Quelques kilos de moins, c’est peut-être ce qui a changé en Ablaye Mbaye. Mais il est toujours jeune, plein de vie et très taquin. Trouvé chez lui à Fass, il parle de ses relations avec Youssou Ndour, revendique encore sa place dans le landerneau musical et promet de revenir très bientôt. Non pas pour faire ce que tout le monde fait mais, dit-il, pour proposer aux mélomanes de la vraie et bonne musique.
Vous êtes absent de la scène musicale et du marché du disque. Qu’est ce qui explique cette situation ?
Je suis là. Je fais de la musique comme toujours. Je ne peux être dans autre chose. La musique, c’est mon métier et ma passion. Je gagne ma vie grâce à la musique. Je me dis qu’au Sénégal, les gens font un amalgame sur la présence sur la scène musicale et la sortie d’albums. Il est vrai que cela fait longtemps que je n’ai pas sorti de nouvelles productions. Mais ce n’est pas pour autant que les mélomanes ne me voient pas. J’ai fait des duos avec des artistes de renom comme Pape et Cheikh ou encore Yoro Ndiaye et ce sont des duos réussis. Je peux comprendre l’absence du marché du disque mais pas de la scène musicale. Pour ça, je ne suis pas d’accord avec ceux qui le disent.
Pourquoi vous n’avez toujours pas sorti votre album ?
La première explication est que j’étais dans un projet de confection d’un album international. L’album est sorti en France. Et depuis deux ou trois ans, je travaille sur mon nouvel album. Il est prêt à 90%. Au début, une autorité de ce pays avait promis de me produire. J’attendais jusque-là qu’il le fasse. Il me donnait des dates et des échéances qu’elle ne respectait pas. Cela m’a pris deux ans. C’est après que j’ai commencé la conception avec mes propres moyens. J’y vais doucement. Je travaillais là-dessus avec l’instrumentiste et compositeur patron du label 1000 mélodies Baba Hamdy. Il a eu des problèmes au niveau de son studio et a même perdu quelques fichiers. Cela fait aussi partie de ce qui a retardé la sortie de l’album. L’autre chose est que c’est moi qui dois le terminer maintenant avec mes propres moyens. Alors je me dis que comme je suis resté longtemps sans sortir de nouvel opus, autant sortir un produit de haute facture. Je prends mon temps.
Qui vous avait promis de vous produire ?
Je ne veux pas encore dire son nom. C’est une autorité de ce pays. Il ne faut jamais dire jamais dans la vie. Donc, là à cet instant, je ne suis pas encore prêt à dévoiler son nom. Peut-être le ferai-je plus tard. Mais vraiment pas aujourd’hui car je ne sais pas ce qu’il pourra faire demain. J’ai de très bons rapports avec lui. Je ne pense pas qu’elle ne veuille pas le faire. C’est plutôt parce qu’elle était trop occupée. Et ça, je le comprends. Moi, je ne pouvais plus attendre et il y a des gens qui ne cessaient de me demander de sortir une nouvelle production.
N’êtes-vous pas en recul dans l’évolution de votre carrière musicale ?
Non, non pas du tout. Pour moi, tant que je vis, ma carrière n’est pas plombée. Avant que je n’entame ma carrière de musicien, je n’avais rien et personne ne me connaissait. J’ai réussi à acquérir une certaine notoriété et du respect. Si je crois en ça, je peux me dire que je peux aussi réussir aujourd’hui.
Donc, vous n’êtes pas d’avis que vous avez régressé au sein des leaders ?
Puisque vous le concevez ainsi, disons que c’est cela. Mais vous savez, cela ne sert à rien d’être bavard. Mieux vaut maîtriser ce que l’on dit que de parloter à gauche et à droite. Aussi, mieux vaut se battre pour rester aux premiers rangs quand on y arrive que de se battre juste pour l’atteindre. Dans une cité, on peut trouver de belles bâtisses. Mais le plus important est de savoir laquelle d’entre elles est la plus solide. Dieu merci, il est vrai que la sortie de ce présent album tarde mais dans le passé, j’étais très régulier. Je n’ai sorti deux produits en deux années consécutives qu’une seule fois. Pour tout le reste, il y avait au moins un intervalle de deux années. Pour la première fois, je suis resté presque dix ans sans composer de nouvelles chansons. Même entre-temps, j’ai pu réussir à sortir un album international qui n’est certes pas sorti au niveau national mais qui est disponible en France. Dieu merci, les duos que j’ai faits marchent bien. Ce ne sont pas mes produits mais mes collègues qui m’ont choisi ont eu confiance en moi et je crois ne pas avoir déçu. La musique, c’est un plus et chacun peut apporter quelque chose à l’autre. Ces gens qui ont porté leur choix sur moi espèrent peut-être que ma technique ou ma voix peut apporter quelque chose de plus. Quelqu’un qui a accusé du retard dans son évolution, à mon humble avis, ne peut être choisi dans ce cas de figure. Et là, je me produis ce dimanche par exemple à la Villa Krystal, le lundi je suis au Casino du Cap-Vert. Le 14 novembre, vendredi prochain, je suis à la "terrasse" du Terrou-bi. Le 26, logiquement je dois faire un concert ici à Fass. Je dois jouer aussi pendant la francophonie. Ça commence à tomber.
Les jeunes musiciens sénégalais qui ont tenté une carrière internationale en délaissant leur base locale n’ont pu réussir. Vous et Boy Marone en êtes les parfaites illustrations. Vous ne pensez pas que c’était une erreur ?
Je vous ai dit que quand je faisais mon album international, ce sont des Blancs qui sont de la même génération que moi et qui partagent ma vision qui l’ont conçu. Cet album n’est pas sorti ici. Mais il y a des titres qui passent au niveau des radios. Le tube indicateur du "wax sa xalaat" de la RFM, c’est une de mes chansons intitulée "na rafet". Il y a un clip qui a été fait mais je n’ai pas aimé la façon dont il a été tourné, c’est pourquoi je ne l’ai pas donné aux chaînes de télés locales. J’ai beaucoup de respect vis-à-vis des mélomanes. Je veux m’investir dans la qualité. Même si je ne gagne pas d’argent, ce qui m’intéresse, c’est le respect et la reconnaissance dans ce que je fais. La preuve, la manière dont est utilisée le titre "na rafet" par la RFM, je ne pensais pas à cela lors de sa conception. Et c’est un plus. Mon album est terminé. Il ne reste qu’un titre à faire.
Vous ne travaillez plus avec ces Français ?
Je n’étais pas dans un label. Ces gens sont mes amis. On avait une vision qu’on a voulu concrétiser. On l’a fait et on l’a sorti en se disant que cela pourrait intéresser quelqu’un. Après sa sortie, on a eu beaucoup de sollicitations. Mais on s’est dit qu’on allait attendre. On est un groupe et il faut un consensus. On attend d’être sur la même longueur d’ondes.
L’album est fin prêt, qu’attendez-vous ?
