "économisé quasiment 5 milliards pour l'État" en restituant des fonds non dépensés.
Face à ce qu'il considère comme une "manipulation politique", Mansour Faye dénonce un rapport émis par "une seule chambre de la Cour des comptes, même pas signé par le président de l'institution". Il voit dans cette procédure une tentative de "détourner l'attention des Sénégalais par rapport aux problèmes réels qui se posent" dans le pays.
"Ma conscience est tranquille", conclut l'ancien ministre, qui affirme avoir agi dans l'intérêt des populations durant cette période exceptionnelle, tout en respectant les procédures administratives.
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POUR AMADOU BA, CEUX QUI PARLENT DE REJET DE LA LOI INTERPRÉTATIVE DE L’AMNISTIE SE TROMPENT
Le député dénonce une "désinformation" autour de la décision du Conseil constitutionnel. "Je ne comprends pas l'agitation de certaines à aller dire au public que la loi d'amnistie a été censurée, c'est faux", défend-il
Le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision majeure concernant la loi interprétative 08-2025, déposée par les députés de Pastef et votée le 2 avril dernier. Cette décision, loin de constituer un rejet total comme certains l'affirment, établit un principe fondamental concernant les limites de l'amnistie au Sénégal, selon Amadou Ba, initiateur du texte.
D'après les explications du député, invité de l'émission "Soir d'infos" sur TFM mercredi 23 avril, le Conseil constitutionnel a confirmé que "les crimes de sang, assassinats, meurtres et tortures ne peuvent être couverts par une loi d'amnistie", conformément aux engagements internationaux du pays. Le considérant 31 de la décision marque ainsi, selon lui, une évolution notable par rapport à la jurisprudence antérieure de 2005, qui accordait au législateur un pouvoir quasiment illimité en matière d'amnistie.
Cette clarification juridique ouvre désormais la voie aux victimes et aux familles des personnes assassinées ou torturées pour saisir les tribunaux et faire valoir leurs droits, dès la publication de la décision au Journal officiel, à en croire le parlementaire. "Toutes les victimes vont pouvoir brandir ce considérant 31 et se présenter devant les procureurs des différentes juridictions de ce pays", souligne-t-il.
À l'en croire, le Conseil a certes censuré une partie du texte concernant l'exclusion du bénéfice de l'amnistie pour ceux qui "exerçaient une liberté publique ou démocratique", mais cette censure partielle ne remet pas en cause l'objectif principal visé par les auteurs de la loi.
Le député a également justifié le choix d'une loi interprétative plutôt qu'une abrogation totale, qui aurait pu entraîner le retour en prison de toutes les personnes libérées et provoquer une désorganisation judiciaire conséquente.
Cette décision du Conseil constitutionnel intervient dans un contexte politique tendu, alors que l'Assemblée nationale s'apprête également à examiner la mise en accusation de cinq anciens ministres devant la Haute Cour de Justice, pour des faits qui concerneraient notamment la gestion des fonds Covid.
par Amadou Thiourou Barry
REFONDER LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE : ENTRE RUPTURE ET RECONSTRUCTION
Face à une société civile de plus en plus exigeante, le dialogue politique à venir représente une opportunité historique pour repenser en profondeur notre contrat social et éviter le piège de la banalisation des crises
Le Sénégal a longtemps été présenté comme un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest. Cette réputation flatteuse, bien que partiellement méritée, ne saurait occulter les failles profondes de notre système politique. Depuis l’indépendance, notre démocratie repose sur une architecture institutionnelle fondée sur le présidentialisme fort, hérité de la Constitution gaullienne de 1958, que nous avons trop souvent reconduit sans le remettre fondamentalement en question. Ce choix historique, fait dans un contexte de construction étatique fragile, a permis d’éviter certaines dérives autoritaires visibles ailleurs. Mais il a aussi figé notre vie politique dans un déséquilibre structurel.
Le pouvoir exécutif concentre toujours l’essentiel de la décision publique, marginalisant l’Assemblée Nationale, fragilisant l’indépendance de la justice et transformant les institutions de contrôle en coquilles vides ou en instruments de régulation politique à géométrie variable. Cette hypercentralisation nourrit une logique verticale du pouvoir, où la citoyenneté se vit en position subalterne. Le président de la République reste la figure dominante de la vie politique, souvent perçu comme une providence ou un recours, dans une culture politique qui personnalise à l’excès les fonctions publiques et réduit l’État à une pyramide d’obligations et de loyautés.
Dans ce contexte, le multipartisme n’a pas produit le pluralisme espéré. Les partis politiques sénégalais, à de rares exceptions près, ne remplissent plus leur mission de médiation entre la société et l’État. Vidés de leur substance idéologique, souvent construits autour de leaders providentiels, ils sont devenus des instruments de carrière plus que de conviction. L’absence de démocratie interne, la volatilité des alliances et le phénomène récurrent de transhumance sapent la crédibilité du jeu politique. La citoyenneté, dans ce cadre, devient résignation ou colère, abstention ou fuite.
