Les anciens avaient une façon à eux de se faire enterrer. C’était à coup de tam-tams, de chants, de danses, de rires, de festivités, de pleurs jusqu’à la dernière demeure du défunt. Avec l’islamisation, les choses ont commencé à changer, mais dans ce village qu’est Ngollar Sérère, se trouvant dans le Diobass, des vieux et vieilles résistent toujours et tiennent à être enterrés comme leurs grands parents.
Ce mercredi 24 septembre 2014 à 17 heures, la matriarche rend l’âme. Noumakha Faye avait plus de 100 ans. Mais n’a jamais eu de trous de mémoire, ou de réels problèmes de santé. "Le jour de sa mort, elle a discuté avec les gens, disant qu’elle voulait de nouvelles tresses ; elle se sentait fatiguée, mais nous croyions que c’était juste dû à la vieillesse. A un moment donné, elle a demandé à tout le monde de la laisser se reposer. A notre retour, elle était partie définitivement pour l’au-delà", raconte son petit-fils. Cette femme âgée était un symbole dans ce village. C’est elle qui était la gardienne de la structure, qui s’occupait de l’initiation des femmes. Très active dans les funérailles des défunts païens, elle tenait à ce que ses funérailles soient grandioses. Et ce fut le cas. Morte le 24 septembre à 17 h, elle n’a été enterrée que le lendemain à pareille heure. N’eût été la pluie, la cérémonie allait durer plus longtemps que cela.
Comment font-ils pour conserver le corps pendant autant de temps sans qu’il ne se décompose ? Une question à laquelle Youssou Faye, un grand représentant de ce genre de cérémonie, répond : "nous avons nos secrets, et nous mettons quelque chose sur le corps pour éviter qu’il ne se décompose. En plus, la petite taille de la défunte et sa bonne santé aidant, nous y parvenons". Mais il est arrivé une fois
dans ce village qu’est Ngollar "qu’un corps qui a fait 24 heures à cause des festivités funéraires ait commencé à se décomposer et à sentir mauvais. Personne ne pouvait l’approcher ; seuls les fils de la défunte ont osé soulever le cadavre de leur mère pour l’enterrer dignement", se rappelle-t-il.
Les rites funéraires
L’idée de la croyance à la survie après la mort est très ancrée dans la culture sérère. Mais le droit à cette survie dépend de l’exécution correcte des rites funéraires. Parmi ceux-ci, il y a les rites douloureux et les rites joyeux. La mort d’un dignitaire sérère est annoncée par un coup de fusil, une manière de glorifier le défunt dans sa lutte contre la maladie. Ce coup de fusil est suivi de lamentations. Parmi les femmes, de véritables pleureuses déploient autour de la case une véritable poésie aux thèmes variés. Ces lamentations sont des formes de témoignages sur la vie du disparu, afin de faciliter sa résurrection.
Les rites douloureux et les rites joyeux se mêlent en pays sérère. On pleure puis on rit. Au milieu des cris entrecoupés des récitals de pleureuses, pointent les chants des initiés, le son du tam-tam en hommage à celui qui vient de s’éteindre. Sous l’hommage rendu par le grand griot du village ou sous le rythme endiablé du tam-tam, le défunt qui est une personnalité mystique du village peut gémir ou remuer un pied. C’est le moment possible de la résurrection, en déduisent les anciens. En somme, pour les rites joyeux, le sacrifice des bœufs, les libations, les échanges de cadeaux et les retrouvailles sont observés. A chaque phase du rituel, le tam-tam développe un thème. C’est cet instrument qui annonce aux villages voisins le décès et souhaite un bon repos au défunt.
Après ce rituel, le tam-tam évoque les activités du défunt, agriculture, élevage, pêche ou chasse. Viennent ensuite les rythmes de la danse des braves, de la danse des initiés, de la danse des femmes initiées, de levée de la dépouille et d’arrivée à la nouvelle demeure.
L’enterrement
L’enterrement en pays sérère rassemble une grande foule. "La danse et la procession s’accompagnent de chants, de lamentations où il est souligné avec force l’impression de vide laissée par le défunt, le soutien social et affectif qu’il représentait", nous raconte l’historien Mbakou Faye. Durant la procession, il y a des arrêts par moment pour qu’on effectue l’éloge funèbre et qu’on exécute la danse des initiés circoncis. Au cours de la procession, le corps du défunt a tendance à s’alourdir, à tel point que personne n’arrive à le porter. Quand cela arrive, c’est que "c’est le défunt qui formule avec insistance la requête de voir faire son éloge funèbre. Il faut qu’on témoigne de sa vie d’hommes et de prouesses qu’il a pu accomplir et si le témoignage n’est pas assez éloquent pour qu’il en soit satisfait, la dépouille posée à terre ne saurait être soulevée parce que son poids se sera décuplé", explique l’historien Faye.
Contrairement aux rites funéraires de la religion musulmane, les religions traditionnelles sérères admettent la participation de la femme à l’exécution des rites. Les pleureuses sérères initiées accompagnent le défunt jusqu’à sa dernière demeure. En pays sérère, la mise en terre du défunt ou de la défunte incombe aux hommes, mais la femme est présente dans l’exécution du rituel. "La dépouille mortelle s’arrête par moments et les femmes dansent tout autour. De même, autour de la tombe, elles rendront le dernier hommage aux disparus par la danse", à en croire notre historien.