Je l’ai fait avec mes propres moyens. La sortie d’un album ne nécessite pas seulement les frais de studios. Cela demande énormément de moyens. Et actuellement au Sénégal, pour sortir et avoir la promotion qu’il faut, il te faut le soutien d’un support médiatique. Je suis en train de discuter avec deux médias. Il me reste à comparer ce que chacun d’eux me propose. Finir cet album ne pose pas problème. C’est ce qui suit qui peut être lourd.
Quels sont ces supports médiatiques ?
Est-ce important que je les nomme vu que je n’ai pas encore fait mon choix. J’attends de choisir pour donner le nom du groupe avec lequel je compte marcher.
Etes-vous prêt à travailler avec Prince arts ?
Vous savez moi, je crois qu’une personne doit être digne mais pas orgueilleuse. Je me dis à chaque fois que si Dieu enlève en moi la dignité, qu’il me tue à la minute qui suit. Si l’on est vraiment professionnel, on doit l’être jusqu’au bout des ongles. Si Prince Arts m’appelait aujourd’hui ou que je les appelle, si on s’accorde sur des modalités, je vais travailler avec eux. C’est vrai que j’aurais préféré avoir une chose qui m’appartienne personnellement. Je n’y arrive pas encore donc, si j’ai un partenaire qui peut le faire, tant mieux. Il y a des erreurs que je faisais il y a dix ou quinze ans que je ne répéterai pas aujourd’hui. Donc, je sais ce qu’est un partenariat win win. Je n’ai vraiment pas de problèmes sur ce planlà. Je suis un professionnel et je sais faire la part des choses.
Quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle de la musique ?
Pour moi, les musiciens sénégalais ont accepté le diktat des mélomanes. Ces derniers aiment la musique rythmée. C’était à nous musiciens de dire non. Si on l’avait fait, ils allaient finir par nous rejoindre sur ce terrain. Au lieu de nous laisser leur proposer de la vraie musique puisque c’est notre profession, c’est eux qui nous exigent leurs rythmes. C’est pourquoi pour moi, on n’a presque plus de musique de recherche. Que ceux qui se retrouvent dans mes propos me pardonnent, mais c’est la vérité. Constatez par vous-même. Même pour avoir une musique consommable, il faut des reprises comme "la maladie d’amour de Sardou". Une chanson reprise par Alioune Mbaye Nder. Pour moi, on entend à peu près la même chose. Chacun privilégie la danse et les rythmes. On ne pense qu’à la vente.
On peut dire alors que vous ne comptez pas suivre la mouvance dans votre nouvel album ?
Il y a un peu de mbalax dedans, je l’avoue. On ne peut pas faire une rupture du tac au tac. Il y'a du mbalax mais aussi de la musique.
Vous aviez des rapports assez étroits avec Youssou Ndour, qu’en est-il aujourd’hui ?
Youssou Ndour, on a de très bons rapports. Cela me surprend que les gens disent que j’ai des problèmes avec lui. Le Sénégalais part souvent de certains faits pour faire des déductions non fondées. Peut-être que cela fait un moment qu’ils ne nous ont pas vu ensemble qu’ils se disent qu’il y a des problèmes. Mais il n’en est rien. Entre Youssou Ndour et moi, il ne peut y avoir de problèmes. Car j’aime Youssou Ndour et c’est grâce à lui que je suis devenu chanteur. La preuve, on me dit souvent que quand je chante, j’ai la même tonalité que lui. Il fait partie de ceux qui m’ont influencé. On n’a jamais eu de problèmes et on n’aura jamais de problèmes. Je le considère comme mon frère, mon père. J’ai beaucoup de respect pour lui. Il faut que les Sénégalais arrêtent de véhiculer des rumeurs qui ne sont pas fondées. A la TFM comme à la RFM, on fait passer mes chansons. Si je téléphonais tout de suite à Youssou Ndour, il me répondrait.
Comment vivez-vous votre handicap ?
Je le vis bien. Ce qui me dérange c’est la conception que la société sénégalaise a du handicap. Quand un Sénégalais voit un handicapé, il a tout de suite de la pitié pour lui. Et cela ne le rend pas fort mais au contraire l’affaiblit. On pense tout le temps que le handicapé ne peut rien faire. Alors que quand Dieu te prive de certaines choses, il t’en donne d’autres forcément. On peut toujours gagner notre vie à la sueur de notre front. On va réussir ou pas, cela dépend de Dieu. L’essentiel est d’essayer. Il est normal, quand on voit un aveugle se diriger vers un trou, de le réorienter par exemple. Mais il ne faut pas le plaindre. Il faut qu’on arrête de prendre les handicapés pour des incapables.
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ÉBOLA - LE STREET-ART SENSIBILISE LA POPULATION À DAKAR
Sorano le reçoit ce soir avec son orchestre le "Mbouba dialy". Assane Mboup promet un grand spectacle. Il était de passage hier dans les locaux de EnQuête. Une occasion pour revenir avec lui sur les préparatifs de sa soirée, son passage au sein de l’orchestre Baobab, etc.
Votre actualité, c’est votre soirée anniversaire ; où en êtes-vous ?
J’organise chaque année l’anniversaire de mon orchestre le "Mbouba dialy". Cela nous permet de rassembler tous nos fans et de leur faire plaisir. Ce n’est pas mon jour de naissance que je fête mais plutôt l’anniversaire de mon orchestre. Je fais cela chaque année. Je vais donc jouer avec mon groupe. J’espère que les gens viendront massivement répondre à notre invitation. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour une fois encore lancer un appel à l’endroit de tous les artistes. Je les invite tous à venir prendre part à cette soirée pour que la fête soit belle.
Organiser une soirée d’anniversaire en l’honneur de votre orchestre dans le contexte actuel est-il pertinent, sachant que vous
n’avez pas un nouveau produit sur le marché musical ?
Ce n’est pas parce qu’on n’a pas un nouvel album qu’on ne doit pas organiser une soirée d’anniversaire. Assane Mboup n’est plus un artiste à présenter au Sénégal. Je ne suis pas de ces artistes qui attendent d’avoir un nouveau produit sur le marché pour fêter leur orchestre. Mon répertoire me permet d’animer plus qu’une soirée. La production d’un album n’a rien à voir avec ce qu’on veut faire. C’est ma conviction.
Est-ce que ce n’est pas un moyen
de se remplir les poches ?
Non, ce n’est pas ça. Je ne le conçois pas comme un moyen de chercher de l’argent. Même si je reconnais qu’en partie, c’est pour récolter des fonds. Le plus important pour moi, c’est de retrouver mes fans. Cela fait longtemps que je ne reste pas au Sénégal de façon permanente. Je tournais beaucoup avec l’orchestre Baobab. Maintenant, on a défini une stratégie de travail. C’est dans ce cadre qu’on a crée ce genre d’évènement où on invite tout le monde. On en profitera pour annoncer la sortie de notre album. Et à l’heure arrêtée, l’album sortira. Je suis titulaire de onze albums. Donc, je n’ai pas besoin de nouvelles créations pour inviter mes fans à communier avec moi. C’est vrai que les Sénégalais pensent souvent qu’il faut impérativement avoir du nouveau à proposer pour être au devant de la scène. Mais, prenez l’exemple des musiciens du Baobab, ils peuvent rester quatre ans ou plus sans sortir d’album et pourtant à chaque fois qu’ils se produisent quelque part, c’est plein à craquer. Quand on acquiert une certaine notoriété, on peut facilement se passer de certaines choses même s’il faut quand même s’assurer une certaine promotion. Sauf que cela n’a rien à voir avec la sortie d’un album. Cette soirée va d’ailleurs me permettre de tester ma popularité et de m’assurer une certaine visibilité.