Car les alternances qui ont jalonné notre histoire récente – en 2000, 2012, et plus récemment en 2024 – n’ont pas rompu avec cette logique. Elles ont souvent servi de soupape à une société en tension, mais ont rarement enclenché des réformes structurelles. Avec l’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir en 2000, beaucoup espéraient une nouvelle ère. Mais la promesse fut vite trahie par une série de réformes opportunistes, un tripatouillage constitutionnel permanent et des projets de succession dynastique qui ont nourri un sentiment de trahison. Macky Sall, arrivé au pouvoir en 2012 sur la base d’un discours de rupture a lui aussi contribué à renforcer les dérives du système : verrouillage du jeu politique, promotion d’un régime hyperprésidentiel étouffant les contre-pouvoirs. Le discours de rupture est devenu une rhétorique usée, où la promesse de changement masque le recyclage des pratiques anciennes. Même ceux qui se présentaient comme des adversaires du "système" se sont empressés d’en adopter les codes dès leur accession au pouvoir.
Pourtant, la demande sociale de transformation est bien réelle. Les mobilisations citoyennes, portées par des mouvements ou des collectifs de jeunes et de femmes, ont révélé une aspiration profonde à plus de justice, de transparence et de dignité. Mais cette énergie citoyenne a souvent été marginalisée par les institutions, ou cooptée par le pouvoir politique. Elle peine à s’inscrire dans des mécanismes durables de décision et de contrôle. C’est pourquoi le prochain dialogue politique national doit éviter d’être un énième exercice d’apaisement entre élites politiques. Il doit être l’occasion d’un aggiornamento démocratique, d’une réinvention concertée de notre contrat social. Refonder la démocratie sénégalaise exige de briser plusieurs tabous.
D’abord celui du régime politique. Il est temps de questionner sérieusement le présidentialisme hégémonique, et d’envisager des alternatives : un régime plus équilibré, une limitation claire des pouvoirs du chef de l’État, une séparation effective des pouvoirs. Cela suppose également de renforcer l’Assemblée Nationale, de garantir son autonomie, et d’améliorer la qualité de la représentation nationale. Cette institution doit retrouver sa fonction de contrôle effectif de l’exécutif, avec une capacité d’enquête parlementaire renforcée, un droit d’initiative législative réel, et une pluralité de voix représentées. Quant à la Justice, elle ne saurait continuer à être un instrument politique. Il faut revoir en profondeur la gouvernance du Conseil supérieur de la magistrature, assurer une séparation claire entre le parquet et le pouvoir exécutif, et garantir que les juges constitutionnels soient désignés de manière indépendante. L’Ofnac, la Cour des comptes et les juridictions de contrôle doivent être protégées contre les pressions politiques et disposer de moyens réels d’action. Le débat sur le régime ne doit pas être confisqué par les juristes ou les technocrates : il concerne tous les citoyens, car il détermine le rapport de chacun à la décision publique.
Ensuite, la réforme des institutions ne saurait suffire sans une transformation profonde de la culture politique. La démocratie ne peut survivre dans un environnement où les acteurs sont corrompus, où les partis politiques sont financés de manière opaque, et où les citoyens n’ont aucun contrôle sur leurs représentants. Trop de formations politiques restent structurées autour de figures individuelles, sans idéologie claire ni fonctionnement démocratique interne. Les partis doivent redevenir des espaces de débat, d’éducation politique et de propositions. Il faut une moralisation rigoureuse de la vie publique : obligation de transparence patrimoniale, casier judiciaire vierge pour les candidats, financement public conditionné à la démocratie interne des partis. Un mandat électif ne peut être un sauf-conduit pour l’impunité. La centralisation excessive de notre système étouffe les initiatives locales et favorise l’inefficacité. Les collectivités territoriales doivent recevoir les moyens – humains, financiers, techniques – d’assumer leurs missions. Une véritable décentralisation est aussi une manière de rapprocher le citoyen de la décision publique. Il faut également garantir une représentativité plus inclusive : accès des jeunes et des ruraux à la décision, réforme électorale favorisant la diversité sociologique et non les logiques de rente politique.
Mais la démocratie ne vit pas que dans les institutions : elle se nourrit de la participation quotidienne. Il faut instaurer de nouveaux espaces de démocratie directe et délibérative : référendums citoyens, pétitions à valeur législative, budgets participatifs dans les collectivités locales. L’école, les médias, les réseaux sociaux doivent devenir des lieux d’apprentissage civique, où la citoyenneté s’exerce et se construit dès le plus jeune âge. C’est par cette dynamique que nous pourrons retisser les liens entre institutions et société.
Ce projet est ambitieux, mais il est nécessaire. Le dialogue politique qui s’annonce doit être à la hauteur de ce moment historique. Il doit écouter, inclure, transformer. Il ne s’agit pas de trouver un consensus mou entre forces partisanes, mais de repenser en profondeur notre architecture politique, en interrogeant ses fondements, ses objectifs et ses résultats. L’histoire nous enseigne que les nations qui progressent sont celles qui savent, à certains moments-clés, se réinventer sans se renier. Le Sénégal est à ce carrefour.