La mise en terre
La dépouille fait quatre fois le tour de la tombe pour un homme et trois fois pour une femme. Il s’agit là de saluer la nouvelle demeure. De l’eau est versée aux quatre points cardinaux de la tombe. L’eau est la base de toute nouvelle vie. Ensuite des hommes dotés de pouvoirs mystiques, désignés, descendent la dépouille dans la fosse. La position du défunt est un pan très important de la cérémonie. En effet, la tombe sérère est d’orientation est-ouest. La tête du défunt est à l’ouest, les pieds à l’est, le visage tourné vers le sud pour un homme et vers le nord pour une femme. Le défunt est d’habitude lourdement habillé, enveloppé dans une natte et est descendu dans la fosse. Cette natte sert de protection contre le bord nord de la fosse. Plusieurs bouts de bois sont rangés obliquement dans la fosse. Le tout couvert de palissade achève la chambre souterraine du défunt.
Les offrandes
Après l’enterrement, le sérère institue un culte aux pieds du mort. L’autel est formé d’un piquet soutenant une perche oblique, d’un canari troué et d’une pierre. Le service des offrandes n’est pas quotidien, mais annuel. Une fête des morts païens est célébrée chaque année. Le service journalier des offrandes n’est possible que pour un défunt qui a laissé un riche héritage, sinon, pour la plupart, on se contente du service annuel. L’ensemble des rites funéraires contribue à la survie du défunt dans l’au-delà. La danse, le chant rythmé, les lamentations expriment les prières adressées à Dieu en faveur du mort. Les offrandes participent à sa nourriture. Le manquement à ce rituel peut rendre le mort dangereux pour sa famille. "Ainsi, le défunt menaçait de peines, de troubles ceux qui ne prendraient pas ses charges au sérieux. Si au contraire ils veillent sur la fondation funéraire, il leur sera fait tout le bien possible", renseigne Mbakou Faye.
Après le départ de Noumakha, il n’en reste plus beaucoup
La vieille Noumakha n’est pas la dernière à croire en ces pratiques, mais il n’en reste plus beaucoup. Une quinzaine tout au plus. La plupart se sont reconvertis à l’islam. Interrogée, la vielle Yourane nous dit : "mes enfants voulaient que je me convertisse à l’islam, ce que j’ai catégoriquement refusé ; je crois en ces pratiques, et je les ai menacés en leur disant que si jamais je meurs et qu’ils ne respectent pas mes dernières volontés, je ne le leur pardonnerai jamais de la vie". Même son de cloche chez Diouma Faye qui pense dur comme fer que "plus la fête des funérailles est belle et enjouée, plus notre accueil dans l’au-delà sera belle et enjoué".
Noumakha est ainsi morte de sa belle mort. Son visage a été montré à tous ceux qui en avaient fait la demande, dans une case en paille. Quand le corps devait sortir de la maison, un gros bœuf a été amené, couché par terre et enveloppé de jolis pagnes tissés. Le corps traverse ensuite le bœuf. Ce dernier sera immolé avant que la défunte Noumakha Faye ne sorte définitivement de la maison dans laquelle elle a passé les plus belles années de sa vie. "En fait, ce ne sont pas tous les païens qui bénéficient du privilège de ce gros bœuf, mais ceux qui représentent quelque chose dans la société", confie un dignitaire. Comme une mariée qui doit rejoindre le domicile conjugal, la défunte a des objets de cuisine qui l’accompagnent aux cimetières.
Le groupe de rap "Keur Gui" accélère la cadence dans sa dénonciation des tares de la société sénégalaise. Son nouvel album (deux réunis en un), "Encyclopédie", dont la sortie est prévue après la Tabaski à Kaolack, dresse un tableau sombre du pays. Deux thèmes, "règlements de compte" et "opinion publique", constituent la trame des 26 titres.
Membres fondateurs du mouvement citoyen "Y en a marre", Cyrille Touré alias "Thiat", Malal Talla plus connu sous le nom d’artiste de "Fou Malade" et "Kilifeu" ont fait fort. Surtout avec le morceau "Diogoufi". La situation économique du pays y est vivement dénoncée. Les coupures d’électricité, la flambée des prix, le bradage du littoral, les accusations d’immixtion de la première dame dans la gestion des affaires publiques, sont tous évoqués dans le pamphlet des rappeurs. Les marabouts en ont aussi pour leurs turbans.
Ainsi, les paroles -("ci lan ngua may woo, ci diiné mba cii foo" (vous prêchez pour la foi ou pour les plaisirs terrestres ?) -se passent de commentaires). Les mœurs de la classe politique, la cupidité des Sénégalais et l’absence de modèles pour les jeunes sont dénoncés avec la même tonalité...
Pour la bande, ce sont "les mêmes chats, les mêmes chiens, les mêmes va, les mêmes viens, les mêmes cas, les mêmes faits, même cinéma, même schéma, même promesse électorale, même bradage du littoral, le pays est dans un Ko total". Une tournée nationale, avec Kaolack, Diourbel, Louga, Tamba et Ziguinchor comme étapes est prévue pour lancer l’album.
LES LANGAGE DES JEUNES, ''C’EST PLUTÔT UN SIGNE DE VITALITÉ QU’UN SYMPTÔME DE DÉVIANCE''
Dr Hadiya Tandian ne s’émeut outre mesure de ces expressions utilisées par la jeunesse. Selon le sociologue, « chaque génération à son corpus langagier ».