L’album qui va être annoncé va sortir quand ?
Je ne veux rien promettre dans ce sens. Ce dont je suis sûr est qu’il sortira et qu’on y travaille. Quand ? Cela reste à déterminer. Je sais aussi que je manque à mon public. J’ai passé un moment assez long au Baobab. Dix ans, c’est conséquent quand même. Encore que ma dernière production date de 2010. Je peux rester cinq ans sans sortir d’opus. Parce qu’aussi il faut savoir que pour avoir un produit de qualité il faut se donner du temps. Un album se prépare. Je dois réfléchir et prendre en compte différents paramètres. Les sujets à traiter, le concept à adopter, sont des choses importantes. Je suis dessus. Dieu merci je n’ai rien perdu de mon talent, ma voix se porte à merveille. Il ne reste plus qu’à définir le plan de travail. Après avoir beaucoup tourné dans le monde, il me faut tester à nouveau mon public et définir la voie à prendre pour s’en sortir. Aussi ne perdez pas de vue que je suis un artiste autonome. Personne ne me soutient. Je ne compte que sur le Bon Dieu.
Vous étiez à Jololi, pourquoi ne pas signer avec Prince Arts ?
C’est vrai que j’étais à Jololi. J’ai fait deux albums que sont "trésor" et "ay beuganté la" avec cette maison de production. Jololi avait entièrement produit le premier. Le deuxième, c’est moi qui l’ai financé en amont et après, on a noué un partenariat. C’est suite à cela qu’on a arrêté de travailler ensemble. Si aujourd’hui ils ont de besoin de moi, je vais travailler avec eux et vice-versa. Il n’y a aucun problème entre nous.
Vous êtes absent du marché du disque depuis quatre ans. Vous jugez ce temps court mais beaucoup de choses se sont passées entre-temps. Wally Seck et Pape Diouf ont gagné beaucoup de galons. Que comptez-vous faire pour retrouver votre place au sein des leaders ?
Je n’ai jamais perdu ma place au sein des leaders. Quand vous dites Assane Mboup, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il chante bien. J’ai encore ma place parmi les leaders. Je ne me trouve en concurrence avec personne. Je crois en certaines choses. Je me suis tracé une voie et je la suis. J’ai des objectifs bien définis que je compte poursuivre. Je ne suis en concurrence, une fois encore, avec quiconque. Je souhaite le meilleur à tous les artistes du Sénégal. Je ne me plains pas.
Pourquoi alors vous restez encore à Sorano au moment où la tendance est le Grand-théâtre ?
Je pouvais aller au Grand-théâtre. Pour moi, y aller ou rester à Sorano, c’est du pareil au même. Je n’ai pas le complexe de rester à Sorano. Je peux remplir le Grand-théâtre comme les autres. C’est juste une question de choix et j’ai choisi Sorano. J’y gagne beaucoup plus. Sorano est moins cher et les frais y sont moins lourds. Je n’ai aucun mécène. Je ne compte que sur le Bon Dieu. Le jour où j’aurai les moyens de me produire au Grandthéâtre, je le ferai. J’ai des parrains et des marraines pour la présente soirée mais pas de mécènes. Je connais des gens qui me soutiennent et m’aident mais je n’ai pas de mécène ni de producteur.
Seriez-vous à la recherche d’un producteur ?
Non je ne cherche pas de producteur.
Vous êtes encore membre de l’orchestre Baobab ?
Non j’ai quitté. Je voulais reprendre ma carrière solo. A un moment, je n’arrivais plus à allier les deux. J’ai sacrifié dix ans avec ce groupe. Il était temps pour moi de revenir m’occuper de ma carrière solo. Je ne suis pas revenu pour concurrencer quelqu’un .
Pouvez-vous revenir sur votre passage au sein de cette formation musicale ?
Je n’ai que de bons souvenirs de ce passage. Je reprenais les chansons de feu Ablaye Mboup. Pendant dix ans j’ai fait cela. Je gagnais la même chose que les autres musiciens. Il n’y avait pas de considérations particulières. On était tous au même pied. On a fait de grandes scènes du monde et on les a partagées avec de très grands noms de la musique à travers le monde. L’orchestre Baobab m’a amené sur des scènes où une carrière solo ne peut me mener. J’ai également beaucoup apporté au groupe. Je ne dirais pas qu’aucun autre jeune ne pourra faire autant que moi, mais ce ne sera pas facile. J’étais avec des musiciens qui pouvaient être mon père. J’avais deux ans quand on formait le Baobab c’était en 1970. Je suis jeune vous savez. J’ai chanté très tôt et acquis une certaine notoriété. Mais j’ai acquis une certaine expérience avec cet orchestre. Je ne regrette rien de mon passage dans ce groupe. J’ai fait de la variété avec ce groupe. Aujourd’hui je peux chanter sur des rythmes salsa par exemple. L’orchestre Baobab est une école. Il y a de grands musiciens là-bas et ce sont des professeurs. Quand on les côtoie, on apprend beaucoup de choses.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la musique mbalax ?
C’est une musique qui est appréciée et bien consommée par les Sénégalais. C’est une musique moderne et aimée. Rien ne peut la détrôner.
Dakar, 7 nov (APS) - Le français est la 5e langue la plus parlée au monde avec 274 millions de locuteurs, indique un rapport intitulé "La langue française dans le monde – 2014".
Ce rapport a été rendu public mercredi par les éditions Nathan, à quelques jours du XVe Sommet de la Francophonie prévue à Dakar (29-30 novembre). Il est préfacé par le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l'ancien président sénégalais Abdou Diouf.
Selon le document, le français est la 2e langue apprise comme langue étrangère après l'anglais et la 3e langue des affaires dans le monde.
Le français est aussi la 4e langue d'Internet, selon cette publication qui fait état de 125 millions "d'apprenants du/en français".
Réalisé par l'Observatoire de la langue française de l'OIF, ce rapport a pour principal objectif de "fournir aux spécialistes, mais aussi au grand public, des données fiables sur la situation de la langue française dans plusieurs domaines".
Le rapport est présenté comme "une source unique d'informations chiffrées et scientifiquement établies" sur la langue française.
Il contient des cartographies et enquêtes inédites (le français en Afrique centrale et orientale ; l'image du français par rapport aux langues nationales et à l’anglais dans plusieurs capitales africaines) ainsi que des nouvelles études (les variétés du français ; la valeur économique de la langue française ; l’enseignement du français en Chine ; la place du français sur internet…)".