Rompre avec les pratiques anciennes ne signifie pas rompre avec notre histoire. Cela signifie en assumer les leçons, et tirer de nos échecs comme de nos réussites les principes d’un nouvel ordre politique. Il ne s’agit pas de faire table rase, mais de faire mieux, autrement, avec tous. La démocratie ne peut pas se contenter d’être une alternance de visages. Elle doit devenir une alternance de pratiques, de valeurs, de priorités.
Le peuple sénégalais a fait preuve, au fil des décennies, d’une maturité remarquable. Il mérite une République à sa mesure : juste, équitable, accessible. La refondation que nous appelons de nos vœux ne viendra pas d’un seul homme, ni d’un seul camp. Elle devra être l’œuvre collective d’une société qui refuse de choisir entre résignation et explosion, et qui revendique le droit de gouverner son avenir.
Le Sénégal peut être à l’avant-garde d’une nouvelle génération démocratique africaine. Mais cela passe par un sursaut. Par une rupture assumée. Par une reconstruction patiente. Ce dialogue qui vient est peut-être notre dernière chance d’échapper à la banalisation de la crise et à la dérive autoritaire. Saurons-nous la saisir ?
LES ÉVANGILES SELON MAGA
Milliardaires athées, théologiens réactionnaires, complotistes et évangéliques s'unissent sous la bannière du nationalisme chrétien avec un objectif : "mettre fin à la démocratie américaine telle que nous la connaissons", révèle Katherine Stewart
(SenePlus) - Katherine Stewart, journaliste américaine qui a infiltré pendant plus de quinze ans les mouvements nationalistes religieux américains, dévoile les dessous de cette puissante machine politique dans un entretien accordé au journal Le Monde paru ce 23 avril 2025. Son analyse, issue de son dernier ouvrage "Money, Lies and God: Inside the Movement to Destroy American Democracy", déconstruit méthodiquement ce mouvement qu'elle considère comme une menace réelle pour la démocratie américaine.
Le nationalisme chrétien américain, explique Stewart, réunit sous la bannière MAGA (Make America Great Again) des acteurs aux profils étonnamment divers : "des prétendus 'apôtres' de Jésus, des milliardaires athées, des théologiens catholiques réactionnaires, des intellectuels pseudo-platoniciens, des opposants à la 'gynocratie' qui détestent les femmes, des évangéliques à la tête de réseaux puissants, des pronatalistes, des complotistes du Covid-19". Malgré cette apparente hétérogénéité, la journaliste souligne que "ces groupes éclectiques peuvent sembler ne pas avoir grand-chose en commun, mais leur objectif est le même : mettre fin à la démocratie aux États-Unis telle que nous la connaissons."
Ce mouvement repose sur "quatre piliers" idéologiques : "une vision identitaire de l'Amérique, définie comme une nation fondamentalement chrétienne ; la victimisation, qui consiste à prétendre que la discrimination viserait avant tout les chrétiens conservateurs ; le catastrophisme et l'autoritarisme." Mais contrairement aux apparences, le nationalisme chrétien "ne relève pas de la spiritualité. Il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour être un nationaliste chrétien, et beaucoup de chrétiens patriotes ne veulent rien savoir de ce mouvement."
L'enquête de Katherine Stewart révèle que derrière l'image d'un mouvement populaire spontané se cache une organisation rigoureuse et extrêmement bien financée. "L'un des plus grands mythes à propos de ce mouvement est qu'il vient d'en bas", affirme-t-elle au Monde. "Bien plus qu'un simple phénomène social, c'est d'un vaste mouvement façonné par une élite déterminée qu'il s'agit."
Cette machine politique s'appuie sur trois piliers : "les bailleurs de fonds : des milliardaires, qui ont décidé d'investir leur fortune dans la destruction de la démocratie", "des penseurs [qui] fournissent l'armature intellectuelle au mouvement" et enfin "ceux que j'appelle des 'sergents', déployés sur le terrain, qui font en sorte que l'argent et les messages du mouvement permettent de gagner des votes, en s'adaptant au contexte local."
La journaliste cite notamment l'exemple de la Fondation Lindsey qui, "entre 2019 et 2022, a versé plus d'1 million de dollars (près de 880 000 euros) à une nouvelle organisation, Faith Wins, destinée à mobiliser les pasteurs des églises conservatrices dans les États pivots pour faire gagner le vote républicain pro-Trump."
La manipulation des "valeurs bibliques"
L'un des aspects les plus frappants de cette stratégie réside dans l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Les "sergents" du mouvement "sillonnent le pays, faisant des présentations dans des églises devant des dizaines, voire des centaines, de pasteurs, à qui l'on explique comment amener leurs fidèles à voter 'selon les valeurs bibliques'."