« Il ne faut pas en faire une affaire de jeunes (...). Toutes les générations ont eu à utiliser de pareils langages populaires comme glossaire pour exprimer des sentiments, des émotions ou des signes, des faits de leur temps », tente d’expliquer le sociologue.
Selon Hadiya Tandian, «ces langages sont produits par les chants populaires, les invectives, les danses populaires, les tambours et les jeux populaires. Ce sont des interjections qui ne sont pas facilement déchiffrables et dont le sens littéral ne renvoie pas au sens usuel. Ce langage est une sorte de cri de ralliement pour tous ceux qui évoluent dans le même microcosme culturel qui recrute ses membres chez toutes les ethnies, toutes les bourses, toutes les catégories et chez tous les âges, pourvu que vous en acceptiez l’esprit », analyse-t-il.
Hadiya Tandian selon ces expressions peu- vent disparaître pour céder la place à d’autres, propres aux prochaines générations ou aux générations présentes qui font la « une du journal social ». « Donc chaque génération à son corpus langagier », affirme-t-il.
« Le glossaire est variable en fonction des goûts mis en exergue par chaque nouvelle ère », commente M. Tandian. Le sociologue souligne que cet ergo « n’est pas un phénomène dangereux », parce qu’il exprime un état de la jeune société.
« C’est donc plutôt un signe de vitalité qu’un symptôme de la déviance », conclut le sociologue.
''CES EXPRESSIONS SONT DES RUPTURES CONTRE NOTRE ESPACE DE PUDEUR''
MASSAMBA GUEYE, SPECIALISTE DE LA LITTERATURE ORALE
L’enseignant Massamba Guèye n’agrée pas ces expression à tout va. Selon lui, nombre de ces formules de la rue désignent du plaisir.
Nous voyons, depuis près de deux ans, une forte mutation du langage. On parle même d’expressions de la rue. Qu’est- ce qui explique cette tendance?
« La réponse à cette question peut être technique parce que les langues fonctionnent sur la base de trois niveaux : il y a celui dit académique, standard, le niveau correct (courant) et le niveau populaire. Maintenant, quand on dit qu’une langue est vulgaire, sonne mal, il faut se référer au mot latin « vulgus »; c’est-à-dire ce que dit le peuple.
Une langue se développe par les phénomènes de jargon. Et ici, nous avons affaire non pas à des créations scientifiques, des ajouts, une préfixation ou bien une suffixation, mais plutôt à la création d’expression. Lorsque nous les étudions, ces expressions renvoient plus au bonheur, au plaisir.
Nous sommes dans une société de consommation, de plaisir et la plupart de ces expressions-là renvoie au plaisir : ‘’dina manekh’’ pour dire qu’on est favorable à une proposition ; ‘’yaye bondèle’’ (tu assures) est un détournement d’une expression populaire qui disait ‘’fikékela nène doufi bondé’’ (on ne se vante pas ici ).
Quand on dit à quelqu’un ‘’yaye bondèle’’, on est dans la destruction de l’imaginaire, la fortification de la personnalité de notre interlocuteur. Il y a d’autres qui sont très sexués : « tabakh bamou kawé, déffar bamou bakh » (faire bien les choses). On est dans une sorte de pudeur linguistique ; ce qu’on appelle la pratique du détour.
Le wolof appelle cela le ‘’garaalé’’, c’est-à-dire : coudre et coudre sur les rebords. Nous avons un type de langage avec des mots qui naissent. Ils sont nés dans l’univers féminin. D’autres sont nés dans l’univers sportif (la lutte), des mots qui renvoient à la sueur, l’endurance : ‘’takh thi rip’’ avec Tapha Tine, ‘’niine thi batt’’ une réplique de Balla Gaye et qui sont déclinés en musique.
Des jeunes qui sont donc dans le milieu du hip hop créent des expressions comme ‘’Galsen’’ Sénégal, ‘’tekk thi brique’’ (accélérer la cadence, le rythme ou la vitesse) que les jeunes apprentis de transport urbain utilisaient et les autres ont récupéré. Mais, le langage populaire le plus fun sort souvent de la bouche des femmes. C’est une évolution très populiste et qui n’enrichit pas la syntaxe de la langue wolof. Il y a une rupture dans la pratique de la langue.
Nous sommes dans une société où qui a la parole détient une partie du pouvoir. Par contre, ces paroles dévergondées-là, moi je ne les agrée pas. On ne peut rien contre le développement d’une langue. Néanmoins, ce sont des ruptures contre notre espace de pudeur. C’était d’habitude des langages de jargon, confinés à un groupe qui se le disait ; cela ne sortait pas de l’arrière-cour, de la case, du champ, etc.
Aujourd’hui, ces types de parole sont adressés aux marabouts, à n’importe qui. Les gens ne savent plus distinguer leur auditoire. Je ne me réjouis pas de ce développement linguistique ».
Est-ce demain la disparition de ces jargons ?
« Non, jamais ! Une langue évolue par son caractère populaire. Il ne faut pas se tromper. Tant que l’éducation sera en rupture avec la pudeur, tant que les gens vont se dénuder en continuant de s’habiller, tant qu’ils vont continuer à extérioriser avec un voyeurisme, il faudra s’attendre à ce que le langage soit déshabillé, si notre pudeur interne n’est pas réinstallée ».
Que faut-il faire pour que ces dérapages s’arrêtent ?
«C’est dans les familles qu’il faut sensibiliser très tôt les enfants à utiliser une bonne parole. Une belle parole n’est pas forcément une bonne parole. C’est juste qu’il faut très tôt installer des caractères liés à la pudeur. Il existe des gens qui, jamais au monde, n’utiliseront ces expressions-là.
