Lorsque le génie de l’homme rencontre la baraka, la part de légende habite la réalité. A Médina Sabakh, le « Ngoyane » est une réalité culturelle figée dans l’imaginaire collectif comme un monument très lisse. Dans cette contrée également, mille récits se tissent pour conforter la part du mythe.
La nuit commence à envelopper le mythique village de Médina Sabakh. La pénombre s’installe et les rues commencent à être désertes. L’on eut cru que la grouillante bourgade aux mille et une facettes, brusquement sortie de la dynamique d’une journée pleine, allait céder le passage à cette morosité et autre méfiance propres aux localités frontalières. Erreur.
Nous sommes à la sortie Est du village sur le chemin qui mène à Ngeyène Sandial (une localité située en Gambie). Notre attention est attirée par des notes hasardeuses distillées monotonement, par un « xalam » que l’on ajuste. Le temps de se triturer l’esprit pour en détecter la provenance, une voix mielleuse et limpide brise le silence de la nuit, soutenue en sourdine par des battements de calebasses.
Presque dans chaque demeure du village, la même scène sera répétée et il en sera ainsi jusque tard dans la nuit. C’est ça Médina Sabakh. Cela fait la force et la réputation du Ngoyane. Une terre bénie des dieux de la musique et dont le riche et varié patrimoine culturel et folklorique est tiré de son métissage entre Ouolof, Socé, Peulh, etc. Ici, nous confie le vieux Momath, les populations travaillent dur le jour et font la fête la nuit.
Si aujourd’hui, le folklore du Ngoyane a été exporté dans plusieurs localités du Saloum, Ndiédieng, Mabo, Keur Madiabel, Birkelane, Médina Mbaba et Darou Rahmati à Kaolack pour n’en citer que celles-ci, la sève nourricière, pour ne pas dire la source qui l’alimente, coule toujours à Médina Sabakh.
ENTRE LE XALAM ET LA PLANQUE
A l’origine, il y avait une seule troupe, créée par la grande cantatrice, Adja Seynabou Dieng. Au décès de cette dernière, pour des problèmes de préséance et de succession, la grande et majestueuse troupe de Médina Sabakh, qui avait fini de se faire un nom à travers le Sénégal et la sous-région, vola en mille morceaux, pour donner naissance à des groupuscules qui se formèrent au gré des accointances et autres appartenances familiales.
Deux groupes émergèrent ainsi du lot, celle de Seybassi Dieng et le second, dirigé par la célèbre Saly Mbaye. La grande troupe de Médina Sabakh a été créée en 1969 par Adja Seynabou Dieng, suivant les conseils de Mamour Ousmane Bâ, petit-fils de Maba et de Mamou Ndary, alors responsable politique du département de Nioro.
Cependant, le Ngoyane a forgé son folklore vers les années 1945. C’est le fils de la mère fondatrice de la troupe, Adja Seynabou Dieng, le nommé Goumbo Ndiaye, aujourd’hui retraité de l’Institut de recherches agricoles du Sénégal qui nous replonge dans ce passé musical au fort goût historique du Ngoyane.
En effet, selon cet ancien élève du lycée Gaston Berger de Kaolack qui manie avec dextérité aussi bien le « xalam » que la guitare occidentale, Médina Sabakh, après sa fondation par Ndeury Khady Touré, était un village monotone, terne et plutôt orienté vers la chose religieuse. Erigé en canton, du temps des colons, il fut confié à Ndeury Yacine qui en fut le premier chef. Il avait un frère du nom de Goumbo Touré, enrôlé dans l’armée française et qui en est revenu, après la guerre mondiale, avec le grade d’adjudant-chef.
Pour sa reconversion, l’administrateur blanc lui proposa plusieurs postes aussi juteux les uns que les autres, mais ce fils de chef préféra celui de chef de canton du Ngoyane. Ainsi, pour le récompenser, l’administration française lui remit un manteau et une décision l’ayant nommé chef de canton du Sabakh.
« C’est la nuit que Goumbo, muni de ce sésame, entra à Médina Sabakh. Il réunit son frère et l’ensemble des dignitaires, pour leur signifier la décision de l’administration française », a expliqué notre interlocuteur qui a refusé de nous dire davantage sur la suite de ces événements sensibles.
CHANT POUR DECHIRER LA MONOTONIE
Ayant constaté que le village de Médina, capitale attitrée su Saloum était plongé dans la morosité, du fait que la bourgade ne comptait aucun griot, encore moins suffisamment de femmes pour enflammer les ardeurs, Goumbo fit venir de Balangar, village voisin situé en terre gambienne entre Ngueuyène Sandiale et Kaour, et de Ndiayène poste, des familles entières de griots.
Sa philosophie était simple : il faut travailler le jour comme un beau diable, mais la nuit, il faut faire la fête. Ainsi vit le jour ce qui, aujourd’hui, fait la tradition de Médina Sabakh, une terre de bravoure et de bombance, Ngoyane, le village à la téranga légendaire, là où l’étranger est considéré comme un roi.
Goumbo Touré commença par appeler la jeune Seynabou Dieng, la cantatrice à la voix d’or et un certain Ali Moussa Socé qui était le griot de sa famille et s’adressait à eux en ces termes:«Il faut que le village grouille aujourd’hui. On va organiser une petite fête ». Alors, l’on tua quelques béliers et les voix s’élèvent, soutenues par des battements de tam-tams et autres calebasses.
Les villageois s’y habituèrent petit à petit et de « xawaré » (veillée) à « xawaré », la musique du Ngoyane est née. Une ambiance électrique qui entraîna les populations des autres villages de la contrée.
RETROUVAILLES NOCTURNES
Pendant plus d’une vingtaine d’années, Médina Sabakh vit au rythme de ces petites retrouvailles nocturnes qui donnèrent aux populations goût à la vie. Responsable politique, Mamour Ousmane Bâ suggéra à Adja Seynabou Dieng de formaliser les activités de son groupe en créant une troupe folklorique.
Ce qu’elle fit en 1969, avec son époux, Birane Lobé Ndiaye et Sakou Dieng (guitare traditionnelle), en regroupant tout ce que Médina Sabakh comptait comme cantatrices, joueurs de « xalam » et en batteurs de tam-tam. Entre temps, Birane Touré était devenu chef de canton. Et à l’occasion des grandes réceptions (visites du président Senghor, etc.), il se rabattait toujours sur Seynabou Dieng et sa troupe pour assurer l’animation.
En l’absence de Saly Mbaye, nous avons discuté avec Ndèye Dieng, Fatou Sakho et Fatou Ndiaye qui regrettent la dispersion des forces. « Il y a aujourd’hui, à Médina Sabakh, autant de troupes que de familles de griots, ce qui impacte sur le développement de notre patrimoine folklorique », ont-elles soutenu.
En effet, selon elles, il est plus facile d’aider un groupe que de soutenir une multitude de groupuscules affaiblis par des ambitions contradictoires. Pour l’heure, nos cantatrices se contentent de faire des prestations dans le village, le département, la région, quelques fois dans les autres cités ou en Gambie voisine.
« Chacun pour soi, Dieu pour tous » semble être le mot d’ordre dans le Sabakh où les mécènes de la dimension de Adji Marie Diané que Médina Sabakh n’est pas prêt à oublier, se font de plus en plus rares. Mais pour beaucoup, les responsables politiques de la localité et autres cadres ont une grosse responsabilité dans le recul des activités folkloriques du Ngoyane. « Si chacun y mettait du sien, la musique de Médina Sabakh conquerrait le monde ».
Septembre, mois de toutes les folies. Du rythme, des chants traditionnels, du monde, le temps d'un mois, Mbour devient le centre du globe. Sur le bord de l'Atlantique, une petite cité d'hier peuplée de paysans et de pêcheurs, a offert l'un des spectacles les plus grandioses en matière de cérémonie d'initiation en dehors de la Casamance. Si Rio a son festival, Mbour reste une ville de tradition, de culture mais encore de Kankourang.
Comme si s'était écrit d'avance pour la cité du bord de mer, depuis sa rencontre avec le maître de la forêt au début du siècle. Aujourd'hui, si le succès est avéré, des nuages lourds pèsent sur le legs des anciens. Le risque est grand de voir tout se gâter un jour. L'année 2013, en pleine période de circoncision, pendant qu'on allait fêter la sortie des jeunes circoncis, des balles ont été tirées, un samedi après midi, jour du « faniké » sur des jeunes et leur Kankourang. Fausse alerte, mais avertissement sérieux, la leçon n'est pas passée pour rien. L'auteur des tirs blesse deux personnes, mais, rate le Kankourang. Que se serait-il passé, s'il avait touché le symbole de toute une construction sociale ? La guerre ethnique n'était pas loin. On l'a échappé belle comme ce fut le cas à Sédhiou au milieu des années 1980.