Le mois de novembre à l’Institut français de Dakar, c’est le mois du documentaire. A l’affiche, dans la soirée d’avant-hier, mercredi 5 novembre, "Les vérités du fou" de Cheikh Ahmadou Bamba Diop. Le film, qui date de 2014, dure 52 minutes pendant lesquelles on marche sur les pas d’un drôle de personnage, mi-fou, mi-poète. Ce que l’on apprend de Thierno Seydou Sall, ce sont ses mots-ceux des autres aussi-qui nous le disent. Parle, et je te dirai que tu es…
Quand, dès les premières images de ce film documentaire, la réalisatrice franco-sénégalaise Laurence Gavron demande à Thierno Seydou Sall s’il est vraiment fou, le poète, que la question n’a pas l’air de surprendre encore moins d’embarrasser, ne nie pas. Oui, il a fréquenté le service psychiatrique de l’hôpital Fann il y a un peu moins de 40 ans, pour des maux de tête, et quelques délires. On apprendra plus tard que quelques ennuis sans trop d’importance comme il dit, alors qu’il était au Canada, l’avaient finalement conduit auprès des psychiatres de l’hôpital de Thiaroye. Toujours est-il que c’est à ce moment-là que commence sa vie d’artiste.
Le personnage n’a jamais vraiment le ton neutre ou anesthésié, car il déclame souvent plus qu’il ne dit. Normal quand on est poète, et un poète errant de surcroît, le verbe porté par le vent. De lui, Joe Ouakam dit que ses pérégrinations sont celles d’un "homme d’esprit", c’est un voyage à la Rimbaud. Du nom de ce poète français du 19e siècle, Arthur de son prénom, adolescent fugueur, jeune adulte bohème et éternel "vagabond".
Ce que montre le film, c’est que la folie de Thierno Seydou Sall est quelque part une posture volontaire et à la limite instrumentalisée. Il dit d’ailleurs qu’il a "simulé la folie pour mieux être (lui)-même". Le poète est toujours un peu sur la corde raide, toujours un peu funambule et jamais tout à fait serein.
Comme dirait le Zarathoustra de Nietzsche, il a "fait du danger son métier". Il a horreur de la pensée confortable, des discours lisses et polis. La folie, comme il dit, ça vous donne des vibrations, c’est une décharge électrique. Il aime cet état de transe permanent, lui qui se défend pourtant d’être "le seigneur de la folie". Certaines anecdotes à son sujet ne seraient d’ailleurs que légende, mais lorsqu’il dit qu’il est "un grand lucide", c’est à peine crédible.
Pour ceux qui le connaissent, comme l’auteur-compositeur Badara Seck, Thierno Seydou Sall interroge "les contradictions et les tabous de nos sociétés". Le ton est léger, la forme désinvolte et tranchante, mais c’est toujours sérieux. Toujours direct aussi, peut-être l’influence de l’écriture automatique des surréalistes dont il se réclame.
Le Dr Ibrahima Wane, professeur de Lettres à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), qui dit l’avoir connu bien avant de le fréquenter, pense que Thierno Seydou Sall ressemble à sa poésie : cru, agressif, iconoclaste. S’il ne s’encombre pas de subtilités, il a du respect pour quelqu’un comme Cheikh Hamidou Kane dont il a vécu, comme il dit, "L’aventure ambiguë". Le Fou du roman le mettait d’ailleurs "en transe". L’écrivain pense que le poète est un refoulé de lui-même (de Cheikh Hamidou Kane) et de tous ces personnages ambigus qui tiennent à leurs valeurs tout autant qu’ils veulent s’ouvrir à l’autre. Pour eux, l’écriture est une "thérapie".
Du poète, on aurait pu s’attendre à des textes hermétiques ou à une pensée cadenassée, codée. Son style est à la fois métaphorique, imagé et accessible, avec beaucoup d’emprunts à l’actualité. Et du film, on aurait pu penser que ce serait plus la lecture d’un discours que le portrait du "poète errant", mais c’est les deux finalement. Thierno Seydou Sall est un personnage qui rit des autres et de lui, drôle même malgré lui parfois, toujours un peu-beaucoup décalé, parfois incompris. "Ses ailes de géant l’empêchent de marcher."
PORTRAIT - CHEIKH AHMADOU BAMBA DIOP
Cheikh Ahmadou Bamba Diop, le réalisateur du film documentaire "Les vérités du fou", est aussi producteur et entrepreneur social. En 1998 déjà, il est le secrétaire général de l’antenne régionale de l’Association sénégalaise pour la paix, la lutte contre l’alcool et la toxicomanie (ASPAT).
L’année d’après, en 1999, il participe à un atelier de formation sur le film documentaire, puis en 2001, il se perfectionne aux techniques audiovisuelles et à l’écriture de scenarii. Trois ans plus tard, il est membre du comité d’organisation du Festival du film de quartier. Il faudra attendre 2010 pour qu’il ait sa propre structure de production, kerdoffproductions. Et 2014 pour "Les vérités du fou".
Lors d’un conseil de ministre en décembre 2013, le chef de l’Etat Macky Sall nourrissait l’idée de voir les cinéastes africains adapter les œuvres de nos écrivains. Mais voilà. Pour faire un film, il faut un bon scénario original. Et celui-ci, fort heureusement peut être inspiré d’une œuvre littéraire. En Afrique, si les scénarios foisonnent, ils ne font pas souvent hélas appel à la littérature pourtant féconde. En effet, le dialogue cinéaste – romancier n’est pas encore enclenché. Malgré tout, le cocktail romancier cinéaste pourrait donner au septième art de véritables succès.
Scénario décousu, dialogue vide
Il y a quelques années, l’actrice et productrice ivoirienne Hanny Tchelly se désolait du fait que les productions africaines, dans leur grande majorité, se tournaient dans des villages ou cases délabrées avec des dialogues pauvres. Voulant tout faire, le cinéaste africain se retrouve producteur, réalisateur, cameraman, dialoguiste etc.
Conséquence, tout un travail qui devrait être celui d’une équipe donne le plus souvent ce que le public qualifie de "navet". Surtout que, dans la plupart des cas, tout part d’un scénario pauvre. Ce qui fait que les films africains ne procurent aucune émotion aux cinéphiles. A de rares exceptions près, les scénarii sont le plus souvent empruntés à nos contes populaires avec des dialogues insipides.
Et pourtant, la littérature africaine, si riche, peut inspirer nos cinéastes. Le Sénégal pays culturel par excellence s’y est essayé avec beaucoup de bonheur. Sembène Ousmane, un des pionniers du 7èeme art continental, a donné son premier coup de manivelle avec "Borom Sarrett" qui, dès le départ, pose la question des rapports texte- images. Suivra, dans la foulée, "Niayes", à la fois film et nouvelle tirée de "Vehi Ciosane".