Les médias aussi doivent faire la sensibilisation et non un travail de promotion. Si une animatrice de télé passe tout son temps à utiliser ces mots-là, ses fans se le relayeront pour sûr. »
LE SACRE D'ALIOUNE BADARA BÈYE À SORANO
35 ANS DE VIE AU THÉÂTRE ET 40 ANS DANS LA LITTÉRATURE
Après celui de 2009 organisé par le défunt comédien Thierno Ndiaye Doss, l’Association nationale des artistes comédiens du théâtre sénégalais (Arcots) a, à nouveau, rendu un «njukkel» (hommage en Français) à l’écrivain Alioune Badara Bèye. Le théâtre Daniel Sorano dont il est président du Conseil d’administration a servi de cadre pour célébrer les 35 ans de théâtre et 40 autres consacrés à la littérature de l’auteur de l’ouvrage Le sacre du Ceddo.
Une pluie d’éloges s’est abattue vendredi dernier sur le président de l’Association des écrivains du Sénégal, Alioune Badara Bèye. Presque tout ce que le Sénégal compte comme personnalités, issue du monde des arts et des lettres, s’est relayé sur les planches du théâtre Daniel Sorano dont Alioune Badara Bèye est le président du Conseil d’administration, pour peindre l’homme de culture sous des traits dithyrambiques.
Le comédien Pape Faye, justifiant cette cérémonie d’hommage qui marque les 35 ans de vie que Bèye a consacrés au théâtre et 40 ans à la littérature, le considère comme «le Dieu du théâtre sénégalais».
Président du Comité d’organisation de cette initiative qui pour la première fois a été réalisée en 2009 à Douta Seck, Pape Faye, par ailleurs président de l’Association des artistes et comédiens du théâtre sénégalais (Acorts), n’a pas manqué de souligner sa joie de réussir à remettre au goût du jour cet hommage.
Le ministre de la Culture et de la Communication, Mbagnick Ndiaye, venu présider la manifestation et louant l’esprit d’ouverture et le sens du dialogue du dramaturge, révèle que Alioune Badara Bèye est la première personne avec qui il est entré en contact, une fois qu’il a pris fonction au sein de son nouveau ministère. Louant à son tour le mérite de l’homme, Mbagnick Ndiaye dit avoir reçu un coup de fil du président de la République pour transmettre un message de félicitation à Alioune Badara Bèye.
Pour sa part, le directeur général du théâtre Daniel Sorano, Saïd Samb, dit reconnaître que Alioune Badara Bèye a participé à faire rayonner par ses œuvres ce temple de la culture. «Ses œuvres intègrent le patrimoine immatériel de Sorano. Il a participé à enrichir le répertoire de ce théâtre et à lui donner une dimension universelle», a expliqué M. Samb.
Pour lui, comme pour d’autres orateurs, Alioune Badara Bèye est un homme de convergence et les acteurs culturels éprouvent de l’attirance à son égard. «Président du Conseil d’administration du théâtre national Daniel Sorano, Alioune Badara Bèye s’est retrouvé dans ce haut temple de la cul- ture pour être classé au panthéon des hommes de culture dont les œuvres seront toujours éternelles dans la mémoire collective de l’humanité», a-t-on magnifié.
Dramaturge et écrivain, ancien pensionnaire de la marine française, Alioune Badara Bèye, personnage multidimensionnel, voit ainsi ses pairs le combler d’une reconnaissance à la dimension de sa carrière au moment où il se prépare à fêter son anniversaire de naissance.
Né le 28 septembre 1945 à Saint- Louis, Alioune Badara Bèye a eu 69 ans hier. Cela n’a pas échappé à Guissé Pène de l’Association des métiers de la musique (Ams) qui, 48 heures à l’avance, a invité le public à chanter avec lui «Joyeux anniversaire». Guissé Pène, à son tour, dit considérer M. Bèye comme le fédérateur de la culture.
Et pour cause, le secrétaire général de l’Ams avance qu’il a toujours associé le monde de la musique à tout ce qu’il entreprend. Le plasticien Kalidou Kassé ajoute même qu’«il (Alioune Badara Bèye) a passé la moitié de sa vie à développer la culture». Invité d’honneur de la manifestation, le Grand Serigne de Dakar n’a, lui aussi, pas manqué de tarir d’éloges l’heureux du jour.
Abdoulaye Makhtar Diop voit à travers Alioune Badara le digne successeur du Président poète Léopold Sédar Senghor. «Léopold Sédar Senghor n’a pas eu tort de vous désigner son fils putatif. Vous êtes son digne représentant», souligne le dignitaire lébou.
Publications
Reconnu comme l’un des écrivains sénégalais les plus prolifiques avec plus d’une vingtaine d’œuvres, le président de l’Association des écrivains est l’auteur de Dialawali, terre de feu (1980, théâtre), Le sacre du Ceddo (1982, théâtre), Nder en flammes (1988, théâtre) et Raki, fille lumière (2004, roman).
Précédemment chargé de la coordination du troisième Festival mondial des arts nègres (Fesman 3) et à l’origine de plusieurs productions dont Lat-Dior, Nder en flammes, diffusées par 52 chaînes, Demain la fin du monde, diffusée sur Cfi, Arte, Tv5, Alioune Badara Bèye, selon le colonel Momar Guèye, est un modèle pour la jeunesse. M. Bèye, qui a remercié tous les participants à cet hommage, a demandé à ses enfants de préserver ses œuvres de l’oubli.