Du succès, des prouesses, de la beauté, du partage et du bonheur, on aurait pu résumer l’histoire du Kankourang et de l’initiation de jeunes mandingues, à travers ces mots. Mais, ils ne suffiraient pas à eux seuls de traduire le contenu des faits et des actes, de tant les bons souvenirs sont encore là. Des bons moments qui n’empêchent pas, cependant, si on veut une analyse de la situation, de revenir aussi sur les terribles épisodes noirs qui ont cette vie de relations entre gens d’un même groupe, d’une même ville, d’un même pays. Le Kankourang, objet de vénération, de rencontres, de rappels de moments partagés, les jeunes comme les moins jeunes initiés, le doivent au génie des anciens, à leur bravoure et leur constance pour avoir préservé les acquis et laissé la place à d’autres générations. Mais que c’est dur de porter un tel legs quand le monde se modernise, se diversifie aussi rapidement.
Face à une telle évolution, les choses se gâtent des fois. Et il semble que le fagot « douno » comme disent les mandingues semble trop lourd. Pendant les années 1970, il y avait certes des histoires du genre avec cet homme blanc muni de son appareil photo entrain de flasher une histoire qui était devenue un vrai phénomène à la mode pour l’époque. A tort ou à raison, il savait ce qu’il faisait pour la mémoire du monde. Mais par chauvinisme, on a détruit ses prises sans se donner le temps de voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Et pourtant, peut–être quelque part, ces images que personne ne verra un jour, auraient eu l’effet inverse ailleurs que ce l’on a pensé à l’époque. Grave pour des gens qui veulent se donner des moyens, des méthodes d’évaluation et de calcul. Trop tard. On était en 1976.
Resté en marge de ce manque de vision pendant deux décennies, Mbour qui a pourtant connu la première vraie crise du Kankourang entre 1979 et 1980, a failli replonger l’année dernière. Tout cela représente aujourd’hui des signes avant-coureurs d’une situation qu’il faut ré-imaginer. Sous le coup de l’euphorie, on tuait tout ce qui ressemblait à une prise de vue. Il n’y avait ni comité de sages. On détruisait tout de ce qui passait. On tapait à forte dose sur les gens qui osaient s’arrêter et poser des questions. Vous avez dit civilisations et cultures ? Là, il s’agissait d’actes de protection, mais encore plus grave de sauvagerie. On y échappe en 1979 et cela annonce la mort prochaine de quelque chose. On veut tuer le mythe. Et, pour cette période sensible où ne se joue pas encore le passage des générations et du flambeau, la force est du côté des initiés. Par la voix des plus vieux, le respect des consignes, même si tout n’est pas tout de suite accepté.
Les conflits à caractère ethnique sont évités. La défense d’une même cause résiste encore aux dissensions internes. Mais, le troisième âge, toujours maîtres dans l’initiation et la formation des enfants est encore là qui apaisent à chaque fois, les foyers de tensions. Chaque dimanche de sortie de Kankourang, du feu à profusion semble brûler la ville. Tout commence le samedi nuit quand sort le maître des initiés. Dans certains quartiers, si ça sécurisait la ville, ce n’était pas du goût de tout le monde avec des provocations qui pouvaient mal tourner des fois.
Les années 1970-1980-1990 sont terribles. Dissensions, conflits entre jeunes et vieux. Un nouveau phénomène entre dans le jeu de l’initiation sous forme de raccourci, le « bofeul », mot wolof qui veut dire le mentorat qui permet d’introduire quelqu’un dans le système et son organisation, sans passer par les règles minimales d’initiation. Sans être vraiment une mauvaise chose en ce qu’il permet le brassage et l’entente cordiale entre les initiés et les non initiés, il n’y a pas de règles consensuelles. A chacun son poulain à parrainer…La rupture des générations n’est pas loin. Au fil du temps, chaque quartier veut son leul. Ses nouveaux entrants interdits d’entrée chez les autres.
Les murs sont blindés pour eux. Dur à comprendre. Le malaise est profond. 1982, 1986, ces années sont une catastrophe pour le Kankourang à Mbour. Parties pour être les plus belles années de la circoncision dans la ville, les choses se gâtent, avec la pratique du « bofeul » un peu partout. Coup dur pour le Kankourang. Les vieux ne s’entendent plus et la rupture est presque imminente entre les anciens d’une part, les anciens et les jeunes d’autres part, et les jeunes entre eux selon qu’on est ou non, partisan de cette pratique du mentorat.
Un relève mal assurée et en panne
Le gâchis est aux portes de la grande muraille quand on détruit un djoudjou dans le quartier du Guinaw rails, là aussi sans concertation. L’ancien fief du Kankourang parce qu’un peu plus retiré que Thiocé qui trop près du centre ville, est boudé et Manfodé Touré, grand maître des lieux, le Kouyan Mansa que certains qualifiaient du titre de « Maréchal », partisan d’un recul vers ce qui reste de bouts de forêt dans la ville, est contredit par certains de ses anciens initiés. Le mal sera difficile à réparer quand on lui retire ses propres circoncis pour les amener dans le Djoudjou de Thiocé. 1986 est une année pénible pour la communauté mandingue. Le maître du djoujdou ne l’acceptera jamais. En vieux lion, à l’époque la cinquantaine sonnée, il se retira chez lui attendant son heure.
La guerre était déclarée. Manfodé était un génie qui avait une vision que peu de Kouyan Mansa dans la communauté mandingue sénégalaise jusqu’en Gambie et en Guinée Bissau avait. C’était d’ordre être de rigueur. Un homme de caractère que ses plus proches amis respectaient et admiraient. Un grand maître dans le sens parfait du terme. Mais, comme tous les maîtres, l’unanimité n’est pas éternelle. Souvent si ce n’est pas la jalousie des uns et des autres dans l’entourage, c’est finalement au sein même de sa famille de case que vient une forme de révolution qui agite plus une forme d’anarchie qu’autre chose.
La suite ressemble à un partage morcellement de responsable que cet homme possédait entouré d’initiés de l’époque chargés d’assurer la relève qu’il avait formés : Cheikhou Dabo, grand parolier et praticien de la langue mandingue comme son maître, Famara Demba, Demba Ndoye, Fodé Kady, Malang Kady, Fodé Sagna, Abdoulaye Darry, autre maître parolier spécialiste des chants traditionnels, Cheikhou, son grand frère, jusqu’à Ousmane son autre frère, qui n’a jamais démissionné et qui est encore présent dans le Djoudjou de Thiocé… La relève aura beaucoup d’écueil devant elle, du fait de la destitution du maître, de sa maladie et sa paralysie qui assomme la communauté dans ses fondements.
Manfodé n’était un homme ordinaire quoi qu’on puisse dire de lui. Un homme de devoir qui a donné toute sa vie au renforcement des bases de sa culture, restant un pur produit de la langue de mandingue jusqu’à son dernier jour. Alors, l’anarchie s’installe à partir de ce milieu des années 1980, et chacun veut garder sa part du gâteau dans le partage des dividendes politiciens. Les choses se gâtent et l’on se met à broder et ajouter des choses et des gens qui n’avaient rien à faire dans le milieu. Les déchirures commencent… Une source de désorganisation et d’affaiblissement qui va être aggravée par le manque d’autorité, les clivages et la lutte des intérêts divergents et encore…
Ainsi, au lieu de la mobilisation qui faisait la force de l’initiation mandingue, l’on assiste à une série de règlements de comptes, d’erreurs internes qui vont être difficiles à corriger. Elles ne sont pas soldées à ce jour. Et, certains devant l’impasse, ont préféré se retirer partant du fait qu’ils ne se retrouvaient plus dans ce délire d’indiscipline, de sabotage et de manque de perspectives. Les erreurs se sont multipliées jusqu’à ce jour de l’année 2012 où pour aller laver les circoncis, un groupe des selbés s’est heurté tôt le matin, à des jeunes d’un quartier du bord de mer, avec le risque de voir encore des violences et même des morts si certains comme l’ancien champion de judo, Khalifa Diouf, lui-même initié, ne s’étaient pas opposés. Peut-on continuer à travailler sur le Kankourang et son histoire, sans faire une introspection utilisée sur la chose en usant du dialogue interne, mais aussi externe pour impliquer tout le monde.