Mais Stewart souligne que "les 'valeurs bibliques' sur lesquelles ils s'appuient ne sont pas celles du christianisme, telles que beaucoup, sinon la plupart des Américains, l'entendent. Il n'est pas question d'attention portée aux plus humbles, de l'amour de son prochain." Ces valeurs sont réduites à quelques questions sociétales clivantes comme l'avortement ou le mariage homosexuel, "parce qu'ils savent que si vous pouvez amener les gens à voter sur deux ou trois questions-clés, vous pouvez contrôler leur vote."
La journaliste rappelle d'ailleurs que "le Parti républicain d'aujourd'hui, 'pro-life', est une création moderne" et que "pour comprendre cela, il faut remonter à la fin des années 1970, à une époque où la plupart des républicains soutenaient le droit à l'avortement et le considéraient comme conforme aux valeurs protestantes de responsabilité personnelle." L'opposition à l'avortement a été stratégiquement choisie comme "cheval de bataille" car touchant "à la sexualité et à l'insécurité des gens concernant l'évolution des mœurs et de la famille".
Au cœur de cette stratégie se trouve également un appareil intellectuel sophistiqué. Stewart cite notamment l'influence de théoriciens comme Carl Schmitt, philosophe nazi, dont le concept d'"état d'exception" a été repris par les penseurs de cette droite radicale : "nous serions confrontés à une situation d'urgence absolue à cause du libéralisme, du wokisme, etc. Tous les moyens sont bons pour vaincre cet ennemi intérieur [...] Nous avons donc besoin d'un homme fort."
La journaliste évoque également la communication à deux niveaux inspirée de Leo Strauss : "une 'écriture ambiguë', qui comporte un message 'entre les lignes', que seuls les initiés peuvent comprendre." Ainsi, "on transmet à la base des messages simples — ce qui est dit n'a pas vraiment d'importance, il suffit de les faire adhérer au projet. Et il y a une autre forme de compréhension, réservée à l'élite."
Cette stratégie explique, selon elle, pourquoi "la désinformation joue un rôle aussi important" et que de nombreux "électeurs républicains [...] vivent dans un monde imaginaire où Trump a remporté haut la main l'élection de 2020, qui leur a été volée."
Un nihilisme réactionnaire alimenté par les inégalités
Katherine Stewart qualifie finalement cette idéologie de "nihilisme réactionnaire" car "au lieu de promouvoir le progrès, il s'agit d'un mouvement qui met l'accent sur un retour à une version imaginaire d'un passé prétendument meilleur" et qu'il "se définit mieux en termes de ce qu'il souhaite détruire plutôt que de ce qu'il propose de créer."
L'analyse de la journaliste établit un lien entre cette montée en puissance et "l'explosion des inégalités" qui "a largement contribué à la vague de déraison qui a balayé notre vie politique et notre culture. Elle a fracturé notre foi dans le bien commun."
Stewart conclut néanmoins en pointant une contradiction potentielle au sein de cette coalition : "un conflit pourrait éclater au sein du mouvement nationaliste chrétien. La base et les bailleurs de fonds ne partagent pas les mêmes opinions. Les grands donateurs se soucient peu en vérité des guerres culturelles ou des 'valeurs familiales'. Leur priorité reste la préservation d'une politique économique qui va justifier et accroître la concentration massive de la richesse."
PAR Thierno Bocoum
LA VÉRITÉ FACE À LA MANŒUVRE
La prétendue victoire n’est donc qu’un rideau de fumée. La loi interprétative a été retoquée, ses intentions démasquées. Le bluff ne prend plus. Ce que les juges constitutionnels ont réellement fait, c’est mettre à nu une entreprise politique grossière
« Nous avons gagné, notre objectif est atteint, les crimes pourront être jugés malgré l’amnistie. » Voilà le nouvel argument fabriqué à la hâte pour maquiller un désaveu aussi éclatant qu’embarrassant. Une tentative de manipulation, encore une pour cacher une défaite juridique retentissante.
Soyons clairs : cet argument est totalement fallacieux. Le respect des engagements internationaux du Sénégal en matière de torture, de traitements inhumains ou dégradants n’a jamais dépendu de cette loi. Les juridictions compétentes étaient déjà en mesure de s’y référer, avec ou sans texte interprétatif.
Invoquer cela aujourd’hui pour sauver la face est un non-sens juridique.
Ce que les juges constitutionnels ont réellement fait, c’est mettre à nu une entreprise politique grossière, celle de déguiser en loi d’interprétation une tentative d’amnistier des actes que le droit international considère comme des crimes imprescriptibles. Une manœuvre qui visait à blanchir, sous couvert de liberté publique, des faits d’une extrême gravité.
Le Conseil constitutionnel, dans un considérant limpide numero 31, a rappelé l’évidence « Considérant qu'au sers de l'alinéa 2 de la loi attaquée, les faits tenus pour criminels d'après les règles du droit international, notamment l'assassinat, le meurtre, le crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, sont inclus dans le champ de l'amnistie lorsqu'ils ont un lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique ; qu'en incluant ainsi dans le champ d'application de la loi portant amnistie des faits imprescriptibles au regard des engagements internationaux à valeur constitutionnelle du Sénégal, l'alinéa 2 de l'article premier de la loi n° 08/2025 du 02 avril 2025, viole la Constitution »
La prétendue victoire n’est donc qu’un rideau de fumée. La loi interprétative a été retoquée, ses intentions démasquées. Le bluff ne prend plus.