Quand les misères d’août s’effacent, septembre annonce ses belles prémisses. Mbour, cité des délices, reprend son souffle étouffé par une saison touristique morose et à basse tonalité. Comme par magie, thioor mamaa, le cri strident qui accompagne la marche du Kankourang, siffle le début d’une reprise économique prometteuse.
La Petite Côte ouvre ses portes à ses fils et filles de la diaspora. La ville réputée accueillante s’offre aux vacanciers et aux visiteurs du week-end. Les bus et taxis-brousse, dans un rythme infernal et continu, déversent des myriades de voyageurs à la gare routière. Les convoyeurs opportunistes se frottent les mains habituellement crispées au volant de leurs vieilles guimbardes. Les bouchons indescriptibles, sur la grande artère, révèlent la forte affluence dans une cité avide d’étrangers. Les échoppes bien achalandées dévoilent les victuailles en kaléidoscope qui écument les bourses conjoncturées d’indécrottables épicuriens. Les boulangeries roulent la farine en pâtes molles et onctueuses. Elles réchauffent l’air des quartiers alors que de délicieuses senteurs chatouillent les narines des gourmets. A coup sûr, les nuits blanches seront des nuits de festin. Les charcuteries exhibent crûment les gigots rouges de chair bonne à rôtir. Les diners seront de gala. Les pêcheurs déversent sur les plages le poisson frais qui dope la qualité du fameux thieboudiène du dimanche. Les vendeurs d’eau fraiche et de crème glacée se font désirer pour étancher la soif d’une populace déshydratée par une chaleur d’étuve.
L’économie locale est en pleine bourre. Le fric liquide, en liasse ou en pièce, comme une rivière argentée coule à flot. Le tourisme local et informel bat son plein au son des tambours. Les touristes du pays squattent les concessions et profitent de l’hospitalité gratuite de leurs hébergeurs. Exhibant une naturelle sympathie en monnaie de singe, ils égayent l’ambiance des familles de plus en plus désargentées mais fidèles aux traditions. Celles-ci ne rechignent nullement aux dépenses de prestige qui inexorablement les couvrent de dettes puis les ruinent. Au fil des ans, ces vieilles familles de fiers socés croulent sous les charges exponentiellement onéreuses qu’occasionne l’organisation du Kankourang. Elles se ceignent les reins et dans un parfait élan de solidarité font face aux exigences à la hauteur de la notoriété du personnage mythique.
Le tourisme chez l’habitant et non marchand déroule ses lettres de noblesse au nom de l’amitié et de la parenté, pour la gloire de la téranga. A sa rescousse un véritable tourisme culturel et international tarde à montrer sa face mercantile. Il reste à inventer dans ce jadis paradis du balnéaire qui perd de sa superbe, et noie ses plages de sable fin dans les vagues salées de la mer.
Le Kankourang furieux jette à terre le masque protecteur de jouisseurs pauvres. Il foule du pied la joie factice d’hôtes stressés. Il révèle à coup de machette les guenilles d’une ville laissée en rade. Il exige des champs de céréales, des fermes de bétails et de volailles pour nourrir l’armée des initiés et circoncis. Il ordonne des enseignements pour sauvegarder les us et coutumes des Mandings. Il recommande des structures et une organisation pour préserver un patrimoine si exceptionnel, si expressive. Il sollicite des médiateurs de talent pour valoriser un produit touristique culturel si atypique. Le Kankourang implore des solutions de rechange pour que le mythe demeure à jamais l’icône d’une ville si singulière et de ses habitants si fiers et à la limite chauvins. Le masque peut bien faire vivre la ville, il y va également de la survie du Kankourang.
Aujourd’hui, beaucoup d’artistes musiciennes mettent en évidence leur physique. Et elles font parler d’elles ! Même si elles ont en commun les mêmes thèmes, chacune d’elles cherche néanmoins à se démarquer par le look, au risque, souvent, de... se dénuder.
Une nouvelle stratégie de marketing s’invite considérablement dans le milieu musical sénégalais. Il s’avère très efficace, pour certaines stars de la chanson, de vendre ou de se faire connaître en exhibant, en quelque sorte, leur corps. C’est la mode chez une grande partie des chanteuses sénégalaises de s’afficher dans les médias et de créer l’événement.
Quelles qu’en soient les conséquences, les stars de la musique adoptent le look des décolletés, robes moulantes et autres petites tenues. Viviane Ndour, Titi, Coumba Gawlo Seck, Adiouza, Facoly, Queen Biz, Guigui ou Déesse Major, entre autres, n’échappent pas à cette tendance.
Pour ces musiciennes, l’apparence physique représente beaucoup dans leur carrière. C’est même primordial.
Beaucoup de chanteuses ont très tôt senti une soi-disant complémentarité entre la voix et le physique de l’artiste. Le look est donc un facteur clé chez ces personnes. Viviane Ndour a semblé comprendre cette règle depuis bien longtemps. En effet, sans trop faire dans le scandale, elle a misé, en plus de sa voix, sur son physique depuis ses premières apparitions.
Spécialiste des robes moulantes, décolletés et dos nus, Viviane Ndour a fini de séduire un grand nombre de fans. Elle a initié le rituel consistant à offrir ses robes à ses inconditionnels lors d’un concert annuel. Ensuite, elle a créé sa propre boutique.