Phénomène culturel et populaire
Au-delà de la situation de Mbour, la crise est partout. La Casamance ne fait pas exception, les récentes évolutions urbaines ont fini par poser la question de la survie du phénomène. Kolda, Ziguinchor, Sédhiou, Vélingara, Mbour, l’espace manque pour faire passer le Kankourang et son convoi de garçons agités, dans l’ordre et la sérénité. Il n’y a plus d’espace. Plus de place pour le Kankourang, même si son succès en dépit des jalousies et des erreurs dans la mise ne scène ne faiblit pas…
Kolda. Dans les années 1960-70, c’est la ville du Kankourang. Le Fambondi est là comme le Grand djoujou. La ville est un centre de promotion de la culture mandingue en Casamance. Pendant les autres sont en perte de vitesse, Kolda est une ville de grand Kintang et de Kankourang répartis entre Douma sou, Gada para, Diogène, Bantang gnel et Saré moussa. Rattrapés par le non remplacement des cadres de la maison des circoncis d’hier, les jeunes n’ont pas assuré la relève. Aujourd’hui, personne n’a plus peur de personne. Le centre habité par des gens venus d’ailleurs principalement du Baol, a été transformé. Même situation du coté de Sédhiou. Ziguinchor ressemble à une véritable terre d’étrangers pour le Kankourang. Il n’y a plus rien.
L’on va sortir le Kankourang pour se faire de l’argent. Terrible. La discipline est morte, vive l’anarchie. A chacun son Kankourang et à tout moment qu’il y ait ou non des circoncis. Dakar entre aussi dans la valse des carnavals sans acteurs vrais avec un Kankourang qui passe quand il veut avec deux ou trois personnes derrière. Qui arrêtera l’anarchie ? Et Mbour dans tout cela ? Ville cosmopolite par essence, Mbour est une cité de rencontres. Dans ces années, la ville ne désemplissait pas le week end comme la période des vacances avec les premières stations balnéaires aménagées au Sénégal autour du Domaine de Nianing, du Club Aldiana et à partir de 1977, Saly Portudal. C’est aussi la période de l’envol du Kankourang.
Avec le succès que l’on connaît et ses travers. Mais, en ces années-là également, l’on ne se rend pas compte que la crise qui gangrène le système est dans son cœur même. Les contradictions entre moins jeunes et vieux virent à des explications musclées. Et, comme dans la communauté, on n’a pas pensé à un médiateur, la guerre de positionnement commence et ne s’achèvera qu’avec la suspension du Kankourang en 1980 et 1981. C’est la période de la remise en question.
Pendant que la Casamance perd petit à petit le combat de la crédibilité du maître des Djoudjou, à Mbour, l’on ne se donne pas les moyens de faire la corde qui s’est enroulée autour du cou de la bête. Deux années seront perdues qui s’avéreront finalement utiles jusqu’au retour du rite d’initiation.
Bouya Touré , Un grand maître tire sa révérence
Deux ans après le discret Chérif Daffé, un homme de l’ombre est encore parti avec toute sa science de l’éducation. Il s’appelait Cheikh Talibouya Touré. Cela commence à devenir une habitude. Grand batteur des tambours de la Khadriya lors des chants religieux, la jeunesse des années 1960-1970 se rappelle encore de cet homme fort et robuste qui pouvait tracer à lui seul, l’aire jeu du stade municipal de Mbour lors des classiques entre Espoirs et Espérance, Dc-Odb. A l’époque du vrai Navétane. Il savait tout faire dans une période où les choses n’étaient aussi faciles. Tout enfant en 1970, à l’école de l’initiation, on le voyait revenir dans le Djoudjou, le soir nous contaient les exploits d’un joueur qu’il aimait tant dans l’équipe de son quartier, à l’époque, on l’appelait aussi le Brésil. Ce joueur s’appelait Doudou Seydi, jeune milieu de terrain de l’équipe. C’est une facette de la personne. Il en avait d’autres.
Dans un univers en mal d’inspirateurs, des personnes de sa trempe devenaient de plus en plus rares. De l’initiation, ce vieil ouvrier maçon qui a participé après 1973 à l’édification du Gabon moderne est revenu chez lui rapatrié d’urgence pour raison de maladie. Resté presque handicapé, il n’a été pas inactif toute sa vie contribuant l’animation du djoudjou, tout le temps, le jour, la nuit, au petit matin, au tam tam, aux chants initiatiques etc. Le frère cadet de Manfodé, n’a pas hésité à prendre la relève quand son grand frère qu’il adorait tant, a été lui-même handicapé par la maladie qui va précipiter son décès. Sincère et d’un grand humanisme, celui qui parle la langue mandingue comme personne, aimait à chacune de nos rencontres m’entonnait quelques mots secrets dont l’histoire de « Tamba nala woulol » ( Tamba et ses chiens) ; ceci, pour rappeler la fidélité qui était le ciment des relations de famille autour des bâtisseurs du Djoudjou.
Des valeurs sûres, Mbour en a eu. Mais on s’en souvient pour leur rendre un petit bout de ce qu’ils ont donné aux jeunes initiés. Issa Seydi parti trop tôt. Grand maître de la chanson. Bodjan, lui aussi parti trop tôt, autre grand maître de la parole. Chérif Daffé, dit Shirifo, parti malade lui aussi et presque seul. La liste est longue. Alors quand Bouya meurt soudainement le 16 janvier de cette année, l’on se dit que le ciel tombe sur la maison des circoncis d’où l’on n’apercevra plus sa frêle silhouette…
Après la photo, le téléphone, l’internet, l’urbanisation : Le tout virtuel menace les tabous
Comment dans ce contexte, parler de valeurs en ne tuant pas le mythe ? Si les photographes d’hier qui ont eu des images plus nettes ont été agressés et dépossédés de leur outil de travail, la jeunesse d’aujourd’hui qui erre avec le portable et l’appareil numérique n’en a cure. Des photos et des images vidéo de Kankourang pullulent sur Google et You Tube. Aujourd’hui, avec les balles de pistolets, les négligences internes, l’indiscipline, l’internet et le portable (le téléphone) tout est devenu virtuel. Les histoires vraies n’ont pas de sens sur le portable des enfants d’aujourd’hui. Tout se raconte facilement, parce que le message le plus anodin est partagé par tous.
La preuve cette photo de deux Kankourang que deux initiés qui sont pas du même bord. Sortis au campus de l’université de Dakar il y a quelques années, sous l’égide du Groupe « Kekendo » les Kankourang fantaisistes se sont lancés dans des démonstrations très fortes. Alors là où il est marqué Kankourang à Mbour, une personne qui tient à la discrétion des éléments constitutifs de cet être hors norme, précise bien, que ce n’est pas à Mbour, parce que selon elle, « Ce n’est pas à Mbour. Et, de deux ce n’est pas un vrai Kankourang. Si c’était un vrai, personne n’oserai le filmer. » Il est vrai que l’initiative est venue des jeunes casamançais présents au campus dans le cadre de manifestations culturelles.
Cela pourrait être une bonne chose quand on se situe du côté démonstratif de la chose. Mais le risque de la banalisation est aussi présent si l’on ne prend des garde-fous font remarquer les uns et les autres. Devant le reproche qui leur a été fait à ce groupe de jeunes de justifier leur acte en plein Dakar, leur réponse n’en est pas moins claire, « Na keba (Mon grand en mandingue), a dit l’un deux, on aime et sommes fiers de nos origines et ce n’est pas en plein cœur de Dakar qu’on pourrait faire venir un vrai de vrai Kankourang des profondeurs de notre chère verte Casamance ni un sisal... Au lieu de critiquer sans connaître l’intention qui a été derrière tout cela ....le Kekendo marqué sur le dos de nos tee shirt, si tu a bien pu voir, c’est juste une fierté d’afficher ses origines casamançaises. D’ailleurs, la majorité de ces amis et frangins sont issus de Sédhiou… »
Ce débat fort intéressant sur le web démontre de l’intérêt que suscite le Kankurang dans l’univers culturel mandingue. Il est aussi l’illustration que le monde change. Aujourd’hui, même les retours de cérémonie de lavage à Kolda, Sédhiou et tant d’autres villes en Casamance sont filmés. Qui l’aurait cru il y a quelques années. Phénomène de mode, la photo est devenue ordinaire. Restons pour autant dans le mythe. Car, au-delà de toute forme de légèreté, le Kankourang n’est pas une personne comme une autre. En Gambie, on dit que ce masque dissimule l’identité du porteur et que l’identité cachée établit qu’aucun homme ordinaire n’a pas le droit de juger d’autres.
Donc, le masque déguisant la forme humaine est supposé avoir l’autorité pour agir sur les esprits. La forme non-humaine est devenue la pratique culturelle traditionnelle la mieux conservée par la communauté mandingue.