Momar Thiam, également, empruntera la trame littéraire pour tourner "Sarzan", tiré d’un conte de Birago Diop. "La malle de Maka Kouli" du même Thiam, sera, encore une fois, emprunté au conteur Birago Diop. Momar Thiam, toujours fasciné par l’univers littéraire sénégalais, adaptera en 1970 "Karim", une œuvre littéraire du même nom d’Ousmane Socé Diop. "Kodou", d’après une nouvelle de Madame Annette Mbaye d’Erneville, fut adapté à l’écran en 1971 par Makharam Babacar Samb qui signait ainsi son premier long métrage.
Hors du Sénégal, des cinéastes ont fait jouer le partenariat cinéma-littérature à l’instar du Mauritanien Med Hondo avec les "Nègres marrons de la liberté", un film adapté d’une pièce de théâtre de l’Antillais Daniel Boukman. Son autre film "Sarraounia", selon le cinéaste, est inspiré du livre du Nigérien Abdoulaye Mamani alors qu’un autre emprunte aussi sa trame au genre romanesque avec "Lumière noire", un roman politique de l’écrivain français Didier Daeninckx.
Tout ceci montre les relations amoureuses que le cinéaste mauritanien entretient avec la littérature. Cette relation romancier - cinéaste, selon Med Hondo, peut être bénéfique au cinéma africain qui, disait- il, il y a quelques années, "doit s’ouvrir aux bons auteurs malgré les difficultés". Selon Med Hondo, la rareté des relations avec la littérature s’expliquerait pour deux raisons : le coût des droits d’édition qui sont très élevés ; ensuite, la diffusion des films africains qui s’effectue toujours de manière partielle. Ce qui ne saurait constituer, selon lui, une raison de se détourner des œuvres littéraires.
Seulement, précise- t- il, pour qu’une réelle collaboration entre les écrivains et les cinéastes s’instaure, il aurait fallu l’existence d’un véritable cinéma africain à vocation industrielle. Ce qui n’est malheureusement pas encore le cas ou tarderait à se mettre dans ce dynamisme.
La littérature en appoint
N’empêche, même si le cocktail romancier n’a pas encore donné des sujets explosifs, des raisons d’espérer demeurent comme en attestent les succès des cinéastes qui ont investi récemment la littérature pour y trouver des sujets qui peuvent faire bouger les cinéphiles africains.
Ainsi, en est –il de la production "Le Grotto" du réalisateur burkinabé Jacob Sou qui s’est inspiré de "Monsieur Thogo Gnini" de Bernard Dadié, du feuilleton sénégalais que l’on a tendance à oublier et qui fut un grand succès "Fann Océan", d’après un roman de Mamadou Seyni Mbengue, de "Hyènes" de Djibril Diop Mambéty tiré d’une pièce de théâtre de l’écrivain suisse Friedrich Durrematt, "La visite de la vieille dame" ; "Niiwam" d’après une nouvelle de Sembène Ousmane réalisé par son fils adoptif Clarence Delgado. "Ramata", un film de Léandre – Alain Beker, est une adaptation du roman d’Abass Ndione.
Le cinéaste et ancien ministre de la Culture du Mali Cheikh Oumar Sissokho a mis en boite "La grève des battu" de Madame Aminata Sow Fall. La jeune réalisatrice sénégalaise, Angèle Diabang est sur l’œuvre "Une si longue lettre" de Mariama Ba.
Cette filmographie de la littérature montre encore ce que ce domaine peut donner au septième art, surtout si les cinéastes investissent l’œuvre de la nouvelle génération d’écrivains africains aux productions fécondes, d’une puissante liberté de ton et d’intention.
L’autre problème du septième art africain se trouve être l’inexistence de scénaristes professionnels. L’écrivain Boubacar Boris Diop s’était investi dans ce domaine avec son scénario "Camp de Thiaroye", co- écrit avec le cinéaste Ben Diogoye Bèye et finalement complètement dénaturé. Le même Boris a participé au scénario de "Le prix du pardon", un film de Mansour Sora Wade tiré de l’œuvre de l’écrivain Bissane Ngom.
L’œuvre de Boubacar Boris Diop dont l’écriture adopte la trame cinématographique constitue une niche pour un cinéaste expérimenté. Boris comme aussi tant d’autres écrivains sénégalais dont Mme Aminata Sow Fall, Ken Bugul, Mamadou Samb ou encore Moumar Guèye.
Des trésors fabuleux existent ainsi dans la littérature africaine, il suffit de s’en emparer avant que d’autres ne le fassent. L’autre atout du continent, c’est comme le disait Jean René Débrix, qu’il possède quelques unes des plus fabuleuses richesses artistiques. Il possède également les plus beaux paysages du monde. Face à tout ce trésor, le continent peut faire rêver n’importe quel cinéaste avec son décor naturel. Il suffit juste d’oser et d’ouvrir les œuvres de nos romanciers pour y jeter un coup d’œil. Le succès pourrait ainsi être au rendez-vous.
«LA LITTERATURE EST UN OCEAN INFINI... UNE VIE NE SUFFIRAIT PAS A LIRE TOUS LES BEAUX TEXTES»
«J’ai cherché la paix dans tout l’univers, je ne l’ai trouvé que dans un coin anguleux avec un livre», cette citation d’un ancien auteur latin repris par Pascal Guignard a renforcé l’amour de Fewine Sarr pour le livre. Romancier, musicien, homme de réflexion et économiste de profession, Felwine Sarr est aujourd’hui libraire et éditeur avec Boris Diop et Nafissatou Dia Diouf. Le trio dirige la librairie «Athéna», rue Victor Hugo à Dakar et qui va célébrer la première réédition de «La plaie» de Malick Fall, roman écrit en 1967.
Vous dirigez la librairie Athéna avec Boubacar Boris Diop et Nafissatou Dia et quand on y pénètre on mesure son degré d’ignorance face à cette florissante littérature en tout genre. Vous-même, en tant qu’écrivain et libraire, éprouvez-vous ce sentiment ?
Felwine Sarr : La littérature est un océan infini. C’est intéressant de se rendre compte des territoires qu’on n’a pas explorés. On croit toujours qu’on est un grand lecteur, mais l’on se rend toujours compte qu’il nous reste encore à découvrir, surtout lorsque l’on change de pays, qu’il y a des littératures spécifiques et une production florissante. On mesure tout l’univers à parcourir et qu’une vie ne suffirait pas à lire les beaux textes, des textes importants. En même temps, il y a un sentiment de curiosité aiguisée. Je dirai aussi, il y a une grande humilité devant l’infini de l’esprit qui se présente devant vous et qui est toujours à explorer.
"La plaie" de Malick Fall, un roman presque oublié en première réédition, pourquoi ce choix ?