Arame Thioye, Guigui, Facoly ou Déesse Major s’inscrivent également dans ce même registre. Dès leurs débuts, elles se sont singularisées des autres en imposant un look sexy.
Pendant que certaines d’entre elles misent sur l’accoutrement pour être au-devant de la scène, les autres ont opté pour des coiffures rocambolesques, digne des stars américaines. « Je suis une artiste jeune et je dois me mettre en valeur. Il faut bien que je vende mon album. Pour cela, le côté esthétique compte beaucoup ».
On se rappelle encore ces paroles qu’avait tenues la fille d’Ouza Diallo, il y a quelque temps, dans nos colonnes. En effet, revendiquant une audience beaucoup plus « modernisée et un public masculin », Adiouza entend utiliser son charme comme un atout majeur, capable de renforcer son image et sa belle voix.
« C’est la loi du marché ! Le public masculin aime voir de belles artistes. Le show-biz exige qu’on soit sexy pour percer. Autrement dit, pour vendre, de nos jours, il faut être sexy. Sinon les hommes ne vont même pas jeter un coup d’œil sur mon album », prétend l’auteur de "Cëy Love".
Cette manière de voir les choses diffère de quelques convictions affichées auparavant. A l’instar de Coumba Gawlo Seck avec son titre "Femme Objet", Adiouza avait commis le titre "A Qui La Faute" pour déplorer la dégradation de l'image de la femme dans la société et, plus particulièrement, dans les médias.
Dans ces chansons, Adiouza et Coumba Gawlo sensibilisaient leurs consœurs sur la préservation des coutumes et valeurs.
Titi a également ses décolletés. Elle aussi n’hésite pas à se montrer vulgaire lors de ses sorties en public. « Je suis en phase avec moi-même. Maintenant que mes fans reproduisent ce que je fais, il n’y a aucun mal », s’est défendue Ndèye Fatou Tine dite Titi.
LE BIZUTAGE ORAL DE LA NUIT DES NOCES, UNE TRADITION PERVERTIE
LE « KHAKHAR », MESSAGES D’ACCUEIL DE LA NOUVELLE MARIEE
Aujourd’hui, lorsqu’on évoque le mot « khakhar », les gens pensent aussitôt à insanités, incorrection et méchanceté gratuite. Cette pratique ancestrale a, depuis très longtemps, perdu sa vocation première d’éduquer la nouvelle mariée et, surtout, de lui donner les clés de son nouveau milieu social. Pourtant, c’était là le but recherché : à travers le rire et la caricature, amener la nouvelle épouse à bien s’imprégner des réalités de la communauté qui l’accueillait en son sein. Les références, symboles et repères étaient ainsi passés en revue. Toutes les pratiques que réprouvait la société étaient dénoncées en public. Ainsi, dès son arrivée, la nouvelle mariée savait à quoi s’en tenir.
Actuellement, à travers le « khakhar », c’est un torrent d’insultes, de grossièretés et de fausses affirmations qui accueillent la nouvelle mariée au domicile conjugal. Qu’elle intègre ou pas un ménage polygame, ce sont ses coépouses et les autres femmes de son nouveau milieu qui essaient, autant que faire se peut, de lui broder et de lui faire enfiler un tricot de défauts imaginaires en vue de la « déstabiliser ».
S’il existe une caractéristique des Sénégalais bien connue de tous, c’est leur attachement à la vie en communauté. Il est dit, dans notre pays, que celui ou celle qui se met hors de la communauté est simplement une « réincarnation » d’un génie malfaisant. Une telle personne est mise à l’index et est crainte de tous.
Chez nous, l’individu se réalise au sein d’un ensemble qui l’enrichit et qu’il doit enrichir. Hors de cette idée, il est honni. Si les hommes tenaient ce viatique de leurs maîtres-encadreurs en période de circoncision ou passage dans la case de l’adulte, les femmes, pour leur part, méditaient sur le contenu de ces lois sociales le jour où elles regagnaient le domicile conjugal.
C’était le « khakhar », une manière, pour les femmes mariées, de souhaiter la bienvenue à la nouvelle épouse venue intégrer leur cercle. Et elles n’y allaient pas par quatre chemins pour secouer la « trouble-fête ». Ce bizutage, par le verbe, n’avait rien de méchant.
La candidate à ce « supplice » était digne dans l’épreuve qui, dans tous ses aspects, lui permettait de tendre l’oreille, de recueillir les exigences de sa nouvelle communauté et, en fonction de cela, rectifier le tir au besoin.
Voilà la fonction essentielle du « khakhar », occasion de tracer les lignes directrices à une femme mariée qui, ainsi mise en selle, disposait d’atouts pour se nimber de gloire.
LE TEMPS DU RIRE ET DE LA CARICATURE
Cette distinction, on ne la méritait que pour services rendus aux ascendants du mari, à ses amis, frères, cousins, sœurs, tantes et oncles qui, vu l’élasticité de la famille sénégalaise, exerçaient leur commandement et devaient être écoutés par toute épouse vivant à l’intérieur du carré familial. Il fallait donc supporter car le dicton wolof dit également que « tout ce qu’une femme sème, en bien ou en mal, dans le foyer conjugal, est récolté par sa progéniture ».
Le bon sens appelle à la bienfaisance, même si l’on se sent brimée. Cette disponibilité à encaisser tous les coups, tout en restant digne, était enseignée le jour où la mariée regagnait le domicile conjugal où était organisé le « khakhar » dont il faut revenir sur chacun des mots qui le composent. « Khakh », fausse interjection, véritable onomatopée, exprime l’acte de cracher.