HISTOIRES COURTES : Le Kankourang raconté aux enfants
L’on est bien loin de cette fin d’après midi de ce dimanche de 1976 au moment ce pauvre « solima » européen qui a suivi le Kankourang toute la journée avec ses belles prises risquées, a failli trouver la mort en voulant juste raconter à ceux qui ne le savaient cette belle histoire qui se passait dans une belle d’Afrique : Mbour. Il avait raison. Et les autres non ! Il était en avance. Les Kintang eux se refusaient à toute forme d’innovation et de modernisation des rapports entre le grand initié et ses suivants et la société dans laquelle, on le regardait, fasciné, mais où l’on ne savait pas à quoi il servait. Et pourtant, ce jour-là, devant l’incompréhension, il n’y a peu d’explication, mais de la violence et de l’acharnement sur un homme qui voulait savoir.
La même année 1976, l’urbanisation aidant, Mbour est une ville qui fascine par la proximité de la mer, la douceur, les nombreux programmes offerts les week end, au Club Aldiana, au Domaine de Nianing, au Centre touristique… Alors pendant que le Kankourang danse et fait ses démonstrations osées, devant le Djoudjou de Santossou, un homme s’avance et demande ce qui passe. « Mais, pourquoi, se demande-t-il, il y a des gens d’un côté qui sont bloqués loin et d’autres qui sont près accroupis pour voir cette chose bizarre danser. C’est trop beau pour qu’on ne laisse pas tout le monde s’approcher », ajoute l’imprudente personne ; sans doute un étranger à la ville qui venait d’arriver.
Au moment de lui dire de s’éloigner par prudence, le jeune homme qui ne peut se retenir devant la beauté de la scène qu’il vient de voir de près, avance vers cet être mystique qu’il n’a jamais vu et le voilà en plein dans le piège. La suite est difficile à raconter. Soupçonné de faire du cinéma, il sera battu avec ses habits déchirés, ses chaussures derrière lui ; avant que d’autres personnes, des initiés ne l’aident à retrouver ses esprits. Des scènes courantes. Une autre histoire rocambolesque dans ce conte des mille et un jours, un après de 1977.
Le soir avance, les jambes commencent à être lourdes et le soir de retour de Santossou toujours, vers le Djoudjou de Sadio kunda, une maison d’à coté de la maison des circoncis est pleine de visiteurs venant de Dakar et des quartiers de la ville un peu éloigné des lieux de passage des selbé (initiés) et leur maître.
Et voici qu’au milieu de la rue le Kankourang par un de ses gestes rapides dont il a seul le secret, pénètre comme par magie dans une maison remplie de femmes. L’une d’entre elles devant la vitesse de l’homme de la forêt, ne peut aller dans les chambres. Elle n’a pas eu le temps. Au moment d’avancer dans le fond de la cour pour se cacher, elle sent quelque chose derrière et tombe. Cet être aux formes d’être humains vêtu d’une écorce qu’elle n’ose même pas regarder, tomber comme hypnotisée, elle l’a sentie et la racontera après. Devant la force de la surprise et comme souvent maître de ses nerfs et au feeling, le Kankourang remue se grosse tête, et la laisse à sa peur et au bord de l’évanouissement.
Le lendemain, la voilà qui raconte à une de ses amies, « C’est fini, je ne savais pas ce que c’était réellement un Kankourang tant que vous ne l’avez pas derrière vous, sans oser le regarder, sentant le parfum fort de son accoutrement, le souffle…C’est un monstre…Jamais, finit-elle, je n’irai plus regarder çà hors de chez moi… » Autre histoire racontée par les victimes, la Casamance et la région de Kolda.
La victime s’appelle Iba Niang. Fils de Seyni Niang, natif de Mbour et ancien proviseur du lycée Van vo, vieil ami de Cheikh Anta Diop, et de mère antillaise Iba se rend en Casamance pendant ses vacances de 2011. Dans la brousse entre Kolda, Dabo, et Mampatim, le jeune homme accompagné d’un habitant des lieux, se promène et prend des photos de toutes les belles choses qu’il voit. Alors dans son récit, il dit son plaisir de se voir autorisé par son guide de prendre toutes les photos qu’il veut ; alors raconte-t-il « je me mets à tirer à chaque fois que je voyais quelque chose qui ressemblait à un Kankourang. Un moment, je suis même pris de peur en disant à mon guide, si je dois continuer. »
Le jeune homme est de Mbour donc connaît un peu la sévérité des suivants du Kankourang pour quiconque voudrait prendre des photos sur leur maître. « Alors, poursuit Iba Niang, à un moment, nous sommes sortis de la ville et nous sommes entrés en pleine forêt. J’entendais des cris au loin mais aussi tout près. A un moment, nous avons pris peur et nous avons garé la voiture sur là bas de coté de la route. Pendant que j’entendais les plus petits cris d’oiseau, un Kankourang, seul, tout rouge, sort dans la forêt pour traverser la route à quelques mètres de nous. Quand je l’ai vu, j’étais terrifié pensant qu’il allait se retourner et venir vers moi. Mon guide qui m’a autorisé les photos jusque-là avait plus peur que moi… C’est la frayeur de ma vie. Ce jour-là, je n’ai pas vu un Kankourang, mais autre chose. Quand on est rentré à la maison à Kolda, je suis tombé malade plusieurs jours sans oser raconter à la femme de mon hôte ce que nous avons vu… »
Depuis ce jour, lui aussi a changé de regard sur cet être mystique. Ce tous ces non initiés qui se moquaient du symbole de la cosmogonie mandingue ne savait pas, c’est quand, pendant les années de braise, pour faire face à la confrontation contre des gens mal intentionnés, le Kankourang pouvait imiter le cri du chat, du chien ou même lion. Seul, il pouvait pendant la nuit, donner l’impression par le nombre de pas qu’il vous fait entendre en courant, qu’il était accompagné de vingt voire cent personnes. La ruse, c’est le jeu favori des maîtres… Et, ne peuvent suivre que les initiés qui parlent le même langage que lui. Qui ose se mettre derrière un être qui peut tout de suite couvrir une dizaine de kilomètres à la vitesse d’une voiture s’il ne disparaît pas simplement dans la nature de nuit comme de jour.
Derrière toutes ces histoires racontées qui ne résument à eux seuls, toute la beauté de cette tradition, se cachent ainsi des moments de joie, ( au début de l’initiation avec la matinée de jambadong) et des larmes quand les « lambee »( initiés) entonnent le soir de la clôture des festivités avec un « Fo diary » ( à l’année prochaine en mandingue) derrière un Kankourang lui-même plus triste que ses suivants. L’on se souvient à ce moment précis des moments forts partagés avec Ké woulo en transes en pleine rue, donnant des coups à tout le monde. L’on garde le souvenir d’un ces jours qu’on n’oublie quand le groupe des dos durs : Mady Koté, (initié et ancien joueur de l’As Police, et homonyme du maître du Kankourang, son grand père paternel), Oumar Touré, ancien joueur de la Police et du Jaraaf, dur à cuir et grand initié lui-même, Lamine Daffé Hitler, le très courageux Sounkary Faty « Soung », qui n’hésitaient pas trouver l’homme au « fara », pour se faire placer deux trois coups sur le dos. Leur bonheur…
Que dire d’autres grands comme Malang Kady aujourd’hui non voyant qui seul osait se mettre sous la calebasse de « mono » (bouillie) placé entre deux Kankourang, pour le petit déjeuner des guerriers, le matin devant le Djoudjou. Un autre garçon que cette narration ne doit pas oublier, Nfaly Massaly. Garçon de cœur, le guerrier est mort jeune. Mais quelle bonté dans le cœur. Initié parmi les initiés donnait tout ce qu’il possédait Nfaly. Mort, très tôt, Nfaly, vouait un respect charnel au Kankourang, dont il n’a jamais décliné les offres de coups. Entre le délire fou et le courage, Nfaly avait fait le choix osant se mettre sur le chemin de n’importe quel « Ké woulo » à n’importe quelle heure.
Un jour, dans le grand djoudou, l’on entend des coups pleuvoir dans la case des circoncis tout de suite après l’entrée du Kankourang. Nfaly, qui sort de ce grand chambardement, pour dire à un de ses interlocuteurs, « Tu as entendu, les coups tout à l’heure ; l’autre garçon qui répond « Oui, mais je pensais que c’était le mur qu’on tapait ». Et Nfaly de le rassurer, un brin de sourire dans l’œil, « non, c’était sur mon dos, mais il ne peut rien contre moi… » C’était Nfaly. Un garçon à qui on doit énormément de respect pour son courage et sa grande bonté.