Et comme à chaque fois que l’argumentaire ne tient pas, les éléments de langage sont distribués comme des tracts, répétés en boucle par des relais sans esprit critique, sans lecture préalable, sans recul.
Mais le peuple n’est pas dupe. Nous connaissons les ficelles des manipulateurs. L’enjeu aujourd’hui, c’est que celles et ceux qu’ils cherchent à tromper soient assez lucides et informés pour ne pas tomber dans leur piège. Car la lumière finit toujours par percer les ténèbres de la supercherie.
Thierno Bocoum est juriste, ancien parlementaire, président AGIR.
par Ousmane Sonko
LE PASTEF CONFORTÉ PAR LES SAGES
Cette décision du Conseil constitutionnel constitue un véritable revers contre une certaine opposition, haineuse au point de vouloir assimiler l’exercice d’une liberté politique et civique de manifester à des crimes de sang et de torture
Je me serais bien gardé de me prononcer sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi dite « interprétative », si les résidus d’opposition sénégalaise ne s’étaient pas précipités, dans une tentative désespérée de récupération politicienne, de conclure à un revers juridique du groupe parlementaire Pastef-Les-Patriotes.
Il en est tout autrement, car cette décision conforte la démarche et les objectifs poursuivis par la proposition de loi interprétative, à savoir :
1. Exclure du champ de la loi initiale les faits qualifiables d’actes d’assassinat, de meurtre, de crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants ;
2. Y maintenir les autres motifs de poursuites de faits se rapportant à des manifestations politiques.
Le Conseil constitutionnel a simplement considéré que le postulat qui fonde la démarche du groupe parlementaire Pastef, selon lequel l’article premier de la loi initiale incluait les faits qualifiables d’actes d’assassinat, de meurtre, de crime de torture, les actes de barbarie, les traitements inhumains, cruels ou dégradants, était superflu car, dans sa version originale, la loi excluait déjà d’office cette catégorie d’infractions, conformément aux engagement internationaux à valeurs constitutionnelles de notre pays (considérant 31).
Le Conseil constitutionnel estime par ailleurs, dans son considérant 32, n’avoir relevé aucun autre motif d’inconstitutionnalité de la loi attaquée, fermant ainsi définitivement toute possibilité de recours contre l’amnistie de tous autres faits se rapportant à des manifestations politiques.
Ainsi, le Conseil a fait une interprétation au-delà de ce qui était recherché par le groupe parlementaire Pastef Les Patriotes.
Cette position du Conseil est complétée par l’ordonnance de non-lieu, rendue par le doyen des juges d’instruction le 27 janvier 2025, qu’il concluait ainsi :
« Par ces motifs
Vu les articles 169, 6 et 171 du code de procédure pénale, la loi 2024-09 du 13 Mars 2024 ;
> Constatons l'extinction de l'action publique pour cause d'amnistie,
> Disons n'y avoir lieu à suivre davantage contre Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye des chefs d'inculpation susvisés.
Cette décision du Conseil constitutionnel constitue un véritable revers contre une certaine opposition, haineuse au point de vouloir assimiler l’exercice d’une liberté politique et civique de manifester à des crimes de sang et de torture. Tout ça, pour assouvir le dessein cynique de vouloir renvoyer des milliers de patriotes dans des geôles où ils ont tant souffert déjà.
Qu’avons-nous fait au bon Dieu pour mériter une opposition si indigente ?
Demain au réveil, au lieu de voir la lune que je leur montre, ils vont disserter sur mon doigt qui la leur désigne.
CARDINAL SARAH, L'OUTSIDER AFRICAIN QUI SÉDUIT LES CONSERVATEURS
Ce prélat guinéen au parcours exceptionnel, jadis surnommé "le bébé" par Jean-Paul II, cristallise les espoirs de l'aile traditionaliste de l'Église, malgré des chances d'élection jugées minces par les observateurs du Saint-Siège
(SenePlus) - Au lendemain de la disparition du pape François, les regards se tournent vers les potentiels successeurs au trône de saint Pierre. Parmi les noms qui circulent avec insistance figure celui du cardinal Robert Sarah, une figure discrète mais influente au sein de l'Église catholique, comme le rapporte Le Parisien.
Si le prélat guinéen n'apparaît pas en tête des pronostics officiels, il bénéficie d'un soutien remarquable dans les milieux catholiques traditionalistes, particulièrement en France et aux États-Unis. « C'est la coqueluche des tradis », confirme un vaticaniste cité par le quotidien francilien, soulignant l'engouement que suscite ce défenseur d'une ligne doctrinale conservatrice.
Né en 1945 à Ourouss, en Guinée, Robert Sarah est issu d'un milieu modeste – son père était cueilleur de rôniers, ces fruits récoltés au sommet des palmiers dont on tire du vin. Son ascension au sein de la hiérarchie ecclésiastique relève presque du miracle.