Mais, dans le cadre de cette enquête, ce terme symbolise le fait de se défouler, d’extérioriser son dégoût, sa déception amère pour la femme qui, malgré elle, s’est vue dotée d’une coépouse. « Khakh » est un sentiment de dégoût manifesté par une femme à qui l’on impose un morcellement des plaisirs et de l’intimité dont elle jouissait de son mari. Quant à « khar », il signifie casser, occasionner la rupture après avoir déséquilibré moralement.
Le mot composé donne alors « khakh-khar », œuvre de la femme qui reçoit une coépouse et qui fait appel à des spécialistes de la caricature dite ou chantée et dont les propos sont accusateurs, libertins et souvent orduriers, même s’ils véhiculent une bonne dose de rire, ce rire qui atténue le poids et la méchanceté du propos. C’est là que le « khakhar », en matière d’ironie, d’humour sarcastique, était, dans la tradition, une affaire de spécialistes.
Ce n’est pas seulement cela la vocation du « khakhar » qui, en tant que caricature, sort souvent de la réalité caractérielle de la dimension de la femme qui rejoint pour se munir d’effets particuliers, d’imaginaire. Et c’est là qu’il plonge dans le domaine du merveilleux comme le conte. Pourvu d’images caricaturales typiques et appropriées, le « khakhar », donc bien orienté, force le rire, suscite l’attention de l’audition. Il devient, ici, une véritable comédie.
LEÇONS DE MORALE
Les paroles qui véhiculent ces images constituent une véritable création dont la dimension s’amplifie au cours de la nuit et selon le nombre d’intervenantes. Et compte tenu de tout ce qui précède, l’on peut dire que le « khakhar » est en fait une création littéraire dans le domaine de la tradition orale en ce sens qu’il a ses règles, ses contenus et, souvent, sa métrique.
Aussi les paroliers glissent-ils, dans la caricature, des conseils, de véritables leçons de morale s’adressant à la nouvelle venue pour l’armer d’humilité, de tolérance et de l’acceptation de la chose désirée mais partagée.
Il y a également que le « khakhar » met en garde contre l’égocentrisme, convie au rapprochement et à la solidarité dont dépendra l’atmosphère de la demeure conjugale, surtout lorsque le mari est aussi mis en garde. C’est là que « kha- khar » devient un humanisme, une école à la classe vite fermée puisque ne durant que le temps du rire et de la caricature.
Mais, l’essentiel est qu’il prépare aux bienséances futures, devient une sorte d’hygiène de la coexistence, mettant à l’abri des désaccords possibles qui ne pourraient que perturber le ménage et ses composantes.
Son importance est donc plus grande lorsque grande est la participation des paroliers et des femmes chargées des refrains appropriés. Sous cet angle, le « khakhar » est œuvre collective, œuvre qui intéresse la nouvelle mariée, les déjà mariées et les futures mariées. Il représente, respectivement, pour elles, l’indication du point d’ancrage de la communauté dans l’océan des valeurs, un rappel pour mieux gérer l’appartenance à la société et une méditation sur une situation qu’on vivra un jour.
Le « khakhar » garantit également le rythme. Les instruments traditionnels de musique qui le soutiennent donnent une dimension à la parole, la régulent, en assurent le flux et le reflux, participent aux intonations, appuient la caricature, occasionnent les césures, les ruptures, imposent le silence aux paroliers pour laisser libre cours au rythme, ce qui génère des pauses et permet aux intervenantes d’imaginer et de recréer.
C’est là que le « khakhar » devient multi- art. En effet, à travers la manifestation, l’on agence parfaitement la parole et le rythme avant de déclencher la danse qui a son expression, son message et la force de captiver, surtout que l’érotisme y est toujours présent. Intéressant l’esprit, le « khakhar » ébranle le corps et rend, merveilleusement, la dimension multiple de l’homme.
AU PASSE-PRESENT
Une pratique dénaturée
Traditionaliste pure et dure, nostalgique du beau vieux temps, la sexagénaire Adja Adiara Mbaye est pour le moins une femme enracinée. Courtoise et disponible, elle nous accueille à bras ouverts dans son salon. Dans la cour de sa maison sise au quartier Hersent à Thiès, ses filles et quelques autres personnes étaient occupées aux travaux ménagers.
Une joie de vivre et une bonne ambiance prévalent chez notre interlocutrice profondément ancrée dans ses traditions ancestrales, fière d'être issue du grand groupe des griots. Après quelques salamecs, elle accepte de nous en boucher un trou sur le « khakhar ».
Adja Adiara Mbaye nous fait savoir que le « khakhar » est « une pratique plusieurs fois séculaire que les dernières générations ont transformée en océan d’insanités dans lequel on essaye de noyer qui on veut.
Une fausseté de la caricature qui, selon notre interlocutrice, était, dans le passé, une forme d’éducation morale à travers laquelle on rappelait à tous qu’une communauté, pour vivre et prospérer, a besoin de références, de repères et de symboles dont le culte permettait de galvaniser les énergies et de mobiliser les forces dans l’union pour l’édification du progrès général.
Loi sociale
Ainsi, tout ce qui pouvait gêner la marche de la société était dénoncé en public. Du fait des séances de « khakhar », beaucoup tenaient à soigner leur comportement pour ne pas tomber sous le coup de la loi sociale que les femmes savaient bien appliquer, elles chargées de créer des chants satiriques autour des défauts pouvant miner le fondement de la société.