Quand survient Septembre, il fait beau à Mbour. Comme par enchantement, les forces de la nature s’accordent et plantent un décor d’une merveilleuse harmonie. Le ciel de la cité ensoleillée resplendit. Entre deux salves de pluie, les nuages éclaircis sont traversés par des arcs qui reflètent, en spectre, les plus belles couleurs de l’univers.
L’air chaud et humide se dissipe dans la brise suave qui s’échappe de l’océan azuré, berceau des sublimes plages de la Petite Côte. La fraicheur s’infiltre dans les larges rues de la ville. Le vent diffuse les palabres interminables d’oisifs amateurs de thé refugiés à l’ombre des arbres plantés, à dessein, aux devantures des vastes maisons.
Au loin, des clameurs s’échappent des poumons de férus de foot qui squattent les tribunes du stade Tata Caro. Ces bruits de saison du championnat populaire “Nawetaane”, comme une respiration saccadée, succombent finalement aux douces sonorités qui bruissent dans les “Kounda “, ces concessions d’une autre époque, ultimes remparts d’une présence mandingue séculaire dans un cadre d’une urbanité suspecte. En sourdine, le jambadong s’annonce, se répand dans les quartiers Thiocé et Santessou, puis s’empare de la ville toute entière. L’air du temps sent les effluves du Kankourang.
Mbour frémit comme une feuille soufflée par le vent, puis s’agite dans ce rythme endiablé de cette musique qui évoque la fameuse “danse des feuilles”. La ville capitule, ses habitants se livrent sous le charme du masque majeur. Le mythe ne laisse nul indifférent, il est irrésistible et ravit la vedette à tous. Le “jeumbo-jeumbo”, l’expression consacrée du jambadong, précède la sortie du “kewoulo”, autre dénomination du Kankourang.
Cette danse frénétique et ces chants envoûtants au rythme du “kutiroo “ et du “junkuradoo “ effacent les douleurs des circoncis qui viennent de passer l’épreuve sanguinolente du couteau rituel. Tant il est vrai que les paillasses des hôpitaux ont supplanté les vieux mortiers dans les fonds desquels venaient se nicher, comme des copeaux, les bouts de derme des “bilakoro “.
Quand le Kankourang s’installe sur son trône, les “lël ou jujuwoo” qui font office de “bois sacrés” sont ressuscités. Socé, le Manding retrouve sa fierté mise en berne depuis des lunes. “Kintang”, l’initié retrouve sa science utilitaire. “Niansun”, le fébrile circoncis exhibe son courage en bandoulière.
Le vieillard retrouve son autorité et sa sagesse. Mbour, la cité cosmopolite, bombe le torse et revendique cette valeur universelle inscrite, depuis 2006 par l’Unesco, sur la liste des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité.
Alors que les intrus squattent le cercle naguère fermé des initiés, la foule, en extase mais profane, empeste les étapes de la procession sacrée des initiés qui constituent la garde rapprochée du Kankourang. La perfidie du folklore s’incruste dans la pureté authentique d’un rituel qui a traversé les siècles.
L’intemporel Kankourang, dans son manteau ocre de fibre et armé de sa fine machette, résiste aux épreuves de la modernité mais garde toute sa magie qui évoque le paradis mythique.
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"SI MACKY SALL NE PREND GARDE, IL NE FERA PAS DE DEUXIÈME MANDAT"
Textes engagés, musique révolutionnaire, franc-parler sans frontières. Ousmane Diallo dit Ouza est une sorte de révolté professionnel contre un certain système, mais aussi contre les entourages nuisibles. Après avoir combattu Me Wade qu’il définit comme un visionnaire, il sonne l’alerte contre son "ami" Macky Sall, chef de l’Etat, coupable entre autres d’avoir assimilé la culture au mouvement Fekké ma ci boolé de Youssou Ndour. Dans cet entretien, Ouza explique également ses liens avec Yaya Jammeh, chef de l’État gambien.
Cela fait un moment que vous êtes absent de la scène, vous êtes dans quoi ?
J’observais ce qui se passe dans le pays. Actuellement je ne réfléchis que sur cela. Il n’y a que la marche du pays qui m’importe en ce moment.
Auriez-vous pris votre retraite musicale ?
Non, pas du tout ! Je n’ai pas encore pris ma retraite. Je me suis retiré pour encadrer Adji (ndlr : sa fille Adiouza). Elle est jeune et il me fallait l’épauler. Elle a de belles et bonnes idées, mais ne veut pas de textes révolutionnaires comme moi. Ce qui fait que je ne peux pas encore me retirer définitivement.
Vous pensez revenir sur la scène quand ?
Là je suis en train de préparer une lettre ouverte à mon ami Macky Sall. Je travaille sur cela depuis un mois.
Pour lui dire quoi ?
C’est avec tristesse que j’écris cette lettre à l’endroit de Macky Sall, parce que je le connais très bien. Je le connais depuis qu’il est ministre de l’Intérieur. Cette lettre sera une chanson et elle sortira très bientôt.
Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre le micro pour parler à Macky Sall ?
On a touché mon domaine, la culture. Je ne peux pas ne pas réagir. On fait du n’importe quoi avec la culture. J’ai décidé d’écrire cette lettre malgré le fait que la grande dame, la plus grande Première dame du Sénégal, Marième Sall, soit mon amie. Ce que je veux faire là me pèse, mais il faut que le fasse. Je ne peux rester les bras croisés !
Qu’est-ce qui vous frustre dans la politique culturelle menée ?
Actuellement, mon ami intime le Président Macky Sall pense que toute la culture se résume à Fekké ma ci boolé (ndlr : le mouvement créé par Youssou Ndour) ! Depuis l’aube des indépendances, à mon avis, la politique culturelle menée par le Président Sall est la plus nulle de toutes. Mon ami le Président ne prend en compte que Fekké ma ci boolé. Tant que ce mouvement est à l’aise, la culture l’est aussi ! Qu’on me reçoive ou pas ne me dérange pas, mais qu’on prenne tout le monde en compte. Je n’accepterais jamais que la culture soit gérée par un lobby qui en fait ce qu’il veut. C’est pour cela que j’ai déterré mon micro de combat.
Vous pensez donc que la politique culturelle se résume à Youssou Ndour ?
C’est ça le problème et on ne doit pas avoir honte de le dire. Quand on est parti pour l’élection du bureau de la nouvelle société de gestion collective, j’ai dit que je n’y participais pas. Les artistes de Thiès ont eu le courroux contre lui. Après, j’ai lu un article de Pape Alé Niang (ndlr : journaliste à la 2S TV et au magazine ‘Vision Mag‘) qui parlait d’un lobby au sein de ce secteur. Ensuite, j’ai vu une subvention de 50 millions de francs Cfa. Aujourd’hui, Fekké ma ci boolé gère la Place du Souvenir africain et le Monument de la Renaissance africaine. Notez bien ceci : je n’ai pas de problèmes personnels avec ceux qui gèrent ces espaces-là. Ce sont mes amis. Je n’ai pas non plus de problèmes avec Youssou Ndour. Je tiens à le préciser. Je ne combats pas des hommes mais des idées et des principes. Youssou Ndour a fait du bon boulot pour l’élection du Président Macky Sall, je le lui reconnais. Mais ce n’est pas pour autant que la politique culturelle devrait se résumer à lui. J’ai entendu dire que le Président Macky est l’otage d’un lobby. Vu comment la culture est gérée, moi je suis en phase avec ceux qui l’ont dit. Il faut qu’il rectifie son tir. Je suis en train de voir avec d’autres artistes qui se retrouvent dans mon idée comment terminer la chanson. Il faut qu’on combatte cela, et si ça ne change pas, on combat le régime apériste.
Si votre ami comme vous l’appelez, à la lecture de cette interview, vous reçoit au Palais pour arrondir les angles, pensez-vous malgré tout sortir ce titre ?
Je ne veux pas que ce qui m’est arrivé avec Abdoulaye Wade se répète avec Macky Sall. C’est aux dernières heures du régime wadiste que j’ai commencé à sortir des chansons. Je voulais le voir pour qu’on discute. Pape Samba Mboup, Iba Der Thiam et même Macky Sall peuvent en témoigner. Je fais partie de ceux qui ont élu Macky Sall. C’est un ami. Maintenant, quand on ne peut pas lui parler directement, on ne peut que prendre son micro.
Au-delà de la politique culturelle, comment appréciez-vous de manière générale la gestion du pays ?