Ordonné prêtre en 1969, il est nommé archevêque de Conakry dix ans plus tard par Jean-Paul II, devenant ainsi le plus jeune évêque de l'époque, au point que le souverain pontife le qualifiait affectueusement de « bébé ». Un détail qui n'est pas anodin dans l'univers très protocolaire du Vatican.
Sa carrière connaît ensuite une progression fulgurante : secrétaire de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples sous Jean-Paul II, puis cardinal sous Benoît XVI, avant d'être nommé préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements par le pape François. Il quitte ce poste en 2021, atteint par la limite d'âge de 75 ans.
La candidature informelle du cardinal Sarah « bénéficie depuis plusieurs années de relais médiatiques forts aux États-Unis ou en France », précise Le Parisien. Parmi ses soutiens les plus influents figurent son éditeur Fayard et le milliardaire français Vincent Bolloré, « catholique fervent ». Sa médiatisation avait d'ailleurs provoqué une controverse en juillet 2022, lorsque son portrait avait fait la Une de l'hebdomadaire Paris Match.
Sur les réseaux sociaux, la mobilisation en sa faveur est particulièrement visible depuis l'annonce du décès du pape François. Le Parisien cite notamment un tweet qui a recueilli plus de 74 000 « j'aime » : « The next Pope should be Cardinal Robert Sarah » (Le prochain pape devrait être le cardinal Robert Sarah).
Malgré cette popularité dans certains cercles, l'influence réelle du cardinal Sarah au sein du Vatican serait à nuancer. « En réalité, au Vatican, il n'a pas la même surface médiatique et la même influence. Il a ses amitiés, comme le cardinal Gerhard Ludwig Müller [...] mais ne fédère pas au-delà des anti-François », confie au Parisien un vaticaniste familier des arcanes du Saint-Siège.
Le prélat guinéen représenterait « un courant plutôt marginal, alors que l'église en synode, ouverte, celle voulue par François, est majoritaire au Vatican », poursuit cette source. Son principal atout réside dans « sa spiritualité, son attachement à la liturgie et aux valeurs traditionnelles de l'Église, comme le célibat des prêtres », plus que dans sa maîtrise des rouages politiques vaticans.
Robert Sarah s'est imposé comme un gardien de l'orthodoxie catholique. « Être catholique est plus qu'une identification culturelle, c'est une profession de foi. Sortir de ce contenu, tant dans la croyance que dans la pratique, c'est sortir de la foi », déclarait-il lors d'un séjour à Washington en juin dernier, selon Le Parisien.
Il exprime régulièrement « sa grande peur de la déchristianisation de l'Europe » et s'inquiète de l'évolution des pratiques religieuses dans le monde occidental. « Les États-Unis ne sont pas comme l'Europe. La foi y est encore jeune et en pleine maturation. Cette jeune vitalité est un cadeau pour l'Église », avait-il ajouté lors de cette même intervention.
Lorsqu'il évoquait en 2022 l'hypothèse de devenir pape, le cardinal Sarah affirmait : « Ça ne m'intéresse pas. Ce qui compte, c'est de retrouver Dieu. » Il soulignait également sa relation respectueuse avec les trois pontifes sous lesquels il a servi : « Celui avec lequel j'ai le plus de liens, c'est Benoît XVI, mais j'admire autant François, qui sait parler à tous, avec qui l'échange est toujours libre et auquel on a eu tort de m'opposer. »
Malgré la présence accrue de cardinaux africains au prochain conclave, les chances d'élection du cardinal Sarah demeurent minces. D'après Le Parisien, « la dynamique du collège des cardinaux penche en faveur des représentants européens ou sud-américains, globalement plus proches de l'église horizontale prônée par le défunt François ces dernières années. »
Néanmoins, comme le rappelle judicieusement le quotidien français, le nom qui sortira dans quelques semaines de la Chapelle Sixtine « reste encore un mystère et a souvent réservé des surprises. » L'histoire de l'Église catholique est jalonnée d'élections papales inattendues, et celle à venir pourrait bien en être une nouvelle illustration.
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SONKO EST EN TRAIN DE CRÉER SON PROPRE MONSTRE
Le journaliste Ibou Fall évoque la confrontation entre Thierno Alassane Sall et le Premier ministre, révélant comment ce dernier pourrait renforcer involontairement son opposant en lui accordant une attention médiatique démesurée
Dans une récente intervention, le journaliste et chroniqueur Ibou Fall a livré une analyse sur le défi lancé par Thierno Alassane Sall à Ousmane Sonko pour un débat public, et sur la réaction de ce dernier.
Selon Ibou Fall, Ousmane Sonko est en train de désigner délibérément Thierno Alassane Sall comme son adversaire politique, bien que ce dernier ne soit pas encore considéré comme un "poids lourd" électoral. "Chacun choisit ses adversaires," explique Fall, tout en soulignant que c'est précisément ainsi qu'on "crée" des figures politiques importantes.