Aussi, selon Adja Adiara Mbaye, dans la défense des normes sociales, une charge était laissée aux parolières, véritables spécialistes qui savaient assumer, de manière responsable, la mission qui leur était dévolue, grâce à leur capacité d’extérioriser toutes les tares de l’époque. « Dans le passé, on ne s’aventurait pas à ternir l’image de marque de quelqu’un comme cela se fait aujourd’hui.
Mais plutôt à amener les époux et leurs proches à se démarquer des pratiques avilissantes », dit notre interlocutrice qui, dans une envolée, nous chante l’œuvre qui a « corrigé » Galaye, père de famille violent, dur envers les enfants, ces êtres fragiles qui demandent protection et amour.
Avec « Seetbi, bulko yar yaru baayam/ Baayam du dundal, du wood, day door bamu saf/ Bul ko yar yaru baayam/ » (Ne traitez pas la nouvelle mariée comme l’a fait jusqu’ici son père. Il ne lui assurait ni repas, ni habillement et la battait sauvagement. Ne faites pas comme son père).
Portée morale
Ailleurs, c’est une mariée, la nommée Aïda, au talent culinaire nul qui s’est finalement rectifiée en allant à la bonne école. Les spécialistes du « khakhar » sont passées par là avec « muy salade, muy mayonnaise, kumukoyakal, bagnal/ Ndax Birima moy maamam » (Refusez les plats de Aïda, piètre cuisinière formée à l’école de Birima, sa grand-mère).
Son mari Meïssa dont la pratique religieuse laissait à désirer a finalement élu domicile à la mosquée après que les parolières lui ont tenu ces propos : « Meïssa, linga mën ci wure, mën ko ci fo/ Sooko jaamuwoon yalla/ Soo dewee texe » (Meïssa, si tout le temps que tu consacres aux jeux et autres loisirs, tu l’avais réservé à prier Dieu, nul doute que le paradis sera ta demeure éternelle).
La plupart des œuvres de « khakhar », nous dit Adja Adiara Mbaye, avaient une portée morale et permettaient de lutter contre certaines tares sociales comme la violence, l’oisiveté, les facilités... Cette fonction de la caricature est, aujourd’hui, travestie.
« Actuellement, le meilleur cru qu’on puisse nous proposer dans une séance de « khakhar » ne pourrait avoir la valeur du nectar qu’on nous servait lors des veillées du passé », regrette Adja Adiara Mbaye, nostalgique.
Comme la philosophie qui est née de l’étonnement, la divination sérère est une tradition séculaire qui trouve son origine dans l’apparition de cala- mités telles que les maladies, les guerres, les sécheresses, les mauvais hivernages, etc.
«Au début, c’était le Bour sine qui conviait tous les Saltigués à une cérémonie de divination. L’objectif était de prédire les évènements à venir afin d’anticiper sur leur cours », soutient Diégane Ndong, l’actuel « Jaraf » du village de Langhème.
Les séances de divination ou «xoy» (Ndlr : l’appel) permettaient, par exemple, selon ce petit-fils du grand Saltigué Ngor Mack Takhar, (cf. papier), de conjurer le mauvais sort, de prendre les dispositions idoines pour un bon hivernage mais aussi les mesures qui s’imposent en prélude aux guerres.
« C’est grâce aux Saltigués que le Sine ne s’est pas disloqué. Ils ont toujours mis au service du royaume, leur savoir occulte notamment à l’occasion des guerres», martèle avec force, Diène Ndiaye, le vice-président de Malango.
Des propos que confirme le septuagénaire Ibrahima Sarr du village traditionnel de Ndiongolor. « Suite au ‘xoy’ que le Boursine Coumba Ndoffène famak avait organisé en prélude à la bataille de Somb, les Saltigués avaient promis d’user de leurs connaissances mystiques pour faciliter la victoire de l’armée du Sine sur celle amenée par Maba Diakhou Bâ.
A l’arrivée, ils avaient bien tenu leurs promesses ; car, comme certains l’avaient prédit, il avait, la veille de la bataille, plu des cordes qui ont endommagé les munitions de l’armée adverse», révèle-t-il.
D’après Emile Niane, le responsable du laboratoire du centre Cemetra, les cérémonies de divination sont de plusieurs types. « Il y a le ‘xoy’ mixte auquel prennent part à la fois hommes et femmes, le ‘xoy’ où il n’y a que des hommes et un autre auquel seules les femmes sont conviées », précise ce quadragénaire qui a fait plus de vingt ans au Cemetra.
Dans la même lancée, le Saltigué Hamad Ndong soutient que jadis, les non-circoncis n’assistaient pas aux ‘xoy’. «Il était formellement interdit au non-circoncis de prendre part à une cérémonie de ‘xoy’ car on redoutait qu’il aille raconter tout ce qu’il a entendu et vu durant la cérémonie. Malheureusement, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les jeunes et les non-circoncis assistent aux séances de divination mais, en plus, ils disent : untel Saltigué a dit... Or, autrefois, on ne citait pas de nom, on ne personnalisait pas. On disait : «o xoy olaa lee» (Ndlr : le ‘xoy’ a dit) », déplore-t-il.
Tout cela, indique- t-il, a fini par ôter au ‘xoy’, son caractère mythique et ésotérique. Au grand dam des Saltigués !