Macky a réussi certaines choses, il faut lui reconnaître cela. La baisse du loyer est une bonne chose, il est en train de construire un pont à Foundiougne, c’est bien. Je l’ai entendu remercier Abdoulaye Wade lors de l’inauguration de l’autoroute à péage. C’est très important. Il privilégie la science. C’est très important, parce que c’est la littérature qui retarde le Sénégal et l’Afrique. Donc, on peut dire qu’il a des idées. A mon avis, il fait des efforts.
Vous n’êtes donc pas de ceux qui pensent que le pays ne marche pas ?
Tout n’est pas rose, il faut le dire. L’exemple du problème des étudiants le démontre. On ne peut pas ne pas payer les bourses. Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait un mort sous le magistrature de Macky Sall. Il y a des problèmes à soulever. Peut-être qu’avant la fin de son mandat, il rectifiera le tir. Les gens m’interpellent dans la rue pour me dire qu’ils n’ont plus rien. Un père de famille ne peut pas demander à ses enfants de se serrer la ceinture au moment où lui-même ne le fait pas.
Que pensez-vous de la réduction annoncée du mandat présidentiel ?
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il devrait s’en tenir au septennat. Il l’a dit au début peut-être parce qu’il était euphorique. Maintenant se pose un problème éthique : il avait donné sa parole, il doit la respecter. Moi, je ne suis pas contre qu’il fasse sept ans, mais quand même, il doit respecter la parole donnée. Tous ces problèmes auxquels il fait face sont dus à son entourage. Il est mal entouré. Macky Sall, tel que je le connais, si cela ne dépendait que de lui, le débat sur la durée de son mandat ne se serait pas posé.
Que reprochez-vous à l’entourage du Président ?
Il ne lui prodigue pas de bons conseils. Le Président est entouré de gens rancuniers.
Vous faites allusion à qui ?
Je ne peux pas le dire, ce ne serait pas gentil. Je les connais tous et je sais qu’il y en a qui ont des idées obsolètes. Ils sont là depuis l’aube des indépendances. Vous savez, la force d’Abdoulaye Wade c’est qu’il est un visionnaire. Je fais partie de ceux qui l’ont combattu, mais il faut reconnaître que sa force est qu’il n’a pas fait l’Ecole nationale d’administration (ENA). Ce qui lui a permis d’être ouvert. Il est venu avec des idées. Alors que ceux qui entourent Macky Sall pensent que seule la vision occidentale peut développer le pays. Ils sont zélés aussi.
Vous pensez à ses alliés de Benno Bokk Yaakaar ?
Je pense à tout le monde ! Car ceux qui l’entourent sont des cartésiens, des hellénistes. Ils pensent que ce qui était valable chez les Grecs l’est chez nous. Si j’ai un conseil à donner à Macky Sall, c’est qu’il devrait être prêt de Wade. Me Wade, on lui connait sa boulimie financière, foncière et autres défauts, mais il a su tout de même faire dans ce pays en douze ans ce qu’aucun Président n’a su réaliser ! Or, aujourd’hui et dans cet entourage de Macky Sall, on est en train de répéter les mêmes erreurs que celles commises par l’entourage de Wade. Il y en a qui n’avaient même de vélo avant mais qui roulent maintenant dans des voitures de luxe. Si Macky Sall ne prend garde, il ne fera pas de deuxième mandat.
L’actualité, c’est également le procès Karim Wade. Pensez-vous que la manière dont il est mené est équitable ?
C’est un problème de justice. Tout ce que je sais, c’est qu’il est martyrisé. Je suis contre Karim Wade parce que je le connais bien. Il est arrogant et il faisait n’importe quoi dans ce pays. C’est pour cela que j’ai combattu son père. Mais là, je suis d’avis qu’il est en train d’être martyrisé. Dans les journaux, on parlait de 4000 milliards qu’il aurait pris. Ensuite, on a dit 100 milliards puis 90, ce n’est pas fondé. On permet à quelqu’un qui ne devrait pas avoir du succès d’en avoir. Aussi, je suis en phase avec Amath Dansokho quand il récuse la CREI. Les biens de Karim sont supposés mal acquis. On l’a arrêté avant d’avoir des preuves. Et si la CREI devait juger tous les gouvernants du Sénégal, de 1960 à ce jour, ce serait difficile pour beaucoup. Pour moi, le mieux aujourd’hui serait une réconciliation nationale. On est dans une situation délétère avec toutes ces disputes. Quand ce n’est pas Karim, c’est Baldé ou un autre. Cela ne mène à rien tant qu’on n’a pas des preuves. Je ne suis certes pas juriste, mais j’aspire à ce qu’on ait un pays stable et paisible.
Parlez-nous maintenant de vos relations avec le Président Jammeh.
C’est une longue histoire. J’ai vécu en Gambie quand on m’a fait sortir de mon pays. En 1972, je jouais en Gambie dans un groupe qui s’appelait "Afro Dunya". Yaya Jammeh faisait partie des enfants qui nous regardaient prester. La Gambie m’a accueilli et m’a soutenu de 1972 à 1976. Yaya Jammeh est après devenu Président. Dans mon Cd "20 ans", j’ai chanté une Gambienne qui s’appelle Collé Sène. Elle m’a appelé un jour pour me dire : "mon frère, tu as la même idéologie que Jammeh, il faut que tu le voies". Il y a eu alors après un grand spectacle auquel il devait prendre part et Collé Sène m’y a invité. Quand il a su que j’étais là, il a demandé à me voir. Il m’a dit : si j’ai fait la révolution c’est à cause de toi, d’AIpha Blondy et du Bembeya Jazz. Il a demandé à tout le monde de se lever pour me rendre hommage. J’ai vécu en Gambie dans les années 1970, je connais ce pays et j’ai vu qu’il y a apporté beaucoup de changements. En plus on partage la même idéologie. Il croit aux Africains et au développement de l’Afrique par les Africains. On est devenu amis et proches. Je crois en sa politique de développement.
On le peint comme un dictateur.
C’est ce que beaucoup disent. Ils ignorent seulement que les Anglais sont différents des Français. Un pays, on se doit de le discipliner. Le capitaine Jerry Rawlings est arrivé à faire avec le Ghana qui est aujourd’hui le pays le plus discipliné d’Afrique de l’Ouest. Rawlings a quitté le pouvoir quand il le fallait. Jammeh fera autant. Quand j’entends les gens le critiquer, je ris sous cape. Moi qui ai vécu et vu les magistratures de Rawlings, Lumumba et autres, je sais.
Accepteriez-vous qu’un Sénégalais fasse ce que Jammeh fait en Gambie ?
Au Sénégal, on n’a qu’une démocratie alimentaire et à géométrie variable. Ici, on ne fait pas la différence entre démocratie et anarchie. L’indiscipline qu’on voit au Sénégal n’existe ni en Gambie ni au Ghana.
Les activistes gambiens vous en veulent beaucoup pour ce soutien.
Je sais. Ils m’appellent et discutent avec moi. Je les connais très bien. Un jour, ils m’ont appelé des USA. Je leur ai dit que dans leur groupe, il y en a qui jette aujourd’hui des pierres à Jammeh juste parce qu’il s’est disputé avec lui. C’est Fatou Sow. C’est elle qui dirigeait il n’y a pas longtemps. Je leur ai demandé de m’appeler pour qu’on discute. Certains m’ont taxé d’hypocrites mais je leur ai répondu. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas d’accord avec Jammeh que tout le monde devrait faire pareil !
"LE CAS DE KARIM DEVRAIT AMENER TOUS LES DIRIGEANTS À SORTIR DE CE PIÈGE-LÀ"
TIKEN JAH FAKOLY SUR LES RAPPORTS ENTRE LE POUVOIR ET LES FILS DE PRÉSIDENT
Tiken Jah Fakoly, reggaeman ivoirien, interrogé par la Rfm, s’est prononcé sur les délicats rapports entre les fils de Président et le pouvoir. Son message aux Présidents africains est simple : «C’est le même message que je fais passer à tous les dirigeants africains : «Laissez les enfants à la maison.»
Quand vous êtes élu, ne mettez pas la famille dans la politique parce qu’après cela peut vous rattraper. Moi j’ai été interdit de séjour au Sénégal à cause de ce message-là que j’ai fait passer. Je pense que si on m’avait écouté, on avait écouté d’autres personnes aujourd’hui, peut-être qu’on n’en serait pas là aujourd’hui.»
Il ajoute que si (lui) le «petit fou rasta avait été écouté», Karim Wade ne serait peut-être pas dans cette situation (en prison pour enrichissement illicite présumé). Tiken Jah Fakoly ajoute : «Cela ne fait pas du bien quand on a 90 ans et qu’on a son petit garçon en prison. Ça perturbe le sommeil.» Allusion à Abdoulaye Wade.