Justement on veut le ressusciter. Un roman écrit en 1967. Malick Fall a dans notre paysage littéraire un statut de présence-absence. Certains le connaissent, d’autres pas. Il a accompagné un certain nombre de lecteurs. On ne sait pas qui il est. Auteur disparu très tôt, c’est un spectre dans notre littérature, je dirais. C’est un texte dont le personnage principal est la ville de Saint-Louis. Un texte sur la marginalité mais aussi sur l’individualité qui porte un regard sur la société sénégalaise mais aussi sur la colonisation. C’est un texte qui a énormément de ressorts. cela nous a semblé être une très bonne porte d’entrée dans le roman pour dire qu’on ressuscite entre guillemets un roman africain important qui n’a pas eu le destin qu’il aurait dû avoir. On s’inscrit donc dans ce sillage là.
Comment se présente ce livre ressuscité et quel évènement pour sa sortie ?
On a fait faire une très belle préface par Alioune Diané de l’Université Cheikh Anta Diop, donc c’est un nouveau livre, entre guillemets. L’annonce de la sortie se fera par voie de presse, communiqué de presse, par internet et on créera des évènements autour du livre. Il y aura des conférences, des débats autour du texte. On en organisera à Dakar, à Saint Louis, la famille sera invitée. Il y a des amoureux de ce livre qui existent, des spécialistes de ce texte qui existent, on va faire appel à leur culture à leur érudition. On essaiera de remettre le roman au cœur de la scène littéraire.
Felwine, le livre a-t-il un parfum particulier ?
Tout d’abord, je pense que le livre a une texture. C’est un objet. On le touche, on le tâte. Généralement, on le retourne pour voir de quoi il s’agit réellement. Au-dessus, il y a le nom d’un auteur qui forcément évoque un univers. Il y a un titre qui nous titille, nous indique des sentiers et une troisième étape : l’ouvrir pour grappiller quelques mots ça et là, et décider ou non de faire le voyage avec.
Une librairie, c’'est d’abord un étalage dans lequel le visuel compte beaucoup pour attirer le lecteur ?
C’est extrêmement important. Je pense que l’identité visuelle nous interpelle, évoque un certain nombre de choses conscientes ou inconscientes. Je pense qu’un livre en tant qu’objet nous appelle. Nous ne sommes pas les seuls à appeler les objets. Nous pouvons parfois être saisis par un objet qui nous attire et qui nous invite. Je pense que tous les éléments qui sont des préalables à la plongée dans le texte sont importants.
Vous avez une double casquette : libraire et éditeur. Comment se fait le choix des livres ?
En ce qui concerne l’édition, nous avions l’ambition avec Boubacar Boris Diop et Nafissatou Dia de monter une maison d’édition africaine exigeante dans le choix des textes, dans la fabrication de l’objet et qui au départ débute avec une grande collection de romans et une autre spécialisée dans les essais. L’idée est d’éditer des voix qui existent qui sont donc établies, de faire découvrir de nouvelles voix africaines et de rééditer des ouvrages importants de notre littérature dans un premier temps et plus tard traduire en français des littératures africaines écrites en anglais, en portugais parce que ces littératures font parti de nos univers. Il n’y a que la langue qui nous sépare. La première exigence est que le texte nous transporte, qu’il ait son propre univers et qu’on ait le sentiment que le lecteur y trouvera un intérêt.
Qu’est ce qui aujourd’hui attire le lecteur ?
Je pense que les lecteurs sont avides de grilles de lecture du monde en général. Tout ce qui est ouvrage à caractère de réflexion, cela fonctionne très bien. Il y a énormément d’ouvrages qui traitent de questions relatives à l’actualité internationale. Les lecteurs ont envie de décrypter le monde et de le comprendre. Je pense aussi que les lecteurs ont envie d’avoir le reflet de leur univers existentiel profond. Ils sentent que leurs existences sont tissées de différents éléments qu’ils vivent intérieurement et qu’ils ont envie de les voir projeter dans un texte. Je pense qu’il y a des imaginaires globaux et collectifs. Celui qui vit à Dakar ou en Afrique au 21ième siècle probablement aura-t-il envie que cette Afrique-là soit reflétée dans le texte, aura-t-il envie que ces imaginaires intérieurs, paysages mentaux soient projetés dans un texte et deviennent des paysages en partage auxquels il puisse s’identifier. Je pense que les gens ont envie de retrouver des histoires, les trames de leur existence en culture et en art.
Un éditeur choisit ses textes, le libraire doit vendre des livres qui ne sont pas tous à son goût. Y a-t-il là un tiraillement pour un éditeur-libraire ?
Bien sûr il y a ce tiraillement. Mais on essaie de trouver un équilibre. Il y a des ouvrages qui sont à la mode qui se vendent puisque les lecteurs les demandent. Je pense qu’une librairie est aussi un univers. On propose un univers dans le choix des livres. Par exemple nous voulons être exhaustifs sur les littératures africaines, des diasporas et du monde noir. On estime pas du tout normal de venir à Dakar et de ne pas trouver toute la littérature sénégalaise ou en tout cas, ce qu’il y a de plus important dans la littérature sénégalaise et africaine. Je pense que nous proposons aux lecteurs un itinéraire, un univers, des imaginaires et pour leur dire : « Voici les livres standards qui existent. Mais, nous vous proposons aussi de découvrir d’autres manières de voir le monde » et ça, je dirais que c’est presque un choix idéologique. On va aussi vers les sciences sociales africaines pour que le lecteur sache qu’il trouvera ici certains types d’ouvrages et sur ce champ là, nous essaierons d’être exhaustifs. Ce qui ne nous empêche pas de faire attention à l’offre et à la demande sur ce qui se fait. La grande difficulté est de trouver un équilibre entre l’exigence de rentabilité économique et l’exigence culturelle.
Dans la production littéraire sénégalaise, on trouve de plus en plus des publications à compte d’auteur. Comment les jugez-vous?
J’ai un double jugement. Le premier jugement est que cela ne semble pas être une excellente chose puisque l’édition à compte d’auteur vous soustrait de la critique d’un comité éditorial classique qui accepte votre manuscrit ou pas ou qui l’accepte en vous faisant certaines critiques et propositions. Je pense que ce travail est important dans la vie d’un auteur dont le manuscrit est lu par d’autres et qui vous obligent à retravailler votre texte et faire un chemin de croix jusqu’à ce que votre texte soit accepté par un éditeur. Ce n’est pas toujours le cas, mais le plus souvent le compte d’auteur vous soustrait de cela. Je crois que pour que ce texte appartienne à la communauté, il faut qu'il passe par un filtre. C’est extrêmement important. Des fois, on se rend compte qu’il y a un manque d’exigence et de rigueur qui fait que chacun peut sortir son livre comme il le veut sans être passé à travers ce filtre-là. Donc de ce point de vue, ce n’est pas une très bonne chose. En même temps quand je vois un pays comme Haïti qui a une littérature foisonnante, riche!
Haïti c’est le pays du compte d’auteur car il n y a pas de tradition de maisons d’édition. Enormément de grands écrivains haïtiens ont commencé par publier à compte d’auteur. Ils ont un grand salon du livre qui vend plus de livres que beaucoup de pays dans le monde et les auteurs haïtiens, où qu’ils se trouvent dès qu’il y a le salon du livre, rentrent chez eux parce qu’il y a un réel foisonnement. Voici donc un pays qui a su trouver des alternatives sans que ces alternatives aient impacté la qualité des textes littéraires. Il n'y a que très peu d’auteurs haïtiens qui sont édités par des maisons d’édition. Mais cela ne semble pas être la dynamique au Sénégal. Le compte d’auteur sénégalais ne fonctionne pas comme le compte d’auteur haïtien. Je publie mon livre comme je veux avec des fautes d’orthographe, des coquilles et je n’ai aucune instance externe qui impose une certaine rigueur et exigence.
Après les projections des films nominés à Dakar, Paris a reçu le 31 octobre la cérémonie de remise de prix de la deuxième édition des trophées francophones du cinéma. La liste a été dévoilée le 3 novembre, avec deux acteurs sénégalais distingués.
Clap de fin sur la deuxième édition des trophées francophones du cinéma. C’est dans l’un des studios du célèbre animateur français Michel Drucker que s’est tenue la cérémonie de remise des trophées le 31 octobre passé.
Mais c’est seulement le lundi 3 novembre qu’elle a été diffusée sur TV5 Monde. Le Sénégal figure sur la liste des primés. Et même si Dyana Gaye et Mati Diop n’ont pas pu faire autant que Moussa Touré qui avait reçu le plus prestigieux prix, lors de la première édition, des acteurs sénégalais ont su tirer leur épingle du jeu.
En effet, le personnage principal du long-métrage "Des étoiles" de Dyana Gaye, Marième Demba Ly, a eu le trophée francophone de l’interprétation féminine. Poids plume, teint noir et dépourvue de toutes fioritures dans le film, Marième Demba Ly est présentée telle une jeune Sénégalaise moderne mais quand même ancrée dans ses traditions. Celle qui arrive en Italie à la recherche de son mari qui a déjà migré aux USA, refuse de s’adonner à la prostitution et à des choses malsaines.
Pourtant, les amies de son mari qui l’ont accueillie et lui ont fait croire que ce dernier est sur un chantier et qu’il ne va rentrer que dans un mois baignent dans cette atmosphère. Calme, à la limite froide, Marième ne se laisse pas du tout emporter et n’a qu’un seul objectif : attendre son mari. Souleymane Sèye Ndiaye interprète le rôle de cet époux recherché. Le mannequin sénégalais, qui n’en est pas à son premier film, ne s’est pas mal débrouillé lui aussi dans ce long-métrage.
Il est l’acteur principal dans "La pirogue" de Moussa Touré. Et si avec ce film il n’a pu avoir de consécration, ce n’est pas le cas avec son deuxième coup d’essai. Son jeu d’acteur dans "Des étoiles" lui a valu de remporter le trophée du second rôle masculin. "Mille Soleils", le court-métrage représentant le Sénégal dans la catégorie documentaire dans ces rencontres cinématographiques, n’a pas eu plus que le mérite de la participation. Aucune distinction à la clé, même s’il était promis à un brillant avenir.
C’est l’institut français Léopold Sédar Senghor de Dakar qui a reçu toutes les projections de l’édition de cette année. Et hormis les acteurs sénégalais, des réalisateurs de l’espace francophone ayant pris part à cette compétition ont été sacrés. Ainsi, le trophée francophone de l’interprétation masculine est allé au Français Guillaume Gallienne pour son rôle dans son propre film "Les garçons et Guillaume, à table".
L’Algérie a eu droit au trophée du second rôle féminin, grâce à Adila Bendemirad qui a joué dans "le repenti" réalisé par Merzak Allouache. Le Canadien Sébastien Pilote est l’héritier du Sénégalais Moussa Touré dans cette deuxième édition. Il a eu droit au trophée francophone du long-métrage de fiction avec "le démantèlement". Voilà entre autres, les prix qui ont été décernés par le jury de l’édition 2014 des trophées francophones du cinéma dirigé par la comédienne Aïssa Maïga.
"LA FRANCOPHONIE DOIT ÊTRE PROSPECTIVE"
MAME FATIM GUÈYE, AMBASSADEUR DU SÉNÉGAL AUPRÈS DE L’UNESCO
Elle a été le représentant personnel du chef de l’Etat au Conseil permanent de la Francophonie pendant plusieurs années. Un poste qui a permis à l’ambassadeur du Sénégal auprès de l’Unesco, Mame Fatim Guèye, de côtoyer le président Abdou Diouf, voyager avec lui et avoir appris à le connaître. Pour elle, la flamme de la Francophonie doit être actuelle.
Vous assistez au colloque de Dakar consacré à l’inspiration originelle, défis actuels et futurs, quelle est la leçon que vous en tirez ?
C’est un colloque qui est important dans la mesure où il pose les vraies questions sur la Francophonie, un rappel historique et des projections. Nous avons une organisation qui doit rester actuelle et prospective. Un colloque de cette nature, on ne peut que s’en féliciter et regretter qu’il ne puisse pas durer plus longtemps pour aborder en profondeur des thèmes qui méritent, chacun, un colloque.
On pose sans cesse la question des femmes et des jeunes dans le monde francophone, quel est le problème véritablement ?
C’est important de prendre en compte une majorité silencieuse qui, en fait, est une double minorité, parce que lorsqu’on est jeune et qu’on est femme, on part avec un double handicap. C’est ce handicap que la Francophonie veut s’atteler à résorber en proposant des stratégies efficaces. Parce qu’on est dans l’ère de l’efficacité.
Et je pense que, le moment venu, le Sommet nous en dira plus. Mais déjà, les pistes qui sont abordées sont extrêmement importantes sur l’employabilité, l’éducation et l’importance de la culture qui est au début et à la fin de tout.
Il y a aussi le défi du numérique ; on est encore en retard dans le monde franco- phone. Qu’est-ce qu’il faudrait réellement faire à ce niveau ?
Sur le défi du numérique, il y a énormément de choses à faire. Le numérique ne peut rester qu’un support, mais un support avec tellement de complexités. Il faut que les pays francophones en prennent conscience et fassent ce qu’il faut au moment où il le faut.
Le numérique nous permet de résorber un fossé, une fracture, mais il peut également agrandir cet écart. Donc, il faut le prendre en charge de la manière la plus appropriée, et c’est maintenant qu’il faut le faire.
C’est un problème de contenu ?
C’est forcément un problème de contenu, un problème d’accès. C’est aussi un problème juridique. Parce qu’il faut savoir gérer les problèmes qui sont sur la toile, les produits culturels notamment.
C’est un aspect qui donnera lieu à un colloque en début 2015. Cette question multidimensionnelle est à prendre en compte. Autrement, les pays africains et le monde francophone seront à la traîne.
Le 15ème Sommet sera l’occasion, pour le président Diouf, de passer la main. Vous avez eu la chance de le côtoyer, qu’est-ce que vous retenez de l’homme ?
J’ai eu l’honneur et la chance d’avoir parcouru une grande partie du mandat du président Diouf à la tête la Francophonie en qualité de représentant personnel du président de la République. J’étais à Beyrouth lorsqu’il était plébiscité comme secrétaire général de la Francophonie.
Auparavant, j’avais porté des messages auprès des hautes autorités, des chefs d’Etat pour leur demander le soutien de la candidature avec d’autres collègues. Jusqu’en 2012, date à laquelle j’ai été nommée ambassadeur auprès de l’Unesco, j’étais le représentant personnel du président de la République auprès de la Francophonie.
J’ai eu à le côtoyer énormément et nous avons eu à traiter beaucoup de dossiers importants. J’ai eu également la chance de porter la candidature du Sénégal, pour abriter le Sommet, jusqu’au résultat que l’on sait. Le président Diouf est un homme exceptionnel dans son rapport aux autres. Ce n’est pas évident de gérer des gens venus de différents horizons qui ont eu des trajectoires différentes.
Le multilatéral est quelque chose d’assez complexe et je l’ai toujours vu trouver des solutions à des intérêts, au départ contradictoires. C’est une des grandes leçons que l’on retient.
L’autre chose, c’est qu’il a toujours su allier toutes les facettes de la Francophonie, du politique à l’économique, avec le souci d’aller de l’avant, d’avoir une plus grande visibilité, une plus grande cohérence, une lisibilité qu’il a initiée pour la Francophonie à travers une maison de la Francophonie.
On peut en dire beaucoup plus et le Sommet sera l’occasion de lui rendre hommage. Pour ma part, en ma qualité de président du groupe des ambassadeurs francophones auprès de l’Unesco, nous lui avons déjà rendu un grand hommage le 16 octobre dernier, au cours d’un déjeuner.
"MACKY SALL A EU RAISON SUR TOUS LES SCEPTIQUES"
EL HADJ KASSÉ, PRÉSIDENT DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DU SOMMET DE LA FRANCOPHONIE
Président du Comité scientifique, El Hadj Hamidou Kassé a dit sa satisfaction à l’issue du colloque sur la Francophonie qui a pris fin vendredi dernier. Il a salué la vitalité des interventions et s’est également félicité de la bonne organisation et de la bonne couverture médiatique de l’évènement.
Le colloque sur la Francophonie : « De l’inspiration originelle aux défis actuels et futurs » a pris fin. Votre sentiment en tant que président du Comité scientifique ?
C’est un sentiment de réjouissance, de satisfaction. Ce colloque, nous l’avons préparé depuis des mois. L’objectif, c’était de réunir d’éminentes personnalités de l’espace francophone et de l’étranger. Et nous avons atteint ce premier objectif. Le deuxième objectif, c’était de tirer le maximum des débats, des échanges sur la Francophonie d’aujourd’hui et de demain, ce que les dirigeants veulent en faire.
Et là-dessus, nous avons des idées fécondes qui demandent à la Francophonie de se réajuster en permanence pour épouser les contours de la modernité. Nous voulions que ces experts, ces acteurs divers échangent sur les questions de démocratie et de droits de l’Homme. Là également, des idées très pertinentes ont été émises.
Non seulement nous avons demandé l’ancrage de la Francophonie dans la problématique démocratique, de l’Etat de droit, des droits de l’Homme, mais la Francophonie a encouragé et renforcé ses instruments d’intervention pour être encore plus présente sur ces thématiques qui sont au cœur des mutations des sociétés contemporaines.
Nous avons convié les uns et les autres à débattre des questions liées au développement durable. Les panélistes ont montré que la Francophonie, ce n’est pas seulement sa dimension linguistique, culturelle et axiologique. Il y a aussi son rapport à la question du développement, particulièrement du développement durable.
Ainsi, la Francophonie doit s’intéresser aux changements climatiques, et cela sera présent dans la déclaration de Dakar, à la problématique de la protection de l’environnement, de l’endogène, c’est-à-dire comment à partir du potentiel interne nos Etats peuvent-ils impulser et mettre en œuvre des stratégies de développement durable. Etant entendu que nous devons certes satisfaire nos préoccupations d’aujourd’hui et tenir compte des besoins des générations futures.
Du point de vue organisationnelle, je pense que tout le monde a constaté la parfaite organisation. Il n’y a pas eu de couacs grâce à une équipe de jeunes gens volontaires, qui ont accompagné le processus, fait en sorte que les participants se sentent à l’aise, soient dans les conditions pour bien travailler.
La troisième dimension, elle est médiatique. Je pense que les confrères ont été activement présents et je ne peux me dispenser de faire une mention spéciale au « Soleil » qui a produit des cahiers. Je remercie son directeur général, Cheikh Thiam, qui avait pris l’engagement de nous appuyer. Il nous a effectivement appuyés et je pense que cela intègre parfaitement le travail colossal et excellent qu’il est en train de faire.
Il a toute notre sympathie et tout notre soutien. Je remercie également nos confrères de la Rts, qui non seulement ont diffusé des spots publicitaires, mais nous ont aidés à communiquer beaucoup sur l’évènement, de façon très engagée. Aussi, chaque soir, ils ont couvert, de façon exhaustive, les travaux. Je n’oublie pas la presse privée, les journaux en ligne qui ont merveilleusement assuré une bonne couverture de ce colloque.
Cette rencontre est, à mon avis, importante, parce que c’est le dernier que le Comité scientifique organise avant le Sommet de Dakar. Nous allons revisiter, puis capitaliser les conclusions de tous les colloques que nous avons organisés en prélude au Sommet de Dakar.
Ces conclusions, nous allons les compiler et les publier sous la forme d’un livre que nous mettrons à la disposition des instances de la Francophonie, des chefs d’Etat et de gouvernement, des réseaux de la Francophonie et de tous les acteurs intéressés.
Pensez-vous que le Comité a rempli sa mission ?
Je crois que nous avions le défi d’avoir un programme scientifique et intellectuel. Non seulement nous avons réalisé ce programme, mais nous avons réalisé toutes les activités prévues dans ce programme et dans les délais requis.
Votre état d’esprit à un mois du Sommet de Dakar ?
Nous partons confiants. Toutes les conditions sont réunies pour un sommet réussi. D’abord, le président de la République a eu raison sur tous les sceptiques. Parce qu’à onze mois, nous avons pu édifier un centre de conférence qui répond aux normes internationales les plus élevées. Nous avons pu, en moins de deux ans, élaborer des normes et produit des protocoles pour accueillir les hôtes.
Ils seront accueillis, hébergés et restaurés dans d’excellentes conditions. Cela est assuré. Il n’y aura pas de couacs, car le président de la République veut un sommet de réussite totale. Sur le plan poli- tique, vous avez aussi vu toute la vitalité du débat qui a accompagné la préparation du sommet.
Je pense que la présidence sénégalaise de la Francophonie va être riche en évènements scientifiques, politiques, culturels, parce que simplement, nous avons fait le pari d’imprimer à cette présidence une orientation pragmatique, soucieuse des préoccupations des jeunes, des femmes et de tous les acteurs francophones. Mais également une réflexion à la fois actuelle et prospective sur le devenir possible de la Francophonie.