Le chroniqueur met en garde contre cette stratégie : "Un homme politique, ce qui le tue, c'est l'indifférence. Mais dès que tu commences à répondre à quelqu'un, c'est parti, il est en train de créer un adversaire." En répondant à Thierno Alassane Sall, Sonko lui offre une visibilité considérable et pourrait involontairement renforcer sa stature politique.
Ibou Fall estime qu'un gouvernant devrait plutôt se concentrer sur sa mission première : "La seule attitude d'un gouvernant, c'est de gouverner, régler les problèmes des Sénégalais, ce n'est pas autre chose." Il critique cette tendance à créer des ennemis et à donner de la visibilité à des adversaires politiques au lieu de s'attaquer aux véritables problèmes du pays.
Si Fall reconnaît que Thierno Alassane Sall, en tant que député de l'opposition, est "dans son rôle" d'être virulent, il s'interroge sur les motivations de Sonko à le cibler spécifiquement parmi les nombreux autres opposants. Il met en garde contre ce qu'il considère comme une "grave erreur" : "On peut se tromper en disant 'lui, je vais lui marcher dessus'."
Le chroniqueur avertit que cette stratégie pourrait se retourner contre Sonko s'il continue à négliger les problèmes urgents des Sénégalais : "Ils vont se créer de vrais opposants parce que, un, tu ne règles pas les problèmes des Sénégalais, et deux, tu donnes de la visibilité à tes adversaires." Avec une formule frappante, il résume le danger : "C'est très bien, il va se créer un monstre."
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DERRIÈRE LES RAILS DU TER, L'HUMANITÉ BROYÉE
Pendant que le "Sénégal émergent" de Macky Sall célébrait son Train Express Régional, Mamadou Khouma Gueye filmait l'autre réalité : celle des expulsions massives. Son film "Liti Liti" documente avec sensibilité le déracinement de plusieurs impactés
(SenePlus) - Dans le paysage cinématographique sénégalais, une œuvre singulière fait son apparition. Le réalisateur Mamadou Khouma Gueye signe son premier long-métrage, « Liti Liti », un documentaire intime qui aborde frontalement les conséquences humaines des grands projets d'infrastructure au Sénégal, comme le rapporte RFI.
L'œuvre suit le parcours de Sokhna Ndiaye, la propre mère du cinéaste, contrainte de quitter sa maison située dans le quartier de Guinaw Rail, en banlieue de Dakar, après y avoir passé quarante années de sa vie. Cette expulsion n'est pas un cas isolé : elle s'inscrit dans le vaste programme de déplacement qui a touché près de 250 000 riverains pour permettre la construction du Train Express Régional (TER) reliant Dakar à Diamniadio.
« Pendant plus de cinq ans, le réalisateur capte des images à la fois intimes et marquées par la froideur des grands travaux, interrogeant au fil du récit le sens du progrès et la mémoire des lieux », souligne la correspondante de RFI à Dakar, Juliette Dubois. Ce contraste entre l'humanité des récits personnels et la rigidité technique du chantier constitue l'une des forces du film.
Le TER, présenté comme l'un des symboles phares du « Sénégal émergent » promu par l'ancien président Macky Sall, illustre parfaitement cette tension entre développement national et destins individuels. Dans le film, Sokhna Ndiaye « évoque toutes les péripéties liées au déguerpissement dont elle et ses voisins ont été victimes, pour les besoins de la réalisation des infrastructures du TER », précise RFI.
Au-delà du simple témoignage, « Liti Liti » se veut une réflexion profonde sur le coût humain du progrès. Comment concilier modernisation des infrastructures et respect des communautés établies ? Quelle place accorder à la mémoire des lieux dans une vision du développement parfois technocratique ? Le film ne prétend pas apporter de réponses définitives, mais pose ces questions essentielles à travers le prisme d'une histoire familiale.
Cette démarche documentaire, qui mêle l'intime et le politique, s'inscrit dans une tradition cinématographique sénégalaise riche, héritière d'Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambéty. Mamadou Khouma Gueye y apporte sa sensibilité propre, transformant l'expérience douloureuse du déracinement en une œuvre artistique qui interroge les fondements même du développement urbain.
À l'heure où de nombreux pays africains intensifient leurs projets d'infrastructures, « Liti Liti » offre un contrepoint nécessaire aux discours triomphalistes sur le progrès, rappelant que derrière chaque grand chantier se cachent des histoires humaines, des souvenirs et des attachements que nul dédommagement ne peut totalement compenser.
Le film a été présenté au festival Visions du Réel, comme l'indique RFI, confirmant l'intérêt international pour cette œuvre qui dépasse le cadre sénégalais pour toucher à l'universalité des questions d'aménagement du territoire et de mémoire collective face aux impératifs de modernisation.
par Aziz Fall
CE MOMENT DE NOTRE HISTOIRE
Nous sommes un petit pays. Mais refusons d’être un petit État, car la valeur d’une nation ne se mesure pas à sa taille. Soyons cette grande nation, habitée par l’humilité et portée par une foi inébranlable dans l’effort collectif et la discipline
« Nous traversons le présent les yeux bandés », nous avertit Milan Kundera. C’est sans doute la raison pour laquelle nous peinons à percevoir l’ampleur des transformations qui s’opèrent, souvent en silence, dans notre pays, notamment dans un domaine aussi stratégique que l’énergie.
Le 8 juillet 2023, Senelec a joué un rôle déterminant dans l’interconnexion des réseaux électriques des quinze pays membres de la CEDEAO à l’exception du Cap Vert, dans le cadre du West African Power Pool (WAPP), une initiative régionale visant à instaurer un véritable marché de l’électricité en Afrique de l’Ouest. Les implications socioéconomiques et géostratégiques de cette avancée sont majeures, et il faudra du recul pour en saisir pleinement la portée : baisse des coûts, meilleur accès à l’énergie, et intégration économique renforcée. Il est désormais techniquement possible de produire de l’électricité au Ghana et de l’acheminer jusqu’au Sénégal, ou inversement, de fournir le Burkina Faso depuis notre propre réseau. Au-delà de la prouesse technique se dessinent, à terme, des vies changées : une couturière de Tambacounda qui pourra désormais travailler tard dans le soir sans craindre les coupures ; un centre de santé à Bignona bientôt alimenté en continu ou un jeune développeur à Thiès, confiant de pouvoir coder sans interruption. L’énergie devient ainsi un levier puissant de convergence régionale avec des retombées économiques considérables, à l’image de ce que l’Union européenne a su réaliser.
Un peu plus tôt dans ce même mois de juillet, la demande électrique du Sénégal atteignait pour la première fois le seuil symbolique d’un Gigawatt, nous plaçant aux côtés du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Nigeria dans le cercle restreint des puissances énergétiques régionales. Le 1er juin 2024 marque une autre étape historique : notre pays produit son premier baril de pétrole. Six mois plus tard, en décembre, les premiers mètres cubes de gaz sont extraits du site GTA, à la frontière maritime avec la Mauritanie. En ce mois d’avril, le premier chargement de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) quitte le port de Dakar, amorçant notre entrée sur la scène énergétique mondiale.
Ces développements dépassent la seule ambition d’un accès universel à l’électricité – objectif désormais à portée de main. Ils reconfigurent notre place sur l’échiquier international. Le Sénégal devient membre à part entière d’un club exclusif de nations capables d’influer sur les grandes dynamiques mondiales.
Oui, nous sommes un petit pays. Mais refusons d’être un petit État, car la valeur d’une nation ne se mesure pas à sa taille, mais à son caractère et à sa volonté. Soyons donc cette grande nation, habitée par l’humilité protectrice et portée par une foi inébranlable dans l’effort collectif et la discipline. Dans un monde troublé, le leadership, dans sa forme la plus inclusive, est plus que jamais nécessaire. Un leadership qui réveille le goût de l’effort, qui fédère au-delà des ambitions individuelles, et qui s’enracine dans le destin commun d’une société consciente que son avenir ne peut être fragmenté. Chaque citoyen a un rôle à jouer, qu’il soit sans diplôme mais animé du désir de contribuer, ou professeur au pinacle de son art. À chaque fois qu’un individu foule aux pieds nos valeurs culturelles, un autre, issu du même socle, rappelle la noblesse de notre peuple.
En définitive, ces lignes de l'ouvrage "Les promesses d'une devise" s'imposent encore une fois : « Il n’y a rien de mal ni de mauvais dans ce peuple qui ne puisse être corrigé et guéri par tout ce qu’il y a de bien et de noble dans ce même peuple. »
Le Sénégal traverse aujourd’hui un moment de test grandeur-nature dans sa marche vers son destin : un défi narratif d’envergure. Quelle histoire voulons-nous raconter ? Quel récit portera notre identité ? Devons-nous concentrer nos énergies sur notre potentiel, ou devrons-nous nous épier à la recherche de défauts disqualifiants voire fatals chez l’autre ?
Un immense espoir, celui d’une nation et d’une génération entière, repose sur les épaules de ce nouveau leadership à la tête du pays. Ce ne sera pas une sinécure, mais une période d’épreuves presque permanentes où les prières pour sa réussite croiseront les souhaits de son échec. La rupture proposée suscite autant d’attentes que d’inquiétudes. Le peuple le soutiendra parce qu’il a souhaité, et attendu son avènement et s’est battu pour cela, mais il l’observera aussi.
Dans cette conjoncture difficile, notre force collective sera mise à l’épreuve. Il nous faudra dire non aux raccourcis, et oui à la douleur de l’effort intellectuel, de l’effort moral, de l’effort professionnel. Un peuple capable de réalisations telles que celles accomplies, entre autres, dans le domaine énergétique ne doit ni trembler ni douter face aux défis présents, aussi formidables soient-ils. Car ces défis ne sont qu’une occasion de mettre en lumière notre résilience et notre désir intarissable de sursaut collectif. Ce ne sera pas facile.
Mais c’est précisément parce que c’est difficile qu’il faut se mettre au travail, les manches retroussées.