Selon lui, on doit laisser l’affaire Karim Wade suivre son cours devant la justice. «J’espère que s’il y a un délit que cela sera réparé», estime-t-il.
Le chanteur n’a pas épargné le Mali, son pays hôte, qui vit la même situation avec le fils de Ibrahima Boubacar Keïta alias Ibk, Karim. Pour lui, c’est «une erreur qui va être payée demain».
Tiken Jah Fakoly conclut : «C’est une situation qui est dénoncée par les Maliens. Je pense que ça va être la même histoire que celle de Karim (Wade), j’en suis sûr. Son cas devrait amener tous les dirigeants à prendre leurs responsabilités et à sortir de ce piège-là.»
«C’EST TRISTE DE LE DIRE, MAIS, DES FOIS, LES TOURNEES INTERNATIONALES N’EXISTENT QUE DE NOM»
Après avoir enflammé Dakar avec leur album «Esprit Live», qui a été un énorme succès national, les «Seigneurs» de la musique folk, Pape & Cheikh s’ouvrent à l’international. En tournée européenne de plus d’un mois, le groupe, de retour à Dakar, est revenu sur les motivations de ce voyage. Le duo a aussi jeté un regard sur l’actualité du moment, marqué avec la maladie Ebola et le procès de Karim Wade.
Selon Pape, leur prévision était de faire des pays d’Europe, la France (Paris notamment), la Belgique et l'Italie. Mais à la dernière minute, ils n’ont pas pu faire l'Italie et la Belgique. «Parce que les conditions minimales n’étaient pas réunies et nous ne voulions pas aller en aventure, sans aucune garantie, nous avons préféré renoncer», dit-il. «Et pourtant, la communauté sénégalaise attendait avec impatience le groupe. Mais ce n’est que partie remise, c’est bien beau de faire plaisir à sa communauté qui se trouve à l’étranger, mais sur des bases claires», a-t-il expliqué, avant de préciser que c’était un engagement d’un promoteur sénégalais qui voulait faire plaisir à la diaspora.
«Mais à notre arrivée, c’était autre chose, rien de sérieux pour dire vrai. Le plus difficile, c’était de venir en France, donc, s’ils n’ont pas le minimum pour nous faire déplacer dans une autre ville pour une heure de vol, c’est autre chose. Ce n’est pas la première fois que l'on part en tournée, on sait comment cela fonctionne», explique-til en confiant que certaines tournées des artistes n’existent que de nom. «C’est triste de le dire, mais, dès fois, les tournées internationales n’existent que de nom. Parce que nous avons fait le tour du monde avec notre maison de disque, donc on sait ce qu’est une tournée, un engagement», assène Pape.
Mais, malgré cela, ils ont eu une satisfaction, puisque depuis la sortie de l’album, le groupe a fait la Suède, Malabo en Guinée Equatoriale, le Canada. «Mais on n’avait pas encore eu la chance de faire la France. Ce que nous cherchons, c’est de trouver d’autres ouvertures et Dieu merci, on ne regrette rien. C’est vrai, si nous avions fait l’Italie et la Belgique, on aurait multiplié nos chances. Avoir une seule chose sur la main vaut mieux que d’avoir plusieurs choses à la fois qui ne rapportent rien. Nous n’avons pas un sentiment de manque, le plus difficile dans une tournée, c’est de voyager avec tout le groupe et c’est ce que nous avons réussi. Et tout le monde est revenu saint et sauf», indique l’artiste.
Concernant les retombées de «Esprit Live», le bilan est satisfaisant. «La satisfaction totale est que l’album a été conçu avec les membres du groupe Pape & Cheikh, il n’y a pas eu de requin. A part qu’on a invité Abdoulaye Mbaye et Baboulaye Cissokho. Autre chose, pendant les deux ans, nous avons été consacrés meilleur album, meilleure vente, meilleur groupe…», souligne-t-il non sans reconnaître que le succès est pour eux «un sacerdoce ».
Parlant de l’actualité politique, l’auteur de «Lonkotina» lance un appel aux politiques de taire leurs querelles et de se réunir sur l'essentiel pour combattre le virus «Ebola ne qui connaît ni Ps, ni Pds, ni la race noire ou la race blanche. La manière dont on a médiatisé l’affaire Karim, on doit aussi faire la même chose pour couper la route à cette maladie qu’est Ebola».
SAINT-LOUIS, LA DÉCADENCE
PERTE DES VALEURS, PATRIMOINE VÉTUSTE, CONJONCTURE...
Saint-Louis n’est plus ce qu’elle était. L’ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française et du Sénégal a perdu une partie de ce qui faisait son attrait légendaire et son charme naturel. Le légendaire “takusaanu Ndar” et le traditionnel “Ceebu Jën Penda Mbay” ont perdu leurs valeurs, du fait de cette nouvelle génération laissée à elle-même et qui ne sait plus où mettre les pieds.
Petit à petit, la ville du bon goût et de l’élégance agonise. Saint-Louis est à l’épreuve de la conjoncture mondiale, comme la plupart des grandes villes. Trois personnes sur quatre sont frappées par la pauvreté. Quotidiennement, le citoyen lambda est à la recherche de la pitance pour survivre et faire survivre les autres.
La vie à Saint-Louis n’est plus comme du temps des colons où des années qui ont suivi l’indépendance. Tout est perdu dans cette ville réputée pour son plat local (fameux Ceebu jën) et le port vestimentaire de ses fils. Le Saint-Louisien se différenciait des autres à travers son comportement et sa façon de s’habiller.
L’élégance était le socle de cette société métissée, comme l’attestent ces septuagénaires trouvés à la place Faidherbe. “Ah ! le bon vieux temps !” s’exclame Moustapha Ndiaye, ancien instituteur. Le regard pointé vers l’horizon, il se remémore :
“Quand nous étions jeunes, nous rivalisions d’élégance dans le port vestimentaire. Hélas ! De nos jours, nos fils s’habillent différemment. A l’époque, aucun jeune n’osait mettre des habits qui gênent la conscience générale, sous risque d’être corrigé par son père et le voisin. On vivait en communauté”.
Comme les autres sages de son âge assis à ses côtés, il pointe la fuite de responsabilités des parents. “SaintLouis a tout perdu de son histoire, avec l’agression grandissante de la culture occidentale”, lance un autre vieux. Son ami Amadou Bâ de demander aux jeunes de la ville ancienne de s’ouvrir aux autres, tout en gardant les valeurs intrinsèques de leur histoire. Au moment où nous quittions ces vieux assis sous l’arbre à palabre,
près du lycée Cheikh Omar Foutiyou Tall ex-Faidherbe qui a formé des sommités de ce pays, des garçons vêtus de pantalon taille basse, les têtes coiffées à la “dabala”, passaient pour rallier certainement la plage de l’hydrobase, en cette période de forte canicule. Cette apparition suscitera encore de vifs commentaires sous l’arbre.
Takusaanu Ndar
Sur l’île, il y a les quartiers Lodo et Sindoné et une bande de terre dénommée La langue de Barbarie qui est le centre des affaires. Ici les hommes et les femmes se croisent et rivalisent de charme. Dans le temps, les hommes se distinguaient avec leur costard, pipe à la bouche et la canne à la main. Un peu comme ces dandys marseillais en dilettante sur la Cannebière aux bords du Vieux-Port.
Les femmes de l’ancienne capitale de l’Aof avaient l'art de porter la jupe longue bouffante, chemisier de rigueur, le tout assorti d’un long chapeau serti d'une plume posée délicatement sur la tête. Et une fois bien habillée, elles se dandinaient à pas de caméléon dans les rues, sur les allées du pont Faidherbe, appréciant le coucher du soleil. C’était le takusaanu Ndar.
Amadou Faye, originaire de Kaolack, 69 ans, a vécu “cette originalité bien saint-louisienne qui amenait les hommes à tomber dans les bras d’une doomu Ndar”. “Lorsque j’ai été affecté dans cette ville, j’ai été attiré par ce takusaan et c’est de là que je suis tombé amoureux d’une nymphe qui m’a donné huit bouts de bois de Dieu”, révèle-t-il.
Pour lui, la femme de Saint-Louis de l’époque avait un charme de grande royale. Aujourd’hui, tout cela aurait disparu. Au contact des civilisations, les femmes de Ndar ont perdu leur “mokk pooc” (savoir-faire) et mènent la vie à l’occidentale.
La nouvelle génération a troqué ce savoir-être traditionnel avec les pantalons jeans, “jumbax out”, “dangal” et “pàcàl”. Une dame rencontrée à quelques jets de la place Faidherbe de souligner qu’à l’époque, il y avait des maisons d’éducation, comme celles de feu Soukeyna Konaré, où on inculquait aux jeunes filles les valeurs qui faisaient d’elles “de bonnes femmes saint-louisiennes”.
La conjoncture dévalue le “Penda Mbaye”
La ville de Saint-Louis est irrémédiablement associée à son fameux “Penda Mbaye”. Et quand les nostalgiques en parlent, la salive leur vient à la bouche. Jadis les femmes se rendaient très tôt le matin au marché de Teen jigeen pour acheter les légumes de Gandiol ou de Khor fraîchement cueillis des champs ou des jardins.
Les “coof” ou poissons nobles faisaient le bonheur de ces dames. Le poisson séché de Sine, “gejji Sine”, était là pour assurer une saveur légendaire aux plats. “Il n’existait pas de bouillons”, se rappelle Fatou Diop. “Et chose importante, aucune femme n’osait quitter la cuisine au moment de la préparation du repas. Elle veillait au grain et à petit feu sur ce repas qui allait être offert aux membres de la famille et aux invités”, explique-t-elle.
Le partage des mets, cet acte de noblesse perdu
A Saint Louis, le partage des mets était un acte de noblesse. Mais hélas ! tout cela s’est effrité. Au fil du temps et du fait de la conjoncture, le fameux “ceebu jën Penda Mbay” servi “à midi zéro minute a perdu sa saveur”. Rien que pour préparer ce plat local, les dames y passaient un temps fou. Mais, de nos jours, trouver du poisson noble et tous les ingrédients qui vont avec est devenu un véritable parcours du combattant.
Les jeunes générations ne préparent pas le “ceebu jën” comme leurs aînées. Non seulement elles sont pressées de terminer la cuisine pour vaquer à d'autres occupations, mais elles ne disposent pas de tous les ingrédients, pour préparer un bon “ceeb”.
A cela s’ajoute la rareté du poisson. Les pêcheurs de Guet Ndar ne ramènent plus du poisson noble, à cause d’une mer sans poisson. “Les eaux sénégalaises ne sont plus poissonneuses, du fait du non-respect de la période de repos biologique”, explique Moulaye Diop.
De plus, les rares poissons de choix pêchés sont vendus aux hôteliers au prix fort, hors de portée des bourses des jeeg (grandes dames). Leurs goorgoorlu (époux débrouillards) n’arrivent plus à joindre les deux bouts à cause de la conjoncture.
Le patrimoine bâti et culturel : le cri du cœur de Golbert Diagne
“Beaucoup de maisons sur l’île de Ndar croulent sous le poids de l’âge”, se désole Alioune Badara Diagne Golbert. Celui qu’on surnomme “le totem de Ndar” demande aux propriétaires de rentrer au bercail refaire leurs maisons familiales.
D’autant que, dit-il, “ils veulent tous, à la fin de leur jour, être enterrés, soit au cimetière Thiaka Ndiaye ou Marmiyal”. Il lance ce cri du cœur : “Cette ville est bénie par Dieu. C’est un paradis terrestre. Venez vite avant que ça ne soit tard”.
Avec leur architecture coloniale, la plupart de ces demeures sont aujourd’hui délaissées. Leurs propriétaires n’ont pas les moyens de les réhabiliter et vivent dans la hantise d’un effondrement des bâtisses. D’autres se sont établis hors de la ville, préférant vendre leurs maisons. Tous sont allés s’installer à Ngallèle, cité Niax et Pikine. L’île est désertée, faute de moyens pour refaire les maisons.
Les menaces de l’Unesco
Mais, le plus désolant est que ces maisons sont acquises, pour la plupart, par de nouveaux riches peu soucieux de préserver le style architectural d'origine. Or, il est fait obligation de maintenir la construction initiale, sur l’île. Les autorités municipales qui devaient veiller au respect de la directive ne font pas montre de poigne à ce propos. Ce laisser-aller a fini par exaspérer l’Unesco qui a menacé de déclasser l'île de Saint-Louis.
La ville a été érigée Patrimoine mondiale de l'Humanité en 2000, après un premier classement en 1976 comme secteur sauvegardé par le Président Léopold Sédar Senghor. A côté du bâti, le culturel souffre. Le théâtre et la littérature se meurent. Le Fanal n’attire plus faute de moyens. Le seul legs historique culturel perd annuellement ses repères.
"MA NOMINATION EST POLITIQUE ? DITES-LE À CEUX QUI M’ONT NOMMÉE"
ADJA SY, ADMINISTRATRICE DE LA "PLACE DU SOUVENIR"
Malgré tout le bruit qui a accompagné sa nomination, Khadidja Sy dite Adja a bien été installée dans ses fonctions hier matin. Elle a remplacé Amadou Faye à la tête de la Place du souvenir africain (PSA). Après la cérémonie de passation à laquelle ont pris part des membres de Fekke ma ci boole et des artistes, elle s’est entretenue avec EnQuête, revenant sur la sortie de l’association des animateurs et conseillers aux affaires culturelles (ADAC).
Vous venez d’être installée à votre nouveau poste d’administratrice de la Place du souvenir africain, quels sentiments vous anime actuellement ?
C’est un sentiment de fierté que je ressens. Mes premiers mots seront des mots de remerciement à l’endroit du président de la République M. Macky Sall, du Premier ministre M. Mahammed Dionne et du ministre de la Culture et de la Communication M. Mbagnick Ndiaye. Je leur dis merci pour avoir bien voulu placer leur confiance en moi pour diriger la Place du souvenir africain. Comme je l’ai dit tout à l’heure dans mon discours, je tâcherai de mériter cette confiance et d’apporter ma petite pierre dans l’édifice de notre nation.
L’association des animateurs et conseillers aux affaires culturelles a sorti un communiqué pour s’insurger contre votre nomination, que leur répondez-vous ?
Je n’ai pas à leur répondre du tout. Elle doit être nommée ou pas, ce n’est pas à moi qu’on doit poser cette question-là. Tout ce que je peux dire, c’est que je suis une citoyenne sénégalaise à qui on a voulu faire confiance et à qui on a confié certaines choses. Je vais essayer de relever le défi comme tous les citoyens sénégalais qui occupent des postes de responsabilité dans ce pays-là. J’essaierai et je ferai de mon mieux pour occuper ce poste. Je réussirai ou pas, Dieu Seul sait et l’avenir nous le dira. A eux, je lance un appel ; je leur dis : venez prendre la Place du souvenir parce qu’elle est aux culturels. Elle est à la culture. Elle doit être aussi au tourisme, donc travaillons ensemble pour animer cette place-là.
Vous pensez avoir les compétences pour manager cet espace ?
Incha’Allah, cela également l’avenir nous le dira. Les Sénégalais auront tout le temps d’apprécier.
Votre nomination n’est-elle pas politique ?
Certains l’ont dit juste parce que je suis coordonnatrice adjointe du mouvement fekke ma ci boole. Mais avant cela, je suis une citoyenne sénégalaise comme j’ai eu à le dire. Et c’est ce qui m’importe. Je vais tâcher de relever ce grand défi et challenge. La seule lecture que j’ai de ma nomination, c’est que je suis une Sénégalaise. Maintenant, ma nomination est politique ou ne l’est pas, allez poser la question à ceux qui m’ont nommée.
Depuis sa création, la PSA n’a pas vraiment de contenus, qu’est-ce que vous comptez y apporter pour la promouvoir ?
Comme j’ai dit tantôt dans mon discours, la Place du souvenir, c’est un bijou qui doit être le point de rendez-vous de toutes les activités socioculturelles de ce pays-là et même touristiques. On essaiera avec de l’imagination, des idées, du partenariat et notre carnet d’adresses de développer des activités. Mais comme je l’ai déjà dit, ce sera aux culturels et c’est à eux de développer cette place. Très très bientôt, dans un open press, nous allons communiquer notre feuille de route.
Vous faites de la politique, vous êtes animatrice télé et maintenant administratrice de la PSA comment comptez-vous allier toutes ces casquettes ?
Je sais que cela ne sera pas de tout repos mais comme c’est une mission d’Etat qui m’a été confiée, je fais un focus sur ça. Je serai concentrée sur ça. Njegemar ne peut pas disparaître du paysage audiovisuel. Elle n’est plus une simple émission, elle est devenue une institution et on sera là. Comment ? On y réfléchit mais on essaiera de respecter le rendez-vous avec les téléspectateurs. De toute façon, on est en train de